Dérapage de liberté
Il est des démarches qui vivent leur vie tranquillement et qui risquent de coller à une routine sclérosante et interdisant les questionnements susceptibles de remanier en profondeur leur cheminement. Il n’est jamais négatif de gratter un peu le vernis pour toucher à l’essentiel et le passer au révélateur de la pensée. Il n’y a pas de certitudes, juste quelques interrogations, quelques doutes à livrer à la sagacité des lecteurs et lectrices.
Dérapage de liberté sur le circuit Freinet ?
Il est parfois si facile de se laisser endormir par une démarche pédagogique (c’en est un des invariants) qu’on pense efficace et infaillible, facile de la modifier insensiblement et involontairement pour servir des intérêts éducatifs auxquels on croit, facile aussi de ne jamais l’interroger au-delà des frontières de son domaine réservé. Et nous sommes toutes et tous sous la menace de cette commodité. La mesurer à d’autres relève de la recherche pugnace qui peut remettre en cause des habitudes et ébranler un édifice qu’on a mis tant d’années à amener à la stabilité, à l’équilibre. Il en est ainsi du « texte libre » de Célestin Freinet… et surtout de ses applications.
Une des démarches qui existe pour faciliter le passage à l’acte d’écrire c’est le texte libre (pédagogie Freinet) promu par l’ICEM[1] et ses militant.e.s et praticien.ne.s. Méthode qui a résisté à l’érosion des ans et des gens, qui fonctionne à merveille dans le « in » de l’école mais qui me laisse perplexe quant à sa transposition dans le « off » des loisirs, pour lesquels d’ailleurs elle n’a pas été créée. Je vois bien l’efficacité (sic) d’une telle démarche à l’école mais pas du tout hors l’école avec des personnes déjà cabossées, il me semble que dans ces lieux d’éducation, de coéducation on acquiert aussi des compétences et pour ce qui concerne celle d’écrire, la liberté a besoin nécessairement de cadre et de plus de contraintes qui l’ouvrent, la rendent totale et effective. Mais là n’est pas mon propos immédiat, je veux ici questionner, affiner le concept de liberté, le raffiner jusqu’à en tirer des gouttes de sens, de l’essence de pensée. Ce qui permet l’émission d’une liberté c’est bien l’existence de règles qui bornent sa réalité même. Mais si ces règles sont coercitives et touchent à l’ancillaire (dans le sens où l’enfant est serviteur des corrections, du bon vouloir, de l’autorisation et de l’autorité des autres) , elles vont à l’encontre de leur utilité et de leur nécessité.
Mais à partir de quand la liberté est-elle assurée ? À partir de quand ou de quoi le cadre ouvre-t-il la cage ? À partir de quoi ce qui est bridé devient libre ? Il me semble que la dénomination « texte libre » soit quelque peu usurpée. En effet cette notion de liberté ne vit que lorsqu’elle a été expliquée, comprise et que chacun.e possède les outils cognitifs adéquats. Je ne remets pas en cause ici une démarche quasi centenaire, rompue à la réalité des élèves ainsi qu’à maintes critiques mais qui fonctionne très bien, ce que je veux interroger c’est le sens exact de son appellation. Mon souci est plus dans l’exploration minutieuse d’une méthode qui s’est cantonnée dans le « in l’école » pour vérifier son adéquation ou sa transposition possible dans l’univers du off. Ainsi que son adaptation, sa transposition, son utilisation par les personnes qui la pratiquent.
Il s’agit plus d’une réflexion réactive à voix tracée en italique que d’une polémique vaine.
Cela me pose question et me convainc de m’atteler à la décortication systémique de cette démarche. Dans le cas du texte libre souvent il ressort du réchauffé, du digéré, de l’entendu, du déjà dit, du jus de la vigne aïeule, des bribes transformées d’histoires entendues, écoutées ; pour beaucoup il s’agit d’une fausse invention, sortie d’u51 lne simili-imagination, d’un torticolis de l’imaginaire, d’une pensée mâchée. La proposition du texte libre dès son énoncé paraît erronée, il y a de l’esbroufe (sans nul doute à l’insu) dans cette acception. Je comprends bien l’intention et le bien-fondé de cette manière d’aborder le récit, la langue mais je conteste son aspect « magique » et son côté « tout est possible », je crois que plus on est à l’aise avec les mots, la langue, plus la palette est large alors qu’avec des entrées ludiques dans l’écriture (je ne me place pas ici que dans des situations d’animation mais d’éducation en général) tout le monde est à égalité (peu importe le niveau de maîtrise de la langue) dans la production de textes. Le milieu scolaire impose des situations d’apprentissage, c’est une de ses raisons d’être mais c’est aussi un frein indéniable à l’autorisation de dépasser les bornes, de braver l’interdit (on se fiche de l’orthographe, de la grammaire et de la syntaxe et on se paye le droit d’user de néologie et de néologismes). Cette contrainte (statutaire et légitime) entrave quelque peu la belle idée de liberté. Ailleurs, dans les tiers-lieux de la coéducation, on peut expérimenter des démarches sans l’épée de Damoclès du verbe apprendre, il s’agit de loisir, ce qui autorise des approches plus ludiques (mais qui vont au-delà et n’ont rien à voir avec des jeux d’écriture) encore et des tentatives d’expérimentations débridées voire d’innovations réfléchies. Et tou.te.s les découvert.e.s possibles sont autorisé.e.s.
Il semble que « l’infraordinaire » cher à Georges Pérec permette une liberté plus libre, plus détendue, moins île déserte, que cette conception de l’accostage au rivage de l’écrit est plus à la portée de tous.toutes et favorise une proésie plus originale, moins convenue.
J’en veux pour preuve la grande diversité des œuvres lorsqu’il s’agit de proposer un exercice à partir des mots des autres, et à cette occasion quel que soit son niveau de langue, chacun.e parvient à créer, à inventer de toutes pièces un texte jamais écrit par personne d’autre. A-contrario peut-être qu’en fait le texte libre réserve-t-il sa liberté aux élèves (et encore qu’à certain·e·s) et pas aux enfants ? Et c’est ce qui me tracasse et ne manque pas de me questionner sur la légitimité de cette approche si elle n’est pas mâtinée d’autres entrées moins scolaro-centrées. Qu’est-ce qui la distingue de la rédaction classique que j’avais à faire dans les années soixante où on me demandait de raconter mon dimanche ? Une direction était donnée mais chacun.e pouvait s’emparer avec son intime de ce sujet bateau et même pas ivre. Et plus on avait passé un dimanche riche d’expériences diverses, plus on en avait à raconter et plus on savait raconter plus on avait des chances d’obtenir une bonne note ! J’ai peur que le texte libre ne cantonne l’enfant dans un conformisme caché sous une pellicule de pseudo-liberté imaginaire qui se contente d’algorithmer à partir d’une matrice des versions clone de textes mille fois copiés et à peine métissées de réelles inventions. Les propositions de déclencheurs se doivent d’être variées à foison et de s’appuyer sur des parti-pris surprenants, précédées souvent de lectures inattendues qui donnent à entendre des textes qu’on dit à tort réservés à l’intelligentsia. Il faut que les enfants sachent (apprennent à) s’emparer d’un rien, d’un peu si petit que personne ne le remarque, d’un détail qui échappe à tout le monde et qu’ils se contentent de l’écrire et de le décrire. Le moindre grain de poussière mérite que les mots lui rendent hommage.
la transformation du texte, sa mutation ne dépossèdent-t-elles pas l’auteur.e ?
...les transformations dictées par le désir et l’obligation d’une correction du texte n’incarcèrent-elles pas le texte libre, ne l’emprisonnent-elles pas ? On le dit devenu œuvre mais n’est-ce pas la forme définitive d’une douce aliénation à la langue, d’une imperceptible inféodation à une norme toute puissante qui annihile la liberté initiale d’un texte devenu commun (dans tous les sens du terme). Les injonctions à apprivoiser les partitions grammaticales, syntaxiques et de la belle orthographe s’apparentent alors à des leçons latentes données par des propriétaires imbu.e.s (les bons élèves) de leur savoir et qui deviennent de fait les instruments d’une doxa castratrice et les complices d’un schéma qui favorise l’acceptation muette d’une situation qui maintient les enfants en difficulté sous l’emprise paralysante du jugement des meilleurs.
La liberté n’est alors convoquée que lorsqu’on possède les fondamentaux et qu’on est dans le camp de celles et ceux qui savent ! Et cet état de fait accentue l’écart entre cette élite encouragée par la place qu’on lui offre, qui lui donne un pouvoir à exercer selon son bon vouloir et les autres qui subissent cette main-mise et se plient à une expertise validée par l’institution. Les textes initiaux peu à peu ne sont plus, ils deviennent d’autres textes qui échappent peu ou prou à leurs auteur.e.s. Il y a un vol à l’étalage autorisé et même recommandé. Peut-être exagéré-je un peu ? Et pourtant rien n’est moins sûr, en effet, combien de textes peuvent avec ce traitement se trouver dépecés, équarris, modifiés, dénaturés ? Et combien d’enfants dupés, spoliés, déçus ou pire satisfaits croyant avoir produit un texte qui est le leur alors qu’il ne leur appartient déjà plus ainsi qu’aucune des formules qui l’ont fait et le font. N’est-ce pas prendre les enfants pour des canards sauvages (pour être plus familier que vulgaire) ? C’est en tout état de cause les tromper et les cantonner à être auteur·e·s de textes martyrs qu’on s’autorise pour de bonnes raisons pédagogiques à caviarder, à réduire, à améliorer !
À partir de quand décide-t-on qu’un texte libre est bien celui de l’auteur.e ? Quand en est-on certain ?
« La spontanéité n’est pas la créativité » disait Célestin Freinet
L’imaginaire n’est jamais l’invention totale chez l’enfant et c’est pour cela qu’il est nécessaire de le fuir lorsqu’on engage des tentatives d’écriture (cf Pérec). Dans « espèces d’espaces », « penser/classer, « tentative d’épuisement d’un lieu parisien » ou « l’infra-ordinaire » Georges Pérec donne des pistes pour permettre à chacun.e une appropriation personnelle des instruments de « l’écrire ». Il démontre qu’en laissant les mots venir sans les forcer ils sont les prolongements des sens, de tous les sens. Et que la nouveauté est là qui naît à chaque trace. On est certain.e que ce qu’on produit comme texte n’a jamais été écrit par quelqu’un.e d’autre, on est au cœur d’un processus de création exceptionnel, presque infaillible et somme toute facile qui rassure et réconcilie avec le fait d’écrire. Écrire se fait accessible et c’est presque une évidence...
D’autre part qu’en est-il de la censure ? Celle des idées mais aussi celle de l’orthographe, de la grammaire, de l’orthodoxie des prescriptions de l’enseignement. Comment être certain que l’adulte ne s’empare pas du travail de l’enfant ? En le manipulant (pour son bien dit-on), il faut nommer les actes par leur nom, en l’aiguillant vers une langue qu’il estime « correcte » ? Pour que le texte de l’enfant se conforme au vouloir de l’adulte parce que c’est la règle et que l’enfant devenue.e adulte se glisse bien dans le carcan d’une norme qui interdit le hors-piste.
Le concept d’auteur.e principal des textes des autres me paraît dénaturer d’une manière ou d’une autre le texte du.de la prim’auteur.e. N’oublions jamais que l’auteur.e est propriétaire de son texte et a le droit d’en faire ce qu’il.elle veut : le mettre de côté, le déchirer, le froisser, le ranger et tout cela sans le donner ni à voir ni à entendre, ou le lire à haute voix, le donner à lire par un coreligionnaire, ou enfin le faire passer pour que les autres puissent en prendre connaissance. Le texte peut également être affiché ou suspendu, mis à sécher sur un fil.
La transformation désapproprie de toutes façons toujours un peu l’auteur.e. le danger d’utiliser l’analyse tirée (à l’insu ou non) du sens de ce qui est écrit fausse indubitablement le naturel de celui-ci et peut entraîner l’auteur.e, crédule ou influençable dans une voie qui n’est pas la sienne mais celle par défaut des autres (y compris de l’adulte). Il y a là comme un leurre qui éloigne de la liberté. Et un danger de jouer à l’apprenti.e-sorcier.sorcière.
Freinet disait que la spontanéité n’est pas la créativité (« laissez les enfants spontané·e·s et ils·elles vont vous raconter des réclames) et j’affirme (propos étayé par de nombreux exemples constatés sur le terrain) que spontané·e·s ils·elles écriront des histoires de princes, de dinosaures ou de dragons, des jikarollingades (abondamment pompés sur Harry Potter and co) ou éventuellement de dinosaure-princesse alors que créatif·ves (grâce aux contraintes, oulipiennes en particulier) ils·elles écriront inévitablement quelque chose qui n’a jamais été écrit en s’appuyant sur ce que leur chuchotent leurs sens et les alentours. La censure en creux est antérieure à l’acte d’écrire, il faut qu’elle le soit et elle le facilite, elle le libère alors, elle permet de se lancer et de s’aventurer. De se dire et se savoir capable de, d’oser ce qu’on n’a jamais osé oser enfin.
Quelques pratiques et des convictions
Dans la veine et la droite lignée de ce qui précède j’ai envie de vous parler d’échauffement. De la même manière qu’avant un effort physique il est nécessaire de s’échauffer pour ne pas se claquer ou se faire une élongation, avant d’écrire il est bon de faire de même tant cet agir particulier est un sport à part entière et nécessite d’être en forme pour démarrer d’abord, prendre de l’élan ensuite puis atteindre enfin sa vitesse de croisière. C’est par le bide qu’on écrit, c’est le cœur qui bat les mots et on s’essouffle vite si le corps ne s’est pas préparé à la fête autant que la tête. Écrire c’est une prouesse physique, plus peut-être qu’un effort mental.
L’échauffement permet en outre de se débarrasser des scories qui grippent la mécanique de la création, de trier les déchets intimes qui embarrassent la pensée, de se laisser aller à une logorrhée proche d’une chevauchée, sans barrières et sans le souci du sens. On lâche les chevaux et loin de les achever on les délivre.
Une proposition d’échauffement propice à une appréhension de l’écriture positive et prolifique peut être la suivante : un déclencheur, une phrase, un mot qui peut servir de refrain, des contraintes (votre stylo ne doit jamais s’arrêter et un temps donné : 5’). Contraintes auxquelles on ajoute un fort conseil : surtout ne réfléchissez pas ! Et les mots filent, giclent comme du sang de sens au rythme choisi par le cœur et à qui le ventre donne naissance. Et la page se met à respirer au gré de ses battements.
La pensée prend forme définitive. Et la donner à entendre lui prête une ampleur insoupçonnée. On est surpris.e par la puissance de ce que l’on a tracé sur la page.
La démarche que je défends s'appuie sur un postulat d'évidence qui montre que plus l'écriture est loin (en apparence) de soi, moins elle est intime (en apparence) plus il est facile de se laisser aller aux mots en toute liberté. Tenir le « je » à distance, accepter aussi qu'il s'immisce en loucedé , mais le repousser lorsqu'il se fait pressant, et cueillir surtout matière dans l'ici et l'ailleurs, dans l'autour et l'alentour, amuïr l’introspection pour creuser le terreau des écrits et de leurs supports (il y en a partout des mots à triturer, tisser, recopier, emmêler, trahir...sur les emballages, dans les vitrines, sur des panneaux de signalisation, plaques d’immatriculation, numéros de téléphones, flyers, conversations) et ne rien s’interdire sinon la retenue. Dire non également à toute tentative d'intimidation des empoisonneuses de la création littéraire, à savoir : l'imagination et l'inspiration (apanage des romanciers, des romancières), les deux sœurs boxeuses d'authenticité. Leur interdire l'invasion virale de l'esprit. Ce n’est pas le manque d’inspiration qui empêche d’écrire, c’est l’inspiration qui nivelle et banalise les propos (qui sont alors puisés dans la morosité d’une masse qu’on croit riche et qui n’est que l’émanation étique d’un conscient collectif qui raconte toujours la même histoire) Paul Claudel disait : « le poète est celui qui a réconcilié l’oncle et le furoncle ». j’aime beaucoup cette citation qui met la barre à la fois très haute mais aussi assez basse pour qu’elle soit franchie par toutes et tous. Il est nécessaire de faire un sort à une conception de la poésie poussiéreuse et ennuyante qui éloigne les enfants, les élèves, tout le monde de cette forme d’écriture. Il n’y a qu’en France que la poésie passe pour rébarbative aux yeux de beaucoup. Et je suis désolé de l’affirmer mais c’est souvent à l’école que cette détestation, ce mépris, cette mise à l’écart prend corps et se nourrit de la paupérisation des sources, des ressources qui (et pourtant elles n’ont jamais été si nombreuses, si inventives) se réduisent à une peau de chagrin, celle de classiques vénérés, véritables Everest (alléchants à conquérir quand on s’est frottés à des textes plus nôtres et moins neutres) alors qu’il faudrait des « Signal de Botrange »[2] ou des « monts d’Arrée[3] » pour commencer et se familiariser avec ce type de littérature.
Cette poésie méconnue permet une ouverture maximale de l’obturateur de la curiosité et donne à voir, à entendre une myriade de textes où l’invention le dispute à l’esthétique, et pour chaque oreille, chaque filtre personnel, culturel et de goût il y a à entendre, à déguster, à détester, à abhorrer, à accepter, à rejeter et chacun.e peut faire le tri et son choix dans le foisonnement rafraîchissant d’une flambée de mots au service de la langue, des lecteurs.trices et des auditeurs.trices. Les enfants et les adolescent.e.s sont beaucoup plus réceptifs.ives qu’on voudrait nous le faire croire, ils et elles ne se laissent pas dicter leur sentiment par une bienséance ambiante ou une norme dogmatique et prisonnière du carcan hiératique d’un ministère conservateur au possible. « Le Cid », « Don Quichotte », « l’Iliade et l’Odyssée » sont des textes merveilleux pour qui a savouré en zakouskis une langue plus proche, plus abordable et qui constitue un apéritif idéal pour attaquer les plats de résistance. Charles Pennequin, Christophe Tarkos, Jean-Pierre Verheggen, Christian Prigent, Valère Novarina, Rodrigo Garcia, Léo Ferré (sans oublier le rap et son frère le slam) pour imbuvables qu’il soient aux papilles des tenants de la propreté d’une littérature lessivée au karcher des gardiens de la probité, une littérature propriété des nantis, des lettré.e.s de toutes sortes, apportent pourtant une nouvelle idée du sens par le son et s’offrent en toute modestie d’un dit pseudo-intello parisianisme aux soifs aiguës des « assis » en quête de nouveautés rassurantes. N’en déplaise aux gardiens des culs coincés et d’une rigidité sclérosante dont la patine n’est pas précieuse et n’a rien de rigoureux !
La magie opère à chaque fois, et à la fin de l’envoi la touche[4] a visé juste. Après avoir entendu des textes dont on ne soupçonnait même pas l’existence, l’envie d’écrire, de s’exposer à la page, de dire avec d’autres mots, d’autres tournures, moins engoncées dans une nasse légale et réglementée, de dire ce qui vient à l’esprit, ce qui caresse l’envie, ce qui irrite la plume. Oh bien sûr, ce qui surgit ce ne sont que les prémices d’un envol futur, l’annonce modeste et modique d’un bien-aise à venir mais l’appel est pris là et si ténu soit-il le fil se déroule désormais, filigrane imperceptible mais qui amorce un processus de plaisir de créer à nul autre pareil. Il existe autre chose que ce qu’on m’a dit, et j’en fais partie et, plus, j’y participe. Le principe est bien d’accoster des rives, d’aborder des berges non encore découvertes et d’inventer son texte en étant certain.e que personne avant ne l’a jamais pensé, puis écrit.
Pour terminer, et il me semble que cette réflexion est loin d’être aboutie, les arguments vivent et cheminent dans ma tête, il faut que les rencontres se fassent, que des échanges prennent corps, que cette question de l’écriture préoccupe tous.toutes les acteur.trices des mouvements d’éducation nouvelle. Je ne suis certain de rien, je provoque un peu pour faire réagir et que le débat remue les consciences. J’agite l’encre dans la bouteille, que je lance à la mer, peut-être trouvera-t-elle preneur.euse ? Pour écrire un mot ?
Le papier se conjugue encore au présent
Il se chuchote que les gens d’aujourd’hui n’écrivent plus, ne laissent plus de traces lisibles, n’osent pas se donner à la page dans la nudité crue de leur intimité, il se dit que le papier est un combat d’arrière-garde, une bataille perdue d’avance, les restes d’un festin Gutenberg ou d’un « vicomte pourfendu »[5], les ruines d’un château détruit par les missiles du numérique ou les péripéties un peu barrées d’un « baron perché »[6]. Il se dit que les jeunes sont incapables d’aligner deux phrases correctes à la suite. Mensonges, méconnaissance crasse et dangereuse de la réalité ? Non pas. Mais campagne pour entériner un état de fait qu’on aimerait réel et significatif, certainement ! Écrire reste un outil redoutable et utilisé pour exprimer une opinion, pour hurler sa soif de rébellion, pour murmurer un poème, ou pour ouvrir sa pensée et produire de la matière à psalmodier. Et nonobstant ce qui se clame péremptoirement, écrire à la main est encore et sera toujours un levier contre l’obscurantisme et un instrument pour prévenir un autodafé digne d’un fahrenheit 2018 mais néanmoins à 451 degrés. Mais pour que chacun.e se sente en droit de produire du texte papier il est nécessaire d’accompagner la démarche et d’ouvrir les supports à une publication qui offre des espaces à un lectorat potentiel. Écrire pour soi ou pour être lu n’est pas une sinécure, c’est néanmoins l’occasion d’exercer sa plume et de tailler son calame, le moment de laisser une trace tangible et durable propre à entrer dans l’histoire, à intégrer les archives. Aujourd’hui le papier a une durée de vie autrement plus longue que les supports numériques ! Aussi peut-être est-il l’allié et l’avenir de l’écrit, contrairement à ce que l’inconscient collectif a coutume de penser ? Peut-être !
[1] Institut Coopératif de l’École Moderne
[2] Point culminant de la Belgique : 694 mètres
[3] Massif montagneux situé en Bretagne occidentale : 385 mètres
[4] Je quarte du pied, j'escarmouche,
je coupe, je feinte...
Hé ! là donc
A la fin de l'envoi, je touche. (Cyrano de Bergerac d’edmond Rostand)
[5] Livre d’Italo Calvino
[6] idem