LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Quel usage du numérique pour les jeunes accueillis en maisons d'enfants ?

Communiquer avec sa famille, ses ami·e·s ? Quel est l’usage des outils numériques pour les jeunes confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance ? Comment sont-ils accompagnés par les professionnels ? Un éducateur témoigne.
Média secondaire

Image par Gerd Altmann de Pixabay

J'ai eu l'occasion d'exercer et d'évoluer au sein de différentes maisons, six en tout, quatre maisons pour adolescents·es, une pour des plus petit·e·s, et enfin un service de semi-autonomie pour les jeunes filles. Cela représente quelques années en tout. 

Les jeunes accueilli·e·s en Maisons d'Enfants à Caractère Social (MECS) sont retiré·e·s de leur environnement familial pour différentes raisons, ce qui les rassemble c'est qu'ils et elles sont en danger. Il existe différentes mesures (administratives et judiciaires) qui permettent d'orienter ou de placer ces jeunes. Les mesures de placement sont encadrées par l’article 375 du code civil, mais certaines MECS possèdent également l'habilitation Justice au titre de l’ordonnance de 1945. Lorsque des jeunes arrivent en MECS, c'est souvent parce que leur milieu familial n'est plus en mesure de garantir leur santé et leur sécurité physique et morale. De même, les conditions d'éducation et de développement (affectif, physique, social et intellectuel) sont entravées. Mais il existe d'autres cas de figure, comme par exemple, les mineurs qui arrivent de l'étranger et qui n'ont pas de famille ou personne pour les accueillir et les accompagner en France.  

L’usage du numérique par les jeunes 

Concernant leur usage du numérique, je dirais, de par mon expérience, qu'ils ont une utilisation plutôt classique de ces outils, comme les ados de leur âge. Cependant, je relèverais peut-être deux différences. 

La première est que certains des jeunes accueilli·e·s en MECS peuvent se mettre plus facilement en danger, notamment via les réseaux sociaux, ça a été le cas par exemple pour des jeunes filles sur une maison pour qui le téléphone a été un moyen de trouver des clients afin de se prostituer. Nous avons bien sûr agi en conséquence. 
La deuxième différence, concerne le fait que le téléphone peut devenir un outil de communication extrêmement important pour certain·e·s de ces jeunes, car il leur permet de rester en contact avec leur famille (même s'ils n'en ont pas toujours le droit). Il devient alors un moyen privilégié pour garder le lien affectif avec leur famille, et ce quel que soit le motif du placement. C'est le cas aussi pour des mineur·e·s non accompagné·e·s qui peuvent ainsi joindre leur famille restée à l’étranger. Concernant l'ordinateur en MECS, il y en a parfois à disposition des jeunes, mais contrairement à ceux et celles qui vivent dans leur famille, ils et elles doivent le partager avec nombre d'autres jeunes du groupe, ce qui nécessite bien souvent une organisation et peut donc engendrer des frustrations chez certain·e·s. Les jeunes que j'ai pu accompagner dans mes différentes expériences ont une utilisation je dirais assez classique de cet outil, musique, jeux vidéos, etc !

Pour ces jeunes vivant en internat le plus souvent, c'est un lien privilégié avec la famille, mais pas seulement. C'est aussi un outil qui leur permet de communiquer avec l'extérieur et au-delà de la famille, avec son réseau d'ami·e·s. Ainsi, ils et elles ont le sentiment de vivre une « vie normale », comme tous les jeunes, et se dégager de cette étiquette qu'ils se donnent parfois eux-mêmes « d'enfants de la ddass » pour reprendre une vieille expression. J'ai pu aussi observer que certain·e·s jeunes d'une même MECS communiquent entre eux alors qu'ils sont tous et toutes dans la maison, voire dans la même pièce, vous me direz comme tous les groupes d'ados. Cela peut être aussi le cas lorsque l'un·e d'entre eux est absent·e, soit en hébergement chez sa famille ou encore en fugue. Cela m'a permis à différentes reprises de savoir où était un·e jeune ayant fugué par le biais des autres jeunes du groupe et ainsi aller le ou la chercher. 

De par leur parcours, les difficultés et multiples épreuves qu'ils ont pu rencontrer, ces adolescent·e·s encore en construction peuvent parfois se mettre en danger et aller trop loin. Je pense que tout éducateur·trice en MECS travaillant pour et auprès d'adolescent·e·s pourrait en parler. Pour citer d'autres exemples venant de ma propre expérience, les réseaux peuvent parfois, dans les relations entre jeunes, générer une pression pouvant aboutir à des tensions extrêmes, ou encore être l'occasion d'organiser des rencontres avec des personnes bien plus âgées, permettre la diffusion de vidéos comprenant des scènes de violences prises lors d'une bagarre ou encore révélant l'intimité de certain·e·s d'entre eux. J'ai même pu me rendre compte que des jeunes pouvaient planifier leur fugue avec d'autres jeunes du groupe ou de l'extérieur.    

Les outils numériques : une ressource aussi

De nombreux jeunes que j'ai pu accompagner étaient en difficulté sur le plan scolaire, l'outil numérique peut permettre, quand le ou la jeune devient disponible pour les apprentissages, de combler certaines lacunes. Cela nécessite un accompagnement de la part des professionnels qui les accompagnent. Lorsque, par exemple, nous préparons certain·e·s à l'autonomie et qu'ils/elles apprennent à gérer un budget, l'outil numérique peut les y aider. Le téléphone permet également de se diriger dans la ville ou dans les transports, permet d'aider à trouver un stage quand cela est nécessaire, à faire des démarches administratives, etc. Mais beaucoup de jeunes résument les outils numériques à la fonction communication, notamment les réseaux sociaux ou juste comme support pour la musique ou les vidéos, et ils sous estiment bien souvent l'ensemble des fonctions qui peuvent être proposées comme tout ce qui touche à l'ordre de la bureautique, le traitement de texte, .... De même, ils sont souvent en difficulté lorsqu'ils doivent effectuer des démarches en ligne comme prendre un abonnement de bus ou un rendez-vous à Pôle Emploi, ou encore à la Mission Locale. Dans de rares cas, j'ai pu rencontrer des jeunes en MECS qui étaient vraiment à l'aise avec tous ces aspects qu'offre l'outil numérique.

Disparité chez les professionnels

Certaines équipes ne s'en emparent pas du tout et ne sont pas à l'aise elles-mêmes avec ces outils, et d’autres au contraire les utilisent et s'en saisissent. Certain·e·s éducatrices et éducateurs sont eux-mêmes en difficulté lorsqu'ils doivent remplir un dossier ou écrire un rapport, et il leur est donc difficile d'accompagner les jeunes à leur utilisation. Certaines équipes se contentent de limiter l'utilisation du téléphone portable et de l'éventuel ordinateur disponible à coup de règles de vie bien souvent peu, voire pas du tout travaillées avec les principaux concernés, c'est-à-dire les jeunes. Je ne dis pas par-là qu'il ne faut pas limiter leur utilisation, mais je pense que notre rôle en tant qu'éducateur·trice est bien plus subtil, il faut les former à cela et non juste les frustrer en les privant, sans leur donner l'accès au sens ou au motif d'une telle limitation.  Mais cela demande que l'équipe éducative soit formée ou ait tout du moins une certaine appétence pour ces outils numériques. J'exerce également en parallèle comme directeur de séjour de vacances et je côtoie donc des équipes d'animateurs et animatrices, qu'elles soient professionnel·le·s ou volontaires, et je trouve que, généralement, elles s'emparent beaucoup mieux de ces questions en rendant l'outil numérique, comme son nom l'indique, un véritable outil, un couteau suisse si je puis dire. 

Les équipes peuvent accompagner les jeunes dans deux cadres : 

  • Dans le quotidien 

Cela concerne bien souvent la régulation de l'accès à ces outils, notamment par le biais des règles de vie instituées uniquement par les éducateur·trice·s. Par moment, il y a bien un peu d'accompagnement lorsqu'un jeune fait des recherches pour un stage ou un lycée, mais c'est de manière très ponctuelle. Je pense que nous passons bien souvent à côté de la richesse de ces outils, quoi de plus intéressant, par exemple, qu'une activité cuisine un samedi après-midi, parfois à la propre initiative des jeunes, lors de laquelle ces derniers vont chercher des idées et des recettes sur les nombreux sites internet existants. Notre rôle est alors de les encourager en allant plus loin : OK on prend cette recette, mais nous n'avons pas tous les ingrédients, il faut donc établir un budget, puis partir faire les courses correspondant aux besoins, etc. L'outil numérique, de par ses multiples facettes et potentialités, permet d'enrichir ces moments du quotidien pour les jeunes. Les outils numériques constituent alors un support pour le quotidien en MECS, et j'ai envie d'aller plus loin en disant même que le quotidien peut devenir à son tour un support à l'utilisation des outils numériques.   

  • Des temps d’atelier 

Malheureusement, j'ai vu très peu d'ateliers mis en place lors de mes différentes expériences en MECS, il y en avait beaucoup plus lorsque j'exerçais par exemple en IME ou dans l'animation socioculturelle. Sur une des MECS dans laquelle j'ai évolué ainsi que dans cet IME, j'avais mis en place un petit atelier bois où nous construisions avec les jeunes tout un tas de choses (jeux, décorations, jouets, nichoirs, etc). L'outil numérique nous permettait, par exemple, de trouver des plans quand cela était nécessaire. J'en proposais certains, mais parfois des jeunes préféraient aller chercher eux-mêmes des idées, notamment sur internet. Je me souviens également d’échanges lors de ces temps d'atelier autour des choix de musique où chacun notre tour nous faisions découvrir aux autres des musiques, et par moment des clips, rendant ces moments extrêmement riches, que ce soit en terme de dynamique de groupe lorsqu'ils étaient plusieurs ou en terme de relation éducative duelle lorsque j'étais avec un seul jeune. De plus, les jeunes pouvaient prendre en photo leurs réalisations et les partager via les réseaux avec qui ils le souhaitent, valorisant ainsi leur création. Je dois dire que cela était possible grâce à nos smartphones et aux différents outils et applications disponibles.    

Les jeunes auraient besoin de plus d'accompagnement sur ces questions touchant à l'utilisation des outils numériques. Plus de matériel également, il faut des ordinateurs dans les MECS, au-delà de celui des éducateur·trice·s dans le bureau. Il faut que ce soit un véritable support à la vie de groupe, aux apprentissages, et à l'accès à l'autonomie. Je pense que certaines équipes doivent désacraliser ces outils en s'en emparant et en accompagnant les jeunes dans leur utilisation. Il faut réfléchir avec les jeunes à l'utilisation et à la régulation de ces différents outils, que ce soit pour les smartphones, les consoles ou encore les ordinateurs. Le fait que les équipes s'en saisissent et se les approprient permettrait de préparer au mieux les jeunes aux éventuels risques encourus sur internet ou sur les réseaux sociaux, mais permettrait également de développer des compétences nécessaires autour de ces outils pour leur future vie d'adulte. Pour cela, il faut du temps, du temps pour les équipes pour pouvoir se former et du temps pour mettre en place des choses avec les jeunes. Mais aussi du temps pour les jeunes pour appréhender ces outils au-delà de l'utilisation qu'ils en ont généralement. 

Je pense que l'accompagnement de ces jeunes doit se faire en équipe et avec les différents partenaires, que ce soit l'école, les associations qu'ils fréquentent pour les activités extra-scolaires, ou encore leur famille lorsqu'ils vont en hébergement. Lorsqu'on parle de co-éducation, cela concerne toutes les facettes de l'éducation et tous les acteur·trice·s autour du jeune. Cela nécessite un véritable travail de communication, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas dans certaines structures. 

Il y a cependant des freins : le travail d'éducateur en MECS peut être tellement riche et varié mais aussi tellement compliqué par moment, qu'il est difficile pour certains professionnel·le·s d'y consacrer du temps et de la disponibilité psychique pour y réfléchir et s'y investir. Cela doit faire partie du projet d'équipe et ne doit pas être juste l'apanage d'un ou deux éducateur·tice·s, mais bien souvent les équipes en dehors des temps de la vie quotidienne sont happées par les lourdes tâches administratives qui leur incombent et ont donc peu d'espace pour travailler cette question. 


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