12h30 toujours personne

Avoir le temps... Au-delà de l’intention, comment la mettre en vie lors du temps de repas dans un accueil de loisirs maternel ? Un beau défi pour toute l’équipe du centre à commencer par le cuisinier !
Média secondaire

La question des rythmes est au cœur des débats aujourd’hui et les arguments (véridiques ou fallacieux) foisonnent au service de discussions qui vont bon train. La vie quotidienne est toujours autant à soigner dans l’organisation des accueils collectifs. On doit y avoir le temps de prendre le temps ! Le moment clé du repas est souvent expédié, alors que ce sont de vrais instants de vacances. Il est important d’insister sur le fait que c’est aussi un temps d’activité.

Dans le centre de loisirs des 3-5 ans où je suis cuisinier, depuis maintenant quelques étés, les enfants prennent le temps, les adultes aussi et même nous, l’équipe de cuisine nous prenons notre temps. Enfin, nous nous organisons pour avoir du temps à leur consacrer et pouvoir mieux répondre à leurs besoins, qu’ils soient individuels ou collectifs. Les groupes d’enfants pouvaient, cette année, venir déjeuner à partir de midi et ce jusqu’à treize heures. A midi trente, quand nous n’avions pas vu la tête d’un enfant, en tant qu’équipe de cuisine, nous savions que la journée serait réussie et que tout irait bien.

 

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Prendre le temps des apprentissages

Nous sommes étonnés, chaque année plus encore, par les progrès visibles de chaque enfant dans la poursuite de ses apprentissages. Tartiner un bout de pain avec du beurre, puis déposer une lichette de confiture de fraise dessus peut prendre un bon quart d’heure la première semaine et pourtant l’enfant aura appris à se servir de son couteau, au ra mesuré la quantité de confiture qui est nécessaire et surtout celle qui lui convient. La semaine suivante, il mettra moins de temps et pourra lui-même mesurer ses progrès. L’adulte ne fait pas à sa place même si c’est plus long.

Pour apprendre, l’enfant a besoin d’expérimenter, d e tâtonner, d'être acteur de son apprentissage, mais tout cela demande du temps, beaucoup de temps. Au fur et à mesure, il acquiert de l’assurance et sous le regard de l’adulte, il grandit parce qu’il a le temps. Malheureusement, les enfants ne disposent pas nécessairement de ce temps, comme si les apprentissages devaient être guidés par une forme d’efficacité et de standardisation, comme si tous les enfants étaient égaux devant leurs apprentissages. Les enfants, lorsqu’ils ont le temps, sont dans les meilleures dispositions pour découvrir de nouvelles saveurs, prendre le temps de goûter, profiter de l’expérience collective du repas entre copains et copines...

En cuisine, cette réflexion a un impact sur le choix des produits que nous utilisons et la façon de les préparer. Un poulet en sauce façon normande peut être préparé à base d’émincés et être ainsi rapidement englouti. Lorsque c’est un poulet entier qui sert de base pou r être découpé à cru, manger ce plat peut prendre beaucoup plus de temps pour les enfants : mais le plaisir n’ est pas le même. Dans notre centre, les enfants grandissent en devenant de plus en plus autonomes pendant les repas. C’est le fameux : « Maman, aujourd’hui j’ai coupé ma viande tout seul comme un grand ».

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Pourtant la vie du centre n’est pas une vie au ralenti : il y a du mouvement, de l’action. Chaque enfant peut prendre son temps mais aussi devancer les autres. Nous sommes suffisamment d’adultes pour pouvoir répondre à des cas particuliers, sans empêcher un mouvement plus rapide ou plus lent. Tacitement chacun, adulte comme enfant, s’engage dans une forme de contrat avec le temps pour mieux vivre.

Apprivoiser de nouveaux repères

Néanmoins, certains animateurs étaient en difficulté comme cette animatrice qui arrivait chaque jour à midi et une minute avec le même groupe d’enfants. Elle nous regardait l’air désolé, ayant peur d’une remontrance et nous demandant souvent si ce n’était pas trop tôt. Les enfants qui la suivaient n’étaient pas parmi les plus joyeux. Nous tentions d’entamer un brin de causette avec eux car nous avions le temps. Ils étaient les seuls enfants et de toute façon, tout était prêt à être servi. Très rapidement, elle incitait son groupe à venir la rejoindre.

Peut-être avait-elle le sentiment que nous perdions notre temps, à parle r de tout et de rien ? Le repas était souvent vite expédié, proche de la demi-heure. Est-ce que cet espace de liberté que nous avions collectivement organisé, pouvait être vécu comme une contrainte ? Pour cette animatrice, notre organisation devait avoir quelque chose d’effrayant. Lorsque les activités venaient à s’épuiser, la perspective d’un horaire salvateur aurait e u un caractère rassurant. A la fin de la matinée, un gouffre s’ouvrait devant elle : « Que vais-je bien pouvoir faire avec les enfants en attendant ? ». Les enfants, qui se retrouvaient avec elle, étaient peut-être ceux qui s’ennuyaient le plus, qui en avaient marre d’attendre les autres. Ainsi notre organisation pouvait mettre en difficulté des enfants ou des animateurs, par son aspect original ou inhabituel.

Prendre le temps

Lors du travail de préparation du séjour, une constante revenait régulièrement : les repas devaient être de vrais moments de vacances. A contrario , les groupes qui arrivaient les derniers ou même en retard, étaient souvent les groupes qui restaient longtemps à table. Peut-être parce qu’ils étaient tout simplement bien. Ils s’excusaient même d’avoir pris leur temps, parce qu’ils étaient parfois seuls au milieu de la salle à manger, en ayant l’impression de ralentir le travail de nettoyage de l’équipe de service. Le projet tel que nous l’avons construit, jalonne la vie des enfants de repères, que ce soit en termes de personnes, d’aménagements, de communication...

De nombreux rituels venaient structurer la journée des enfants. Certains enfants avaient pris pour habitude de venir nous saluer ou discuter avec nous à l’issue du repas. Une animatrice avait proposé à la fin d’un repas, de prendre une tisane : certains enfants s’étaient emparés de ce petit plaisir et réclamaient désormais chaque jour ce petit rituel. Ce rituel s’inscrit parfaitement dans cette volonté pour chacun, adulte comme enfant, de « prendre son temps », mais aussi de construire son rythme de vie : grâce à ce moment de fin de repas, les enfants se préparent au temps calme. L’organisation de la vie collective telle que nous l’avions décidée, s’inscrit pleinement dans la réflexion autour du rythme de vie de l’enfant.

Notre centre se trouve en périphérie urbaine, à la campagne, à 20 minutes du centre ville. Les enfants arrivaient pour la grande majorité en bus le matin vers 9 heures. Et certains étaient montés dans le bus à 7h30. Un rythme de vie proche de celui de l’année scolaire mais très éloignée de celui des vacances. Est-ce qu’en tant qu’enfant, je suis réellement en vacances lorsque je dois me lever à 6h30 le matin pour finalement arriver après maintes péripéties à 9 heures dans mon centre de vacances ? Ainsi notre organisation était aussi et surtout une réponse à la réalité du rythme de vie des enfants, une réponse évidente et construite. La place de la collation, proposée aux enfants à la descente du bus, dans la construction de la journée est centrale. En effet, pour que les enfants puissent prendre leur temps dans la matinée mais aussi et surtout vivre pleinement leurs activités. Ils devaient avoir suffisamment rechargé les batteries, pour que la faim ne vienne pas marquer un coup d’arrêt dans l’organisation de leur journée. « Prendre son temps » devient une nécessité. En tant qu’équipe de cuisine et en étroite collaboration avec l’économe, les menus tels que nous les avons construits s’inscrivent complètement dans cette logique. La mise à disposition systématique de fruits sur l’ensemble des repas en est un exemple concret.
 

Une équipe de cuisine associée au projet

Notre organisation ne serait pas possible si l’équipe de cuisine et celle de service n’étaient pas complètement associées au projet pédagogique du centre. Cette organisation est fondée sur une communication quotidienne, entre tous les adultes du centre, communication dans laquelle l’économe occupe une place de pivot. Nous avons évalué tout au long des sessions les bienfaits, les limite s de cette organisation en équipe, et apporté quelques a ménagements ou adapté le service à des situations individuelles. Cette organisation n’a de sens que dans le cadre du projet pédagogique du centre. Le centre est un lieu d’expérimentation où « prendre son temps » devient une expérience de vie collective partagée par les enfants et les adultes. Cette organisation n’est pas devenu e une habitude ou une marque de fabrique de ce centre. Chaque année, elle est remise en cause. Qui dit « nouveau projet », dit « nouveaux enfants, nouvelle équipe, nouveaux adultes, nouvelles organisations... » mais elle est utilisée comme base de réflexion autour du rythme de vie de l’enfant en lien avec son alimentation.


Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation