L’alimentation est un besoin qui doit rester un plaisir

Adapter les repas avec des activités dans une structure pour personnes handicapées pour que manger reste un plaisir.
Céline Fréry est éducatrice en foyer pour personnes en situation de handicap. Elle accompagne et coordonne un projet alimentaire qui a pris source il y a dix ans sur la question de la santé publique. Aujourd'hui il est un vecteur de par-aidance, d'autonomie, de bien manger, sain, en se faisant plaisir à petit prix.
Média secondaire

Peux-tu te présenter ? 

Je m'appelle Céline Frery, je suis Monitrice Éducatrice à l’APEAI- Ouest Hérault, dans un foyer d'hébergement qui accueille des personnes qui ont une double orientation. Les hébergés vont en ESAT la journée ou en structure de jour pour ceux qui ne peuvent pas travailler. Ils se retrouvent au foyer le matin, le soir, les week-ends et jours fériés.

Tu es aussi “personne ressource” sur des questions d’alimentation au sein de ta structure ?

 Oui. Je travaille sur un projet depuis plusieurs années avec le service de santé publique de la ville de Béziers qui est venu faire des interventions pour parler de l’équilibre alimentaire, faire des expertises au niveau de l’ambiance de la salle à manger, des repas proposés… Ce projet existe depuis 2013 ou 2014 de mémoire. Je suis celle qui accompagne ce projet, aidée de deux collègues.

En quoi consiste la venue de ce service de la Mairie, quel est leur objectif ?

Leur objectif c'est “vivons en forme”. Ils travaillent sur l’alimentation, les besoins physiques du corps. C’est un peu le programme manger-bouger. Quand on sait que l'alimentation c’est à la fois ce que l’on mange mais aussi ce que l’on dépense…

Ils font de la prévention, de la prévention généraliste. L’infirmière coordinatrice du dispositif fait intervenir la diététicienne directement auprès des résidents dans la préparation de repas. Un des objectifs pour les professionnels du foyer est que les personnes puissent reproduire les plats dans leurs studios 1 ou dans leur futur chez eux s’ils accèdent à un appartement autonome. L’idée est d’avoir des billes pour manger équilibré. Ils apprennent à créer un repas équilibré avec 6 euros.

Ce n’est donc pas la même chose que les repas quotidiens au foyer ? 

C’est à dissocier. On planifie, on annule les repas qui ne sont pas livrés, le fonctionnement redistribue 6 euros par repas. Les groupes sont établis pour l’année. Nous avons un groupe important, de 12 à 14 personnes. On travaille sur la préparation de menus, aller faire les courses. Manger à 6 euros on peut. Bien sûr que tu ne vas pas manger une entrecôte. Le repas va être équilibré et si on arrive à économiser 1 euros par repas, peut-être qu’au 6ème ou 7ème repas on pourra prendre l’entrecôte !

Si je comprends bien votre objectif est l’autonomie des personnes, objectif renforcé par l'intérêt que les professionnels de la structure, notamment la direction, portent à l’alimentation ? 

Parce que 6 euros c’est tout de même plus important que la plupart des fonds alloués habituellement aux repas en structure… 

Tout à fait ! C’est un budget haut. Quand on fait le budget et le plan d’action du foyer, ça fait partie des priorités. Les résidents ont besoin de ça, d’apprendre à gérer un budget, à se déplacer.

Est-ce que 5 ou 6 euros suffisent pour manger quelque chose qui fait plaisir et qui est du point de vue de la santé qualitatif et peut-être même convivial ? 

Oui. Tout à fait. Je vais même inverser la tendance : dans ce projet là, les personnes mangent certainement mieux que des personnes à l’extérieur !

Où faites vous vos courses ? Est-ce que vous allez au supermarché, chez des producteurs, des revendeurs bio ? 

C’est l’objectif initial du projet. Ce qui nous freine, quand je dis nous c’est l'équipe, c’est l’organisation. Au départ on avait des bons d’achats. Pour Auchan. Quand tu vas à Auchan, tu en as pour deux heures. Tu perds un temps fou. Hop, ça évolue. On a obtenu des espèces, d’autant que l’objectif est qu’ils pratiquent les espèces pour apprendre à gérer un budget. Le projet évolue donc avec les années. De là à arriver à manger du bio, on y est pas.

Vous n’y allez pas pour des questions de coûts d’habitudes alimentaires ou autre…?

D’habitude alimentaire non. Nous ne sommes pas loin de l’Intermarché. Et ce sont des repères pour les personnes. Il y a aussi nos propres représentations. Si les professionnels reviennent au projet initial de “manger bon”, peut-être qu’aller à la petite épicerie et chez le boucher serait possible. Souvent on se met un frein avant même de commencer… 

Le premier frein, c’est la planification. On ne travaille pas du lundi au vendredi, en continu. On est là, on est pas là, on est là… Les horaires sont hachés, décalés dans nos métiers. Il faut qu’on anticipe les courses, qu’un éducateur soit là la veille ou l’avant-veille. Mais pas trop en avance, pour que les légumes, la salade reste fraîche par exemple. Et ça c’est un frein majeur pour nous ! Les résidents ne sont pas là la journée, ils arrivent vers 18h00-18h30 et les magasins ferment à 19h00. On joue de la montre. Avant on mangeait vers 20h00, 20h15. 

Là on arrive à dîner à 19h30. Il a fallu que l’on avance ensemble. Le résident qui vit en appart’, qui a des compétences moyennes pour vivre seul et pour manger dans son studio il achète ce qui est déjà préparé. Il pèle pas sa carotte. Il va au plus vite. Ils arrivent, ils se douchent, ils veulent manger et se mettre devant leur série. Généralement ils vont ouvrir la boîte de raviolis. L’idée c’est que les choses aillent vite. Quand je dis vite… Même en te mettant à cuisiner à 18h00, tu passes à table à 19h30. Le groupe à une influence aussi. La dernière fois, nous avons fait des Pokebowl2.

L’idée c’était de montrer qu’on pouvait manger en quantité suffisante et en y mettant des légumes, de la viande ou du poisson. Et en fait dans le Pokebowl 2 tu as beaucoup de légumes à éplucher. Pour pouvoir tenir le rythme, nous avons acheté des légumes déjà épluchés et découpés. Là, tu perds forcément le côté bio au profit du temps. 

On a aussi beaucoup été éduqué comme ça, avec l’idée qu’il faut gagner du temps... 

On va pas faire le plat tout prêt, mais c’est vrai que l’élément “temps” reste important. Tu vois, on a fait des choses simples : en collectivité tu ne manges jamais d'œuf à la coque, au plat. C’est interdit par la réglementation HACCP3. Par contre, dans le cadre expérimental, faire un œuf est très facile, ça ne prend pas de temps. Et c’est très apprécié puisqu'il n’y en a jamais. En institution il y a des aliments que les gens n’ont jamais, qui disparaissent. 

Tu disais que le projet était reconduit chaque année et qu’il évolue souvent. Peux-tu nous en dire plus ? 

Oui, le projet s’adapte au public. Au début, le service de prévention de la maire est venu avec un camembert. Ce camembert, il est divisé en plusieurs portions individuelles. Un résident gourmand il veut finir le camembert, comme nous pouvons le faire avec la tablette de chocolat devant la télé… La frustration est compliquée à gérer. L’équipe de la Mairie nous conseille d’éviter les frustrations, qu’il faut aussi se faire plaisir. Elles nous ont également alertées sur la question de la satiété.

Est-ce lié aux comportements et caractère de chacun ou au handicap ? 

Les deux. Il y a toujours le handicap qui sur-ajoute, d’autant qu’il peut être renforcé par un traitement médical. C’est la question de l’oralité, ça comble un manque affectif. Sur ce foyer, le constat est tout de même le suivant : de mémoire, la première année, c’est entre 6 et 10 kilos supplémentaires par personne. Le constat part de là. Ce sont les docteurs des personnes qui nous alertent, les familles des résidents qui nous demandent ce que nous faisons avec leurs enfants ! Nous nous sommes dit : “Qu’est-ce qu’il se passe ?”. grande majorité. Ce foyer permet ça, il n’y a pas de surcontrôle. Mais le jour où tu ne peux plus fermer le pantalon, tu commences à te dire, “là il y a un problème”... Dernièrement nous avons ouvert le projet aux invitations. Et aux questions de pair-aidance. Parmi les résidents, il y a des cuisiniers. Des salariés de l’ESAT, des résidents qui ont de grandes compétences culinaires. Cet atelier se transforme aussi en habiletés sociales. Il y a une entraide qui favorise l’autonomie, la montée en compétence, le développement de l’estime de soi.

C’est un projet qui semble bien fonctionner ? 

Ce projet fonctionne bien Il est constamment réévalué. Et comme ce sont les personnes qui le font vivre, mon rôle est d’accompagner ce que je perçois et leur permettre la découverte. Grâce à ce projet nous avons mis en place une cuisine éducative, collaboratrice, partagée. Cela n’existait pas avant. La direction a engagé autour de 25 000€ pour que nous puissions avoir une cuisine dédiée. C’est devenu un projet institutionnel fort, ce n’est pas qu’une activité de médiation. Le week-end on y fait en plus des tartes, on y organise et prépare les anniversaires, ça a permis bien d’autres choses… 

Ce projet a des ramifications, cela a entraîné par exemple la découverte des repas à l’extérieur, d’aliments que nous ne mangeons pas au foyer, comme les huîtres. Une année nous avons décidé d’une activité annexe en lien avec le projet : découvrir le quartier alentour du foyer par ce que l’on y mange. Nous sommes allés dans une saladerie mais aussi chez Petit Pierre1. Ou encore nous sommes passés des jus de fruits aux fruits au petit déjeuner, ce projet évolue, s'améliore, s’adapte chaque année ! Un restaurant gastronomique à Béziers, portant le nom de son chef, ancien gagnant du concours “Top Chef”.

1 Les hébergés vivent, au sein du foyer, dans des studios individuels et autonomes, équipées de cuisine, salle de bain…

2 Plat d’inspiration asiatique qui est constitué d’un bol de riz vinaigré sur lequel sont posé des légumes et une protéïne.

3 HACCP : Hasard Analysis Critical Control Point. Norme sanitaire alimentaire.