Convivial ou consommatoire

Il est des situations où les points de vue des acteur·rices divergent profondément, où la notion de liberté n’a pas la même définition selon qu’on est dans l’encadrement ou qu’on a le statut de participant·e·s. Des situations où les sensations de chacun n’ont pas le même parfum
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Média secondaire

Image par Photo Mix de Pixabay


Parfois, le projet qu’on a pensé puis acté se trouve dévoyé par celles et ceux pour qui il a été réfléchi. L’inattendu survient là où on l’attend pas et la surprise est telle qu’on se retrouve piégé par ce que nous avons nous-mêmes mis en place. Autonomie et liberté ne sont pas si simples que ça à conjuguer.


Une expérimentation d'un séjour au ski de grands adolescents, en appartements, respectant les rythmes et les désirs, s'est transformée en tour opérator pour jeunes consommateurs.

C'était un projet bien attirant. rêvé puis proposé à un organisateur de séjours pour de grands adolescents : partir une semaine dans une station de ski, s'y installer dans trois appartements avec un adulte et quatre à cinq jeunes dans chacun. Y être autonomes par petits groupes de vie pour l'alimentation et l'organísation matérielle, se retrouver ensemble sur les pistes et le soir. Vivre le ski le plus possible mais pas de façon obligatoire, pouvoir faire des grasses matinées... En tait, vivre la vie de vacanciers dans une station mais de façon protégée, initiatique, en apprenant à y être acteur de ses vacances pour savoir les gérer pour de vrai, avec des copains, l'année suivante. Ce fut tout sauf évident.

Une dynamique du "toujours plus"

Un des trois appartements distant de trois quarts d'heure à pied du centre-ville avec une navette qui ne passait que toutes les heures et qui s'arrêtait de circuler à 8 heures le soir : le choix décisif de "qui va avec qui et dans quel appartement" effectué dans le train et amenant ceux qui n'étaient souhaités par aucun autre à se retrouver "ensemble" dans un des appartements, le plus éloigné de surcroît : et une limite minimum d'âge non respectée à l'inscription avec des "petits" de 14 ans, tout perdus dans cette aventure. Autant de difficultés difficiles à gérer dans la durée limitée d'une semaine, autant de difficultés mal anticipées par nous ou imposées en demière minute par l'organisateur. Ce à quoi nous ne nous attendions pas du tout et qui n'a rien à voir avec ces problèmes d'organisation, c'est que notre projet de vacances en station allait générer une dynamique de "toujours plus" entraînant les jeunes encore et toujours plus loin vers un comportement de "vrais vacanciers", où la notion de vrai était celle de rêves d'adolescents aspirés par les possibilités d'une vie presque adulte totalement inespérée. Ainsi, malgré les règles claires annoncées des le début. il est devenu très vite scandaleux aux yeux des jeunes de se voir imposer "comme en colo" une heure de rentrée le soir. lls ont également très vite trouvé scandaleux de se faire dire qu'il était peut être dommage et de toute façon impossible de ne pas aller skier deux jours de suite. Ils ont très vite trouvé tout aussi scandaleux de devoir rendre des comptes sur leur présence sur des pistes où ils skiaient en petits groupes et sans adultes quand ces pistes n'étaient pas celles ayant fait l'objet de négociations, d'accords et de contrats préalables. Ils ont aussi trouvé scandaleux de se voir imposer de penser, de préparer et de prendre ensemble le soir de vrais repas en s'en donnant le temps.

Comme le «Monsieur Plus» de la pub (allusion à une publicité des années 90 pour des biscuits), ils en demandaient toujours plus en étant entraînés dans une surenchère de revendication d'autonomie que notre structure de fonctionnement était bien en peine de limiter. lls étaient comme les grands, comme tout le monde, la structure du centre de vacances ne leur servant plus que de leur operator ayant organisé les choses pour la meilleure réalisation possible de leurs vacances individualistes et consommatoires, les adultes n'étant présents que pour leur faciliter la résolution de quelques difficultés matérielles,

Perdus dans trop de liberté

Nous avons combattu, nous n'avons pas démissionné, nous n'avons pas lâché sur tout, ce qui ne fut ni facile, ni satisfaisant, ni gratifiant. Nous étions sans doute allés trop loin dans notre projet de mise en autonomie avec des jeunes qui ne pouvaient pas la vivre à ce point, compte tenu de ce qu'ils étaient, de leurs âges, de leurs représentations des vacances à la neige. Non pas qu'ils étaient des jeunes "difficiles", loin de là. Mais les choix d'installation et d'organisation, la conception globale de ce séjour ne permettaient pas que le grand groupe existe et vive réellement ; et l'effectif limité des occupants de chaque appartement ne permettait pas non plus que la "masse critique" minimum permettant d'y vivre des interrelations riches et variées y soit atteinte. Ils se sont alors perdus dans trop de liberté offerte sans pouvoir profiter de ce que les fonctionnements collectifs pouvaient leur apporter; ils ont alors couru après le mythe des vacances-liberté en ne sachant pas quoi faire de cette liberté. Ils sont revenus très satisfaits de ce séjour : "les adultes avaient été super sympas, on était libres, on pouvait sortir le soir..." Nous étions beaucoup moins satisfaits qu'eux. Nous avions organisé un excellent séjour de ski, option beaufs...

 

Texte issu du dossier n° 5 des cahiers de l'animation