Confinement et publics précaires

A l’heure du confinement, comment se passe l’accompagnement des publics précaires ?
Média secondaire

Printemps 2020. Du fait de la présence du coronavirus, la France vit confinée : chacun doit rester à son domicile, les sorties ne peuvent se faire que pour des raisons importantes et restent limitées.

Que vivent alors les plus précaires ? Les sans-abris ? Ceux qui ne peuvent rester chez eux, ni limiter leurs déplacements extérieurs ? Quels accompagnements les structures ont-elle mis en place pour leur permettre de vivre malgré les contraintes qui se rajoutent à celles de leur quotidien ?

Deux interviews viennent répondre à ces questions : le premier à la Halte Boutique Solidarité de Toulouse, le second à la Halte Santé.

 

Entretien avec Christine Régis, Boutique Solidarité de Toulouse, réalisé par Henri Santiago Sanz, comité de rédaction de VST Toulouse, 24 avril 2020

Henri Santiago Sanz : Bonjour Christine, tout d’abord peux-tu te présenter, présenter la structure, le public accueilli ? Christine Régis : Bonjour, je suis Christine Régis, je suis cheffe de service de la Boutique Solidarité de Toulouse. Les Boutiques Solidarités font partie du réseau des accueils de jour de la Fondation Abbé Pierre. C’est important de le dire parce que c’est un réseau et cela représente une force. Nous accueillons des personnes en situation de précarité et grande précarité. Ça peut être des personnes à la rue, en squat, dans une voiture, chez un tiers en foyer d’urgence ou d’insertion… D’autres ayant été à la rue et ayant désormais un appartement mais qui sont toujours en situation de précarité… ou des personnes en appartement et qui se sont retrouvées en situation de précarité… Toute personne dans ce type de situation… sauf les mineurs…

HSS : Quel est plutôt le profil type des personnes qui fréquentent ce lieu ?

CR : Hé bien… ce sont plutôt des personnes qui sont à la rue. Ce qu’ont en commun beaucoup d’entre eux, ce sont les ruptures familiales, institutionnelles. 80 – 85 % d’hommes… Tous âges mais beaucoup entre 25 et 45 ans même si depuis quelques années, nous accueillons de plus en plus de jeunes… Moins de 25 ans. Des jeunes qui très souvent sont sortis des institutions en « sortie sèche » donc sans prise en charge… mais aussi, on a de plus en plus de personnes qui sont à la retraite avec de très petits revenus. (de plus en plus de femmes)

HSS : Sur les profils :en matière d’addictions, chiens… solitude, vie en groupe ?...

CR : Le point commun entre les personnes qui viennent ici, c’est un désir de faire un minimum de lien social. Certaines viennent juste pour se mettre à l’abri, dormir un peu, boire un café et repartir, c’est vrai mais le plus gros, c’est des personnes qui sont en recherche de lien… A propos des dépendances… A peu près un tiers… Les produits, c’est l’alcool… Pour les produits illicites, c’est plutôt les jeunes et ce d’autant plus que quand on prend des drogues dures, on ne vieillit pas beaucoup. Pour les chiens, c’est aussi plutôt les jeunes. En fait, on a un profil traveller particulier parce que certains bougent mais beaucoup restent dans Toulouse intramuros… Ils ont l’apparence traveller mais ils restent en ville…

HSS : « Voyageur immobile » comme chantait Higelin…

CR : (Rires). Oui, exactement.

HSS : OK. Maintenant qu’on a vu ces gens-là, est-ce que tu peux nous parler de la structure, de ses missions et des personnels ?

CR : La Boutique Solidarité de Toulouse est organisée autour de quatre missions : accueil, écoute, orientation, accompagnement. Pour l’accueil en tant que tel, on essaye de faire en sorte que les personnes nous donnent leur prénom, vrai ou faux, on accueille la personne telle qu’elle est, telle qu’elle se présente. Le but c’est de mettre en place un premier lien avec eux. En temps habituel on propose les services douche, bagagerie, petit déjeuner, laverie sociale, ce qu’on appelle les services de base. Ensuite, il y a les orientations. Nous faisons les évaluations des situations sociales des personnes. On va rentrer dans le détail quand la personne « est en démarche de ». Certains ne veulent rien du tout, on les laisse tranquilles, ils sont là, c’est tout. Nous avons une équipe pluridisciplinaire. Pour les évaluations, il y a les travailleurs sociaux dont deux éducatrices spécialisées, une monitrice éducatrice. On a aussi un éducateur sportif parce qu’il nous semble important qu’il y ait des moyens de médiations pour pouvoir créer le lien. Du coup, on a des ateliers sportifs avec l’éducateur sportif qui propose du foot, de la boxe. Pendant un temps, il faisait même de la sensibilisation à la gymnastique douce pour les femmes, toujours pour essayer de créer du lien avec les personnes. Voilà… et puis nous avons aussi des accueillants-animateurs, qui sont souvent les premiers à accueillir les personnes, et donc apportent une attention particulière et fondatrice dans le lien avec les personnes. Mais aussi, au-delà du sportif, on propose des ateliers culturels, théâtre, écriture-dessin avec une psychologue, jardin… Sur le versant sanitaire, nous avions une infirmière qui vient de partir à la retraite que nous n’avons pas encore remplacée à cause des gros problèmes que nous avons rencontrés ces derniers temps. Mais ça va se faire, les besoins sont là. En plus, l’équipe se compose d’un moniteur éducateur, qui lui est principalement sur la maraude en gare, partenariat que l’on a depuis très de 10 ans avec la SNCF. Il a comme mission d’aller vers les publics, d’évaluer les besoins afin d’orienter ou de faire des accompagnements individuels. Il intervient aussi sur la boutique sur les temps d’accueil. Au delà du lien, la dimension de veille est aussi au centre de notre travail.

HSS : Là, il est important de dire que vous n’êtes ici que depuis peu suite à une grosse crise liée à votre ancien emplacement. Tu peux en dire un mot ?

CR : Oui. La Boutique Solidarité depuis sa création, 1995, était à la rue des jumeaux, à proximité de la gare. C’est un quartier que nous ne voulions pas quitter car, c’est connu, il y a des besoins, il faut être là où sont les publics. Or, il s’avère que d’une part nous étions dans le périmètre du projet TESO1 et d’autre part, que le propriétaire voulait récupérer le bâtiment. Nous étions donc en recherche d’un nouveau bâtiment à proximité, sans y réussir. Le projet TESO a fait que le quartier a été évacué de ses habitants dans la perspective de la démolition et, ces derniers temps, il a été complètement abandonné. C’est devenu un quartier sinistré, glauque au possible. Beaucoup de violence, beaucoup de deal à la vue de tout le monde, le contexte souvent tendu de la prostitution... Des squats sauvages se sont créés. On a essayé de prendre contact avec eux mais ils ne voulaient rien du tout. Beaucoup de violence donc. On a occupé une place de médiateurs dans le quartier. Quand il y avait des problèmes, les gens venaient nous chercher mais c’était très difficile… le climat s’est dégradé, on a subi nous-mêmes de la violence en tant que salariés par des personnes que l’on ne connaissait pas du tout. Lorsque ce sont des personnes que l’on connait un peu, on peut 1Le projet TESO (Toulouse Euro Sud-Ouest appelé désormais « Grand Matabiau ») un projet qui programme la démolition et reconstruction d’un pan important au bas des quartiers Bonnefoy et Périole, à proximité de la gare Matabiau. Ce projet prévoit une gare TGV, des centres commerciaux, des bureaux et des logements à loyer élevé ainsi qu’une tour de verre de 150 mètres de hauteur, tout ceci en lieu et place des habitats populaires historiques. négocier, faire du lien, avec ces personnes inconnues, c’était impossible. Il y avait des bagarres entre eux dans lesquelles on ne pouvait pas faire médiation. On s’est retrouvés en danger. On a vu des gars armés de couteaux, de barres de fer… C’était une forme de violence gratuite étonnante… On a appelé la police plusieurs fois – ce qui n’est pas vraiment dans nos habitudes mais là, ça nous dépassait– on a sollicité entre autre la préfecture, qui a comme compétence l’accompagnement des publics en précarité, mais on n’a pas vraiment été entendus malgré les diverses interpellations dans ce moment très difficile (...)

Vie sociale et confinement: à la Halte santé de Toulouse

Cet interview, d’une responsable d’un lieu d’accueil, nous explique comment se déroule l’accompagnement des personnes en situation précaire. Pour compléter cette approche de la précarité au temps du confinement, l’article suivant vous propose une autre interview de professionnel, dans le secteur de la précarité, ici un éducateur de la Halte Santé de Toulouse.

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Coronavirus et confinement : du côté des professionnels

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