Confinement : dire ce qu’il se passe en pédopsychiatrie publique

Avril 2020, à l’heure du coronavirus, les professionnels de la santé mentale témoignent de ce qui se passe dans leur service
Média secondaire

Dire ce qu’il se passe en pédopsychiatrie publique.

Médecin pédopsychiatre, je travaille dans le secteur sanitaire et le médico-social, c’est à dire sur un secteur de psychiatrie infanto-juvénile et dans un CMPP, tous deux situés à Paris. Sur le secteur, au CMP, je suis consultant pour les enfants d’âge scolaire. Et PH responsable de la cure institutionnelle. Avec 2 autres médecins, nous nous occupons de cette unité ambulatoire qui reçoit à la journée une vingtaine d’enfants, les plus malades, certains scolarisés d’autres pas. Cette Unité est composé d’un groupe scolaire thérapeutique (sorte d’HDJ) et de 2 CATTP pour petits et grands. Le soin est essentiellement groupal et inspiré de la psychothérapie institutionnelle et de la psychanalyse. Nous accueillons également bon nombre de stagiaires infirmiers, psychologues, psychomotriciens et internes. La cure est un lieu de formation et de transmission. L’enveloppe institutionnelle se tisse au travers du soin mais également les synthèses, les reprises après chaque demi-journée et nos liens avec les partenaires. Elle se situe en intra avec architecture pavillonnaire sur jardin. Au CMPP, j’exerce en tant que médecin consultant et thérapeute pour enfants.

Dès le 13 mars, il y a eu un effet de précipitation, un mouvement de panique impulsé par les politiques et les pouvoirs administratifs de devoir FERMER TOUTES les structures de soins accueillant les enfants les plus fragiles (autistes, psychotiques, enfants déficitaires). Nous n’avons pas pu penser un soin alternatif pour ces enfants et ces adolescents reçus au quotidien dans nos structures spécialisées. Nous n’avons pas eu le temps. L’accueil et le soin en institution type CATTP, hôpital de jour ou institut médico-éducatif ne sont pas optionnels ou à la carte, il s’agit de soins indispensables se déroulant sur la continuité et la durée. Ça fait vivre l’effet d’un débranchement total, ultra violent au travers ce mouvement de panique et de peur de toute part.

A la marge, assurer un accueil sectoriel pour les urgences sur site avec une permanence soignante réduite. La majorité des soins et des suivis du service s’est donc dématérialisée selon un seul credo, la télécommunication et le mot d’ordre de la CONTINUITÉ. Les équipes ont emboîté le pas, faisant preuve malgré tout d’une grande inventivité.

Le confinement au delà de l’arrêt brutal des soins nous fait expérimenter la difficulté de maintenir cette continuité à visée thérapeutique auprès de certains enfants suivis et leurs familles, du fait de la barrière de la langue, de l’absence de savoir faire pour manier les outils numériques. Il y a des tas d’éléments très concrets d’injustice sociale qui par voie de conséquence majorent les aspects délétères du confinement. La perfusion médiatique avec la télé H24 en fait partie, imposant la peur voire la diffusion de la terreur. Elle favorise la résurgence d’anciens traumatismes, font vivre des fantasmes d’anéantissement ou de mort imminente chez les enfants comme chez les adultes au delà de toute rationalité et malgré notre présence à leur côté. Comment imaginer sereinement le confinement pour certains enfants très malades aux manifestations bruyantes très difficiles à vivre pour les familles. D’autres peuvent être dans un premier temps sidérés, sans manifestation, ce n’est pas plus rassurant. Il nous faut pouvoir les évaluer cliniquement et régulièrement mais par téléphone c’est le plus souvent peu contributif et nous laisse dans l’impuissance et le manquement d’aide à autrui.

Se laisser convaincre que les outils de télécommunication suffisent à assurer la continuité est un vrai danger pour aujourd’hui et pour le futur de nos pratiques.

Il faut évidemment rouvrir les structures au plus vite. Disons laisser le soin aux soignants de pouvoir inventer des modalités d’accueil sans prendre de risque, ou avec un risque considéré et évalué. Recevoir un ou 2 enfants sur des demi journées. Utiliser les espaces à ciel ouvert au maximum, avoir un jardin attenant donne tout son sens. Initier des modalités itinérantes dans le quartier, par exemple les binômes à vélo pour déposer un courrier ou dire bonjour.

Il nous faut être inventifs, créatifs, et surtout nous en laisser l’opportunité.

Nos inquiétudes se portent aussi vers les enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Certains ont été déplacés du jour en lendemain de leur foyer d’accueil pour être mis en famille d’accueil en province. Des adolescents, parfois mineurs isolés sont à l’hôtel faute de structures d’accueil. Ces profils d’enfants ayant déjà vécus des abandons, de la maltraitance, des abus sont bel et bien mis en situation d’extrême précarité psycho-sociale intolérable.

L’ampleur de la crise sanitaire, dois je le rappeler est le résultat d’une mort annoncée de l’hôpital public, tous secteurs confondus. Nous voyons d’ores et déjà en psychiatrie de l’enfant les dégâts occasionnés et d’autres à venir.

Depuis Avril 1996, date de la mise en place des ordonnances Juppé, les politiques de droite ou de gauche ont emboîté le pas d’une destruction de l’hôpital public. Nous les soignants sommes très en colère voire horrifiés par ce qui se passe en terme de pénurie de moyens humains ou de matériel mais pas étonnés. On ne peut pas dire qu’on n’avait pas interpellé en amont les politiques des risques encourus d’une catastrophe même sans coronavirus. Ça fait des mois que nous sommes en grève à battre le pavé sans être entendus. Sourd, on pouvait alors lire un des slogans en tête de cortège « l’État compte ses sous, nous compterons nos morts ». L‘austérité exercée sur un quart de siècle, oui tue à grande échelle. Sandrine Deloche Médecin pédopsychiatre, Paris Collectif des 39, collectif pour le printemps de la psychiatrie

Un autre témoignage en pédopsychiatrie

On voit ici, à la travers le texte de S Deloche que la continuité des soins est rendus impossible avec un public d’enfants qui ont des troubles très importants. C’est aussi l’avis, d’un psychologue en CMP qui témoigne ici

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En secteur adultes

Par contre, du côté des adultes, des inventions restent possibles pour continuer à faire du collectif. Ici, l’exemple d’un club thérapeutique.

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