Une frontière à effacer

Une délimitation naturelle sépare un quartier en deux. De chaque côté vit une population qui ne se reconnaît pas dans l’autre. Comment permettre aux habitant·e·s de vivre ensemble en bonne intelligence ? Et si la solution passait par l’école ?
Média secondaire

Des réflexions existent dans les collectivités locales et dans les municipalités pour désenclaver les populations et réussir à tendre vers une mixité sociale non factice. Ici, il s’agit d’un quartier de Poitiers-sud où une rue dans le creux d’un vallon délimite deux parties distinctes habitées par deux populations qui ne s’aventurent pas de l’autre côté. Et si l’école pouvait réunir les habitant·e·s ? en permettant de déconstruire les représentations et en offrant l’occasion aux enfants de franchir le Rubicon. Et d’entraîner les parents dans leur sillage. Cette initiative va dans le sens d’un brassage urbain où pour une fois un public ne chassera pas l’autre.

Compte-rendu d’un atelier qui s’est déroulé le samedi 4 novembre 2017 au cours de la Biennale de l’Éducation nouvelle. Il est question du projet de la fusion de deux écoles dans un quartier de la ville de Poitiers, avec la participation de Laurence Vallois-Rouet (première adjointe déléguée à l'éducation, à l'égalité des chances et à la caisse des écoles de la municipalité de Poitiers), Camille Frétier (parent d’élève) ainsi que de militantes et de militants des Ceméa, de la Fespi, de l’Icem, du Crap/Cahiers pédagogiques et du Gfen.

Histoire d’une fusion

Nous est contée, à deux voix, l’histoire de la fusion de deux écoles de Poitiers sud (6000 habitants environ) dans une partie de la ville qui regroupe deux sous-quartiers foncièrement différents: Bellejouanne et Chilvert.

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Tout est parti d’une réflexion en réaction à un constat qui faisait apparaître au vu de la carte scolaire que deux îlots dans un même quartier, l’un regroupant plutôt des familles aux revenus modestes, l’autre, des familles à revenus confortables, ne voient pas leur population se mélanger, les deux écoles ainsi que la rue du petit ruisseau qui fait frontière entre les deux entités marquant une fracture ouverte que la municipalité actuelle ne désirait pas voir perdurer. La première adjointe tient à préciser que cette école au demeurant n’allait pas mal et que c’est bien l’idée de mixité qui importait. Les élus pensent qu’ «il faut faire vivre les gens ensemble ». Mais comment parvenir à résoudre cette équation qui ne dit pas son nom ? Il y a eu, dès le début, consultation des co- éducateurs, parents et enseignants et l’on peut noter qu’au-delà de l’anecdote, certains parents habitant Chilvert ont choisi d’inscrire leurs enfants à l’école de Bellejouanne, ce qui indique la complexité de la situation.

Madame Frétier, qui, dit-elle, habite pile- poilà la frontière, précise que la topographie et sa représentation territoriale ont de l’importance. Chaque îlot est à la même altitude et, en creux entre les deux, une rue qui fait frontière met à l’écart chacune des populations. Les habitant.e.s du quartier de Bellejouanne à forte dominante étrangère attendent beaucoup de l’école. Dès le début, les parents d’élèves ont tenu à donner la parole aux familles par l’intermédiaire de la maison de quartier. La première réaction, qui n’est peut-être pas celle escomptée, est venue des familles de Bellejouanne qui avaient l’impression d’une double peine – on est pauvres et on veut nous mixer : ce qui est imagé mais parlant – et ont ressenti cette idée comme une violence – en tout cas dans les mots.

Donner du sens

Il a été nécessaire de redonner du sens à tout cela en précisant les tenants et les aboutissants de ce projet : donner les mêmes chances à tous les enfants et parler d’une même voix la même langue aux deux écoles. Comment organiser une mixité qui ne soit pas qu’une mixité physique, ce qui serait un échec ? Et la crainte, sans surprise, du côté de Chilvert, est que leurs enfants soient tirés vers le bas. Lors de concertations par petits groupes, certains parents mettaient en avant que ce projet allait faire perdre de la valeur aux bâtis, à Chilvert. Il n’a pas été apporté un projet tout ficelé comme un beau rôti éducatif. Ce n’est qu’après une première phase de concertation que les propositions récoltées ont été décortiquées.

De la concertation avant toutes choses

Trois pistes se dégagent. Il est question d’une nouvelle construction, d’une implantation sur un des deux sites avec implantation de l’école maternelle d’un côté et de l’école élémentaire de l’autre. Il faudra aussi choisir et inscrire le projet dans une logique de continuité de la réhabilitation du quartier. Ainsi s’achève ce premier temps de la rencontre. S’ensuit un florilège de questions. Les enfants ont-ils été consultés ? Est-il nécessaire de les consulter? Quel est le positionnement des enseignants? Sont-ils engagés? Quel sens se joue-t-il à travers le travail collectif du point de vue géographique et de la représentation des personnes? Comment travailler avec les maisons de quartier, car c’est important de le faire? Quelle part ont les acteurs du temps libre et familiaux au cœur? Quelle est la place des co-éducateurs? N’est-ce pas un projet déguisé pour obtenir une paix sociale? Quelle est la place des acteurs du quartier animation, éducation, sport? Faut-il commencer par l’école? Ce fait de commencer par l’école va-t-il induire un élargissement et s’étendre à tous? Qu’est- ce que la parole de l’enfant? Comment la traduit-on ? Qui est acteur ? Ce ne sont pas des élèves qui sont interrogés mais des personnes. En quoi une conception alternative de l’éducation peut-elle aider les familles à définir la misère sociale? Et le projet politique dans tout ça ? Et des avis puisés dans des pratiques…

– Vous êtes en train de créer du sens.

– Je me reconnais dans votre démarche : j’habite le quartier latin et je travaille, au sein d’un conseil de quartier, la question de savoir comment la cité scolaire Henri IV peut-elle cesser de trier les élèves ? C’est choquant, on travaille à casser une dynamique et une habitude. C’est par les familles que l’on y arrivera. Je voudrais faire comprendre que ce n’est pas pour ça que ceux qui sont destinés à Polytechnique vont y perdre ; ils vont plutôt y gagner.

- C’est un joli projet mais la question du temps libre n’est pas assez travaillée.

- Attention au jeu de dupe.

Un projet au long cours

Transformer un quartier demande des dizaines d’années. Il s’agit d’un projet au long cours, ce qui implique un rapport au temps à prendre en compte.

Le temps de la réflexion est long et le court-termisme complique les choses. La richesse des retombées vaudra surtout pour les générations futures. Pour la mixité sociale, la question essentielle c’est le logement. Il faut vraiment un travail de fond. Les deux intervenantes ont pris soin d’écouter ce que les participant.e.s avaient à dire et pris le temps d’y répondre précisant leur pensée au regard de ce qui a été exprimé. Les enfants ont aussi été consultés. Il y a une seule maison de quartier. Il est évident que celle-ci devait être un lieu et un acteur central de ce projet, un véritable opérateur. Les animateurs ont été très impliqués, surtout la responsable famille. Quant à la méthodologie,la maison de quartier a réfléchi à une architecture particulière avec des questions ouvertes. L’école de Chilvert a vu dans ce projet une menace de paupérisation de la qualité de son travail. Il était important de consulter les personnels des deux côtés du ruisseau (enseignants, concierges, atsem qui ont été très actifs) ainsi que les familles non concernées directement par le projet car n’ayant pas d’enfants d’âge primaire. La place de chacun des acteurs est essentielle et doit tendre à une égalité d’importance.
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Il y a d’autres actions initiées et l’école la plus participative est celle de Bellejouanne (tous les services sont concentrés dans le quartier pauvre ce qui conduit l’école de Chilvert à se sentir éloignée de ce bouillonnement) ce qui a permis d’évoluer dans la réflexion en groupe et de dégager des pistes qu’il faut suivre pour évaluer ce que les mouvements d’éducation vont pouvoir apporter de plus face aux élus. On peut noter que parfois l’entrée dans ce genre de projet par un angle inédit et original (fête du jeu, du livre) permet l’appropriation progressive de cette démarche, une acculturation mutuelle, du sens est donné, on peut entrer par des partenariats et l’agir par des activités peut permettre à la communauté d’avancer, d’apprivoiser l’aventure. Quelques réticences subsistent encore, quelques craintes quant au pouvoir de nuisance des pédagogues et le risque pour les enfants du quartier de Bellejouanne de perdre leurs habitudes et d’être perturbés dans leur équilibre. Il peut être utile également de se méfier de l’effet «plante verte» du projet, gadget à la mode que peut constituer l’idée d’intégration, de fusion. Il est plus que nécessaire de se mettre d’accord sur ce que chacun entend par «vivre ensemble». Attention aussi à ne pas être que dans le paraître et de ne se contenter que de lisser les aspérités, les désaccords, les inévitables chicaneries inhérentes à ce type de démarche.

Pour des lendemains qui chantent

L’école est au cœur de la ville et peut compter sur de vrais partenariats (médiathèque, crèche),

c’est un village, les gens (dans l’entresoi) vivent ensemble. Indépendamment du projet de fusion l’école travaille déjà sur ce sujet dans le cadre d’une coordination éducative territoriale – association de parents, structures municipales. Même si les enseignant.e.s expri-ment des doutes sur leur capacité à savoir faire, deux d’entre elles sont en train d’écrire le projet pédagogique de l’école. Enfin en ce qui concerne les relations entre l’École et la municipalité, la première adjointe s’est d’ores et déjà rapprochée du Dasen. Ce qui est de bonne augure pour la suite du projet. La municipalité de Poitiers, reprenant une demande des parents, a choisi d’être accompagnée par des mouvements d’Éducation nouvelle pour faire comprendre et accepter cette idée par les parents les plus aisés. En quoi l’éducation nouvelle peut-elle apporter une plus-value et donner un autre élan au projet ? Le groupe de pilotage va s’attacher à y répondre dans les mois qui viennent, les choses vont peu à peu se décanter et les acteurs-trices, militant.e.s des mouvements initiateurs de la biennale ont un rôle important à jouer dans la suite de l’aventure. Rendez- vous est donc pris pour la rentrée ! I