Dessiner le vieux Tende

S'installer dans la rue et dessiner. Jouer aux artistes ? Pas sûr... Rien de plus naturel pour les enfants quand dessiner c'est garder la trace d'une curiosité, d'une imprégnation faite les yeux, les narines et les oreilles grandes ouvertes
Média secondaire

Le vieux village de Tende ne se laisse pas prendre facilement. Bien sûr, il apparaît en majesté lorsqu'on arrive depuis la vallée par la nationale ou le train, accroché à la montagne, dominé par son clocher ocre et rose, sa tour de l'horloge et le pan de mur unique vestige du vieux château. Puis il disparaît, comme caché par le manque de recul qui nous empêche de le voir depuis le cœur commerçant installé le long de la route nationale. Pas de rue engageante pour le rejoindre, pas ou peu d'indication touristique, pas de bruit venant d'un village acquis à la tranquillité de l'ombre. Le vieux Tende se cache, on l'oublie et on le laisse à ses secrets.

Seule piqûre de rappel ce panorama fugace entrevue en contre-plongée depuis la route et qui nous dit à chaque fois « Tout de même, on ne peut pas passer un mois de vacances dans cette montagne sans aller y jeter un coup d’œil. » Alors cet après-midi, c'est décidé, avec un petit groupe d'enfants on visite le vieux village.

Cemea

Se perdre dans les rues du village

 

On longe les commerces le long de la nationale très passante et à la première ruelle à droite qui nous fait de l'œil, on tente l'incursion. Les rues sont désertes mais la vie a laissé des indices de présence. Du linge étendu aux fenêtres, des chaises et des bouteilles d'eau sur le pas des portes. Des terrasses ou des cours équipées pour des repas.

Boucle d'or irait bien goûter une pêche dans la coupe laissée sur la table. Ici une fontaine, là un lavoir. Ça monte, ça tourne à angle droit ou en épingle à cheveux. Des escaliers, par dizaines, mènent aux maisons. On hésite toujours entre prendre ici ou là. Seul repère, la déclivité de la rue. Enfin, la montagne et le ciel réapparaissent. On est au cimetière, tout en haut du village. Premières personnes rencontrées, des morts en noir et blanc qui nous regardent depuis les caveaux installés en espalier. On grimpe encore. Le vent nous rejoint lorsque la vue s'ouvre sur le glacis de toits de pierres des maisons étroites. Un camaïeu de gris et de détails gardés par les clochers.

On ne peut guère que redescendre. On se délecte de se laisser perdre à nouveau dans ce dédale. On tourne, on vire. Et on tombe nez à nez avec un vivant. Les ours ne tardent jamais à rentrer. « Alors, on se promène les enfants ? » nous lance-t-il en sortant un sac de ciment de son Piaggio, la voiture de Oui-oui comme font remarquer les enfants. En fait, l'un des rares véhicules suffisamment étroit pour s'engager dans les ruelles les plus larges. D'autres rues ne connaissent que le pas de l'homme et dans des temps plus anciens ceux des ânes et des mulets. La place de l'église est encombrée de voitures, seul et unique « parking » du village. Des marches nous appellent pour nous asseoir et nous restaurer.

 

Dessiner ce que l'on voit

 

Outre le goûter, je sors du sac à dos des cartons et des feuilles à dessin, des crayons gris et des bics. Chacun choisit sa marche, s'installe et regarde. Peu de consignes. Dessiner ce que l'on voit.

Concentration, application. Les enfants dessinent de manière quasi clinique. Aucun détail ne doit manquer. Précision extrême, de l'antenne parabolique à la tête de cheminée, en passant par les huit branches de la croix en haut du clocher. Ils n'ont pas encore l'âge de se demander s'ils savent dessiner.

Activité ante-diluvienne qui aiguise le regard. Mais aussi l'imagination, l'art de la représentation. Yanaëlle me demande une autre feuille. Je lui demande si son premier dessin est terminé. Elle me le montre, saisissant de vérité. Le second sera un dessin de mémoire, juste mais reconstruit. Elle ne peut plus voir le village vu du ciel mais s'en souvient parfaitement. Et c'est un labyrinthe qui se construit où le regardeur se perd parmi ces escaliers et ces maisons identiques. De la pointe du crayon, on pourrait chercher et tracer un chemin pour s'échapper, peut-être en empruntant le pont qui enjambe la rivière.

La promenade a nourri les dessinateurs. Elle a engendré des rencontres, impressionné la matière sensible, provoqué des sensations qui ressortiront à l'occasion du dessin. Dessiner le village peut être le prétexte qui donne l'occasion de sortir et de se promener. La promenade est un préalable nécessaire au dessinateur ; c'est le moment où il se charge. Le dessin est l'occasion d'un regard appuyé et traduit graphiquement.

La fin de l'après-midi approche. Il faut un peu presser les dessinateurs, incapables d'abandonner tel ou tel détail, de sélectionner, de renoncer à l'exhaustivité. Les dessins resteront inachevés. On aurait pu travailler la couleur, sur place ou de retour au centre. On aurait pu revenir. On reviendra.

 

Un groupe d'enfants dessinent le vieux village de Tende

Cet article a été publié dans les Cahiers de l'animation - Vacances Loisirs n° 88 en Octobre 2014