Échos du confinement à trois voix

Pendant le confinement la vie sociale continue, la vie familiale aussi. Chaque militantE poursuit son engagement même si le quotidien est plus pesant, plus prenant, demande plus de prévenance et d’attention. Ces 3 récits bruts racontent un ordinaire qui porte une part d’extra
Média secondaire

Image par Gerd Altmann de Pixabay

La situation des personnes dépend beaucoup de la forme de leur logement (appartement, maison, jardin ou pas), de leur statut social, de leur métier, de leur situation géographique (campagne, ville, banlieue, île). Aux Ceméa, nous sommes logés à la même enseigne et notre engagement militant permet souvent de prendre du recul. Mais le quotidien nous rattrape et nous oblige à résister, à continuer autrement, à faire preuve de résistance. Citoyenne, parent, salariée, bénévole, élue, une personne cumule parfois tous ces statuts et doit composer une symphonie en écrivant la partition qui favorise  le maintien d’un équilibre dans des conditions inédites. Ce choeur à trois voix nous donne une idée de ce qu’est le présent pour trois individus embarqués sur le même rafiot.


Faire l’école, ce n’est pas si simple

Aujourd’hui mon fils de 10 ans a assisté à une classe virtuelle. Il est dans une école où il y a deux classes de CM2. Les deux enseignantes se sont donc réunies et travaillent ensemble pour donner des devoirs, des fiches d’activité, des consignes de lecture, un plan de travail sur la semaine pour l’ensemble des élèves de leurs deux classes. Ce matin elles ont donc donné rendez-vous à l’ensemble des élèves sur une plate-forme. Après un long moment pour expliquer son fonctionnement, chaque élève pouvait demander la parole, une des deux maîtresses lui permettait de s’exprimer (les caméras étaient coupées pour tout le monde). Chaque élève devait alors activer son micro et pouvait ainsi parler. Ce n’était pas une leçon, c’était plus un « quoi de neuf », les enfants étaient amenés à s’exprimer sur ce qu’ils avaient aimé faire dans la semaine. Beaucoup ont dit la fiche de mathématiques, peu ont dit le français. Beaucoup ont exprimer le plaisir de travailler sur ordinateur, d’être autonome dans leur plan de travail. C’était plaisant de voir mon fils écouter ses enseignantes mais également écouter ses camarades. Il y avait une fonction « chat » qui était activée et c’était également rigolo de voir les enfants s’écrire des messages, se taquiner… Un moment une des maîtresses a dit : « attention si vous dites n’importe quoi sur le chat, je vais devoir le couper » ! Le travail sur la semaine est organisé, mais ce petit moment de collectif permet de garder du lien, permet de faire collectif, permet de se rendre compte que l’on n’est pas seul. Les maîtresses ont insisté sur le fait que s'il y avait des difficultés, on pouvait les contacter.

Cet après, j’ai également passé du temps avec mon fils dyslexique, en troisième, sur la rédaction d’un devoir de technologie. Il fallait télécharger un logiciel, puis ouvrir un fichier qui était joint au message qu’il avait adressé sur pronote à l’ensemble de la classe. Il y avait également un autre document PDF qu’il fallait également télécharger, pour pouvoir comprendre le sens du devoir et suivre des consignes. Il fallait ensuite réaliser la consigne, c’est en fait une sorte de programmation, enregistrer le fichier créé ; puis le déposer sur la plate-forme à destination de l’enseignant. Ce n’est pas si simple. Il faut déjà réussir à installer le logiciel. Une fois qu’il a été installé, il faut réussir à comprendre comment ouvrir le fichier à l’intérieur du logiciel. En effet lorsqu’on clique sur le document, il ne s’ouvre pas. Pour l’ouvrir il faut l’ouvrir depuis le logiciel. Il nous a bien fallu 30 minutes pour comprendre cela. J’ai écrit un courriel à cet enseignant pour lui dire que nous n’y arrivions pas, pour lui envoyer un autre courriel 20 minutes plus tard pour lui dire que finalement nous avions réussi et que mon fils lui enverrait le devoir fait.

En passant du temps avec mes deux fils sur ces deux temps dans la journée, j’ai pris du plaisir à les voir découvrir les potentialités du numérique, les possibilités qu’offre cet outil pour entrer en relation, pour garder du lien, pour comprendre le monde, pour se former… Mais, si avec ma femme nous n’avions pas été là avec eux, si nous n’étions pas à l’aise nous-mêmes avec l’outil informatique, ils n’auraient pas pu avoir accès à ces temps d’enseignement. La réalité d’une fracture numérique encore présente dans de nombreuses familles que l’on ne doit pas perdre de vue, face à un discours « moderniste » distillé par toute l’industrie numérique ! À nous de consolider en permanence, une éducation solidaire et non excluante !

Contraintes insulaires

Cemea

La vie militante est bousculée... Aucun administrateur de l’association ne bouge. Coronavirus, maladie de dieu, maladie du siècle, en général, les gens ont extrêmement peur, est-ce que Mayotte va toujours exister ? La question principale des habitants : est-ce que chacun va rester en vie ? Mais, seul espoir, les mosquées sont fermées ! La loi française est plus forte que Dieu, car Coronavirus a conduit la population à ne plus pratiquer la prière collective ! Mayotte est dotée uniquement d’un hôpital surtout équipé pour des naissances, mais pas pour faire face à la pandémie. On craint le pire tous les jours...

Personnellement, je suis frustré et cela m’emmène souvent après des interpellations, à aller travailler sur les dossiers à Loni (le village du siège de mon association), pas de connexion à Kani Kéli (mon village où j'habite) ; tous les jours aucun réseau, je me déplace donc pour les dossiers administratifs en cours, le dossier de passage en travail partiel, pour nos conventions et les différents financements de nos partenaires. Les salaires de mars ont été versés à 100%, les personnes sont contentes...

Et j’attends la fin du Coronavirus pour retrouver mes idées !

Image par bernswaelz de Pixabay

Ce n’est qu’un début !

Je commence à bien réaliser que le 11 mai… la vie ne va vraiment pas repartir comme avant.

Mes journées restent très pleines, car comme disait mon papa : «  T’as des projets, t’as des amis ? Alors ça va ! ». J’ai surtout la chance de la partager ma vie avec un homme que j’aime, de savoir que mes enfants sont prudents (même si je suis impatiente de voir revenir ma fille d’Irlande), que mes amis vont bien ; que les apéro skype sont fort réconfortants, qu'Internet fonctionne bien. Et que nous avons un jardin !

J’alterne les temps d’engagements associatifs avec des visioconférences (où la joie reste bien présente heureusement) et des temps de projets jardinage, rangement, ce qui fait que dans la phase 1 on dirait vraiment qu’une tornade a traversé la maison… gros déballage avant le rangement… Pour le jardinage et le potager, on part niveau 0... Une belle aventure ! On commence par les radis, paraît que c’est fastoche. Une copine nous fait des plants de tomates, on verra bien ! Je me surprends à regarder pousser les fleurs, je ne leur parle pas encore… mais…. c’est un risque !

La MJC de ma ville où j’ai des responsabilités, me réchauffe vraiment le cœur par l’implication et l’inventivité dans cette crise majeure, tant du côté des salariés que des bénévoles. La question du lien entre tous est vraiment centrale C’est la même chose pour l’association régionale et nationale d’Education nouvelle et populaire dans laquelle j’occupe des fonctions d’administratrice. J’y mesure les solidarités, les soutiens, la créativité et j’essaye d’y contribuer… La vie est pleine de gens formidables. Et vraiment les visios pour moi sont importantes, VOIR les personnes c’est vraiment « un plus ». J’avais lu cela, petite dans un roman de Jules Verne, un téléphone à image… et cela continue à me fasciner… un peu comme les avions lourds qui volent…

Et j’ai facilement la larme à l’œil en mesurant petits et grands engagements des personnes, que je connais, que je ne connais pas, dans cette situation incroyable. Et oui, je suis d’une nature optimiste, quand on en sortira, je l’espère, on continuera à se retrousser les manches pour un monde autre , un monde meilleur. Je crois que nous commençons à peine à en prendre la mesure…