Bébé créateur. Que devient la création dans nos sociétés de contrôle ?

Crédit photo : Guillaume Vigier extrait du film "Petits pieds, grands pas"

Bébé qui seras-tu ? Peut-on encore rêver bébé ? Tel était le thème du colloque du 15 octobre 2022 organisé par l’association nationale des psychologues de la petite enfance à l’institut de Puériculture et de Périnatalogie dans le 14ème arrondissement de Paris. La conférence inaugurale de cette journée est prononcée par Roland Gori, Psychanalyste et Professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’université de Aix-Marseille : « Que devient la création dans nos sociétés de contrôle ? ».

Santé sanitaire et santé psychique

R.Gori fait d’emblée référence à Winnicott et au bébé créateur. Si vous avez perdu la capacité de vous surprendre vous-même, dans ce que vous vivez, alors je ne peux vous apporter aucune aide par la parole et il sera difficile de vous aider par la psychothérapie, et pour les enfants dont nous allons connaitre la charge. Vivre créativement, est toujours plus important pour l’individu, que bien vivre. Le paradoxe dans notre travail c’est que «nous» (professionnel·es) faisons en sorte dans la vie du bébé, qu’il devienne créateur alors que le monde réel exige qu’il soit non créateur, soumis et adapté. C’est pire aujourd’hui ! (...)

La surveillance généralisée pour notre bien-être est-elle bien compatible avec la création ?

Selon R. Gori Ce point est important car si il y a une tâche aveugle dans les recherches neuroscientifiques aujourd’hui par exemple, c’est bien cette présence de l’homme dans son/le psychisme. Le conférencier fait référence aux neurones miroirs. La capacité de création dépend à la fois du sujet, de son histoire et de l’environnement dans lequel il passe sa vie. C’est en ceci que la notion de santé exigée par les normes médicales diffèrent de la manière dont nous, psychologues, psychanalystes, appelons santé. La folie organisatrice d’une société de contrôle risque de priver les sujets singuliers et collectifs de leur potentiel créateurs. (...)

Alors, soyons bébé

Avec Walter Benjamin, R.Gori nous propose un point de vue philosophique. « nous devons dépasser la négativité du monde par le désespoir de l’imagination » écrit W. Benjamin et par là même ce qu’il reste du bébé en chacun de nous. C’est possible nous dit R.Gori à partir du moment où nous pouvons réhabiliter le travail du rêve. La libre pensée est le paradigme de l’imagination. (...)

Le rêve est vital pour tout être, il est le paradigme de toute création

La réalité psychique procède du travail d’une mise en sépulture des évènements, la restitution de celle-ci est la preuve vivante, de la création sans laquelle il n’y a pas de rêverie. La création procède d’une rencontre qui transforme l’objet comme dans la passion amoureuse, ou dans la création artistique. R. Gori fait alors référence au livre d’André Breton « L’amour fou » dans lequel il écrit : «C’est comme si je m’étais perdu et qu’on vint tout à coup m’apporter de mes nouvelles». (...)

Le bébé peut alors nous aider à vivre un état poétique.

R.Gori nous alerte encore sur le fait que nous sommes les nouveaux « esclaves » de la modernité. En France nous ne sommes pas exterminés ni mis aux fers, mais il est urgent selon lui de nous extraire de nos chaînes, de nos liens numériques. Les professionnel·les, les parents doivent se battre pour que le bébé puisse rêver dans une société qui ne fait rien pour le lui permettre. Le bébé est une Puissance, par son immaturité, par sa crédulité du devenir, nous devons le protéger car il faut bien comprendre qu’il nous renvoie nos propres immaturités, nos propres vulnérabilités. Alors soyons tous et toutes bébé ! En cherchant par tous les moyens de la création à nous émanciper des servitudes que favorisent nos sociétés.