Face au virus de l’individualisme, vive la contagion de l’Éducation nouvelle

L’heure est à l’humilité, mais aussi à la solidarité et à la détermination. Notre société a besoin d’une école publique pour apprendre ensemble, et d’un travail inlassable avec tous les acteurs de l’éducation pour faire naître le désir d’apprendre.
Média secondaire

Philippe Meirieu est Président des CEMÉA


La crise sanitaire que nous traversons nous marquera sans doute profondément et l’on n’a pas fini d’en tirer des leçons. Leçons d’humilité face à la découverte de l’immense fragilité de notre modèle de civilisation. Leçons de solidarité face à la reconnaissance de notre étroite interdépendance. Leçons de détermination, aussi, face à la nécessité de prendre soin, concrètement et très vite, des humains et de leur planète.

En matière éducative, nous savions déjà l’importance des inégalités sociales et familiales dans le destin de nos enfants… Le confinement et la reprise chaotique de l’école ont confirmé le poids des conditions matérielles d’apprentissages mais nous ont également démontré, si c’était encore nécessaire, que le désir d’apprendre et la volonté d’acquérir les savoirs nécessaires à notre émancipation ne sont pas innés et requièrent une mobilisation et un accompagnement éducatif exigeants.

Cemea

Faire société

Nous savions aussi que l’École n’est pas seulement un ensemble d’établissements faits pour que nos enfants apprennent, mais qu’elle est une institution – étymologiquement « ce qui nous institue, nous fait tenir debout » – créée pour que nos enfants « apprennent ensemble », partagent des connaissances et accèdent aux valeurs qui leur permettent de « faire société »…

Les tentatives d’ « école à la maison », les désillusions face à un usage du numérique réduit à l’application de protocoles individuels standardisés, le décrochage de trop nombreux élèves, la solitude et la détresse psychologique de beaucoup d’autres, tout cela a encore renforcé la nécessité de la mise en œuvre d’une pédagogie soucieuse de la construction du collectif et qui fasse de la coopération entre pairs la clé de voûte de la scolarité.

Nous savions, enfin, que l’École ne peut pas se contenter de distribuer des savoirs académiques et d’en vérifier l’hypothétique mémorisation lors de contrôles plus ou moins continus. Nous savions qu’elle a vocation de permettre à chacune et à chacun de « penser par soi-même » en dépassant les représentations sommaires, les clichés et les dogmes de toutes sortes. Nous savions que l’enseignement doit entraîner les élèves dans une aventure joyeuse où la recherche de la précision, de la justesse et de la vérité l’emporte sur les satisfactions faciles de l’identification à un leader ou de l’obéissance à un slogan… Mais nous avons vu à quel point nos démocraties doivent travailler sans relâche pour former des citoyens lucides et critiques à la fois, capables d’engager des débats sereins, en mobilisant des connaissances scientifiques mais sans imaginer jamais faire l’impasse sur des choix de valeurs inhérents à toute décision humaine.

Bref, nous savions que les idéaux de l’Éducation nouvelle étaient toujours d’actualité. Mais nous avons vu, ces derniers mois, qu’il était essentiel et urgent de se remobiliser collectivement autour d’eux. Et de le faire, tout à la fois, dans le secteur des loisirs que dans celui de l’éducation aux médias, dans le domaine de la lutte contre toutes les discriminations et dans celui de la santé mentale, en matière d’accès à une culture de qualité comme dans le partage, au quotidien, de solidarité et de fraternité. C’est pourquoi les CEMEA veulent s’inscrire aujourd’hui dans les politiques publiques porteuses de ces valeurs, aux côtés de l’État et des collectivités territoriales de Métropole et d’Outre-Mer, avec le souci de s’ouvrir à tous les publics. C’est pourquoi aussi les CEMEA veulent travailler avec tous les acteurs de l’éducation : les parents et les soignants, les artistes et les militants des droits humains, et, évidemment, les enseignants.

Apprendre à vivre ensemble sur notre unique planète

Car, nous sommes convaincus en effet, plus que jamais, de l’importance décisive de l’École pour tous les enfants et, en particulier, les plus démunis ou en difficulté. Nous croyons que l’École publique, avec son projet consubstantiel de mixité sociale, est essentielle pour lutter contre toutes les formes de ségrégation et d’exclusion. Nous savons qu’à travers la transmission des connaissances, les professeurs peuvent se faire de véritables formateurs à une citoyenneté lucide et solidaire.

Bien sûr, nous respectons les spécificités des différentes instances éducatives : les parents, qui assurent la fonction de filiation et présentent le monde à l’enfant ; le tissu associatif, sportif, culturel ou humanitaire, qui donne aux enfants et adolescents des occasions d’engagements choisis et d’exercice de responsabilité dans des collectifs ; et les enseignants qui ont pour tâche d’ « agrandir le cercle », de faire accéder chacune et chacun à des richesses culturelles insoupçonnées, de faire apprivoiser l’altérité par la découverte d’autres langages, d’autres œuvres, d’autres univers, jusqu’à la conscience de la solidarité fondatrice qui unit les humains entre eux et avec la Planète.

Mais, le respect de la spécificité des instances éducatives n’exclut pas, bien au contraire, le travail commun et le partenariat. Les militants des CEMEA savent ce qui spécifie l’engagement éducatif des différents acteurs de l’éducation et ils s’efforcent d’être fidèles, partout où ils sont, à la mission qui est la leur. Mais ils veulent travailler aussi à construire des convergences, en particulier au sein de l’École et avec elle. C’est de cela dont ils témoignent ici. Avec l’espoir de la contagion. La contagion des valeurs de l’Éducation nouvelle contre celle de tous les virus possibles, la COVID et l’individualisme, le repli sur soi et les concurrences mortifères, l’obscurantisme et les ségrégations de toutes sortes…

L’Éducation nouvelle est porteuse d’avenir, pour nos enfants, pour nos écoles, pour notre avenir commun, pour notre planète. Et elle a besoin de toutes et tous.