LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Le médiateur c'est l'animal

[DÉLIÉ n°15] Entretien avec Joana Colin. Agir spontanément, au feeling en compagnie de l'animal.
Il y a une forme d’évidence chez Joana, étudiante en formation de Monitrice Éducatrice aux Ceméa Occitanie. Une évidence qui passe par le sensible. Une manière émotionnelle, intégrée à l’agir. À l’agir avec l’animal. La relation avec un être vivant, un être dont l’on prend soin et qui prend soin de vous. Cette dynamique fondamentale du vivant intègre et dépasse selon elle toute forme de théorisation excessive de la relation de soin. Rencontre.
Média secondaire

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Entretien J. Colin - étudiante Monitrice Éducatrice 2ème année - 14 Janvier 2025.

Photos: La jument Toscane et son bébé Noisette, le chien de Joana, Sky et Tornado son cher âne ! 

Joana Colin (en réaction à la trame présentant l’entretien que je lui ai fait parvenir deux semaines avant l’entretien effectif et alors que la discussion s’amorce de manière informelle) : “Après, le truc c’est, tu vois, moi j’ai réellement d’expérience éducative avant la médiation animale. Parce qu’en vrai, j’ai commencé à être avec Mikaëlle1 avant d’être ici2. Donc tu vois, quand tu me demandes, dans ta trame, c’est quoi les outils, moi j’ai pas d’outils… Je fais au feeling, j’ai pas d’outils”.

Délié : C’est ce qui m’ira comme réponse.

J.C : Et j’ai du mal à savoir ce que l’on met derrière le mot “outil”...

D : C’est intéressant de réinterroger la notion même d’outil. Après 20 ans de métier, peut-être qu’on la réinterroge moins. Mais on peut peut-être repasser par une phase de présentation plus classique ?

J.C : Comment je peux me présenter ? J’ai une petite fille… (Elle hésite) Qui a un peu plus d’un an et j’ai un vécu un peu en dent de scie on va dire (rires).

D : D’accord. Peux-tu nous présenter ton parcours?

J.C : J’ai arrêté l’école quand j'avais quinze ans, du coup, j’ai fait une seconde générale et technologique dans un lycée agricole. Après je suis partie en première littéraire mais ça ne me convenait pas donc je suis retournée dans mon ancien lycée mais j’ai redoublé en seconde et puis en fait, ça me parlait pas trop d'être à l’école. Sur une chaise à écouter des trucs que je trouvais “super pas pertinent”... À l'époque en tout cas… Donc je passais mes journées dehors avec des gens de la rue et c’était vachement plus intéressant pour moi.

Je dis pas qu’il faut faire la même chose, vraiment pas. De fil en aiguille, c’était vraiment pas pertinent pour moi d’être à l’école, donc j’ai arrêté juste avant mes seize ans… Pour, dans un premier temps, quelques mois d’errance et après ça, je me suis tournée vers une formation à distance de soigneur animalier. En même temps, je traversais une période extrêmement compliquée donc j’ai pas tenu cette formation, j’ai arrêté au bout de quelques mois. Le fait d’avoir une formation à distance demande une rigueur que je n'avais pas du tout à ce moment-là. Et de là, je me suis… En fait le déclencheur… Chez mes parents on a hébergé une jeune fille qui était à l’Aide Sociale à l’Enfance.

D: D’accord, tu peux nous en dire plus ?

J.C : C’est une fille que j’avais vu deux fois dans ma vie en Rave party et on l’a hébergée à la maison parce qu’elle s’est retrouvée à la rue.

D : C’est toi qui a proposé à tes parents de l’héberger ?

J. C : Ouais, ouais.

D : Et tes parents ont accepté ?

J.C : Ouais. Moi à ce moment-là j’étais dans mon errance et elle est venue à la maison ; et deux jours après c’était le confinement. En fait on s’est retrouvé à la garder 6 mois et moi avant ça je ne connaissais pas particulièrement le milieu de l’éducation spécialisée. J'en connaissais quelques bribes, mais pas grand chose quoi. Du coup on s’est retrouvés enlisés dans une situation assez folle, avec cette jeune qui était chez nous mais qui était censée être en foyer, mais qui avait fuguée… Bref, c’était assez particulier. Je me suis retrouvée plongée dans cet univers-là. Ma maman qui a été… Euh… Quasiment même sans son autorisation, mise en tiers digne de confiance, avec la juge… Ç’a été une histoire assez folle et en fait grâce à elle je me suis retrouvée dans cette filière là.

D : Tes parents n’en sont pas issus ? 

J.C : Pas du tout. Ma maman a toujours été dans cette transmission de l'altruisme, de la compréhension des choses, de la psychologie. C’est quelque chose qu’elle m’a toujours transmis ; mais elle pas du tout. Elle était secrétaire et mon Papa il est de l’agriculture donc tu vois, aucun rapport. Et après l’épisode avec cette jeune fille j’ai fait mes épreuves de sélection et je suis parti  faire ma formation de moniteur-éducateur au Pays Basque. Je suis parti là-bas, j’ai été prise. Cinq heures de route de chez moi, je me suis retrouvé là-bas. C’était assez drôle, hébergée par un Monsieur d’une soixantaine d’années. C’était vraiment trop chouette comme expérience. J’ai fait ma première année, et il y a eu un deuxième confinement, donc moitié de l’année en visio… Un peu relou quand même. J’ai arrêté au bout d’un an parce que j’étais dans une situation personnelle très difficile. Et je suis partie faire du wwoofing3 en Suisse, à faire du service dans les restos, être hébergé chez mon cousin… J’ai fait chez pas mal de gens comme ça. Je me suis séparée et je suis retournée chez mes parents. Et là je me suis dit j’ai quand même bien envie de la faire cette formation. Et je me suis retrouvée aux Ceméa.

D : Donc Monitrice éducatrice. Alors pourquoi dans tout le panel de métier, celui d’éducatrice plus qu’un autre ?

J.C : Ce qui m’intéresse plus c’est vraiment le travail éducatif et social. J’avais vraiment envie de trouver quelque chose qui soit dans l’aide mais dans sa dimension sociale, éducative, qu’importe les publics. Et surtout, plus tard, j’ai vraiment cette envie de pouvoir travailler avec des groupes de paroles avec des victimes de violences sexuelles, c’est un de mes objectifs assez importants. Et je le voyais bien avec le travail d’éduc’. Et je ne fais pas éduc’ spé4 parce j’ai pas le bac, tout simplement. C’est le lien avec les personnes, pas le soin.

D : Très bien, merci de ta présentation, c’est très intéressant. Peux-tu faire le lien avec la médiation animale ? Puisque c’est l’objet de notre rencontre…

J.C : Depuis petite je voulais travailler avec les animaux. En évoluant dans mon parcours personnel j’avais envie de lier l’aide aux autres et les animaux. De là je fais mes petites recherches, j’ai médiation animale, tout ça. Et mon Papa qui a beaucoup de contact, parce qu’il est éducateur à l’ASBH5. Du coup il a une amie a lui qui avait une amie… Mikaëlle, qui commençait à monter son association de médiation animale qui a ouvert en février 2021. Euh… Du coup je veux bien la contacter.
 

Et je me rappelle, j'étais chez ma meilleure amie à ce moment-là, je l’appelle en lui disant : “bonjour, on se connaît pas mais moi, mon projet c’est faire de la médiation animale, je suis la fille de Untel… Est-ce que tu peux m’expliquer ?”. Donc, on passe dix minutes à discuter, elle m’explique. elle me dit : “bah écoute si tu veux viens et puis on voit”. Je ne suis jamais partie.

D : Qu’est-ce qui t’as fait rester ?

J.C :C’est une asso qui venait de se monter. La présidente est une éducatrice spécialisée de métier qui a fait une formation complémentaire de “chargée de projet en médiation par l’animal”. Sachant que j’avais ce but, sans savoir Mikaëlle a cette manière d’être éducatrice qui n’est pas pompeuse ni forcément très théorique. Elle est vraiment dans le lien pur, humain, dans une approche qui moi me correspond. Dans le sens où elle a vachement cette approche sur un mode éducation bienveillante, à la Montessori6. Des choses qui me collaient bien. Et quand je l’ai rencontré, c'était sur un terrain, où ils ont tout fait avec leurs mains, ils ont arraché les vignes et ça a commencé avec deux cochons et quatre chevaux.

D : C’était une toute petite association au début ? Ce n’est plus le cas ?

J.C : C’est une association qui a bien, bien, bien évolué. On a plus d'animaux, de publics, de séances. On se rend dans des établissements, on a pris 4 ans pour ça.

D : Qu’est-ce que tu y fais depuis quatre ans avant même de t’engager en formation ?

J. C : Il y a le lien avec l’équipe, une diversité d’action, de rencontre des publics. J’ai rencontré des publics de DITEP7, avec des jeunes autistes. Je pense à ce jeune, non verbal, atteint de troubles “plus, plus”. Et lui, la médiation animale permettait à la maman de souffler, nous on l’avait pendant trois heures. Tu passes d’un public d’EHPAD, à un public d’ EAM, il  y a vraiment une diversité que je trouve super intéressante… Et surtout, puisque c’est ta question,  le lien aux animaux ! Tu vois la différence d’effets sur chaque public et une manière d'apporter la médiation qui est complètement différente en fonction des publics.

D : Peux-tu nous dire ce qu’est pour toi la médiation animale ?

J. C : Alors, c’est “la médiation par l’animal”. C’est un défaut de langage de parler de “médiation animale”. C’est une triangulation : il y a la personne qui est là pour recevoir, sentir les bienfaits du contact à l’animal, le professionnel et l’animal. C’est vraiment triangulaire. L’animal va apporter une fonction de médiateur. Le professionnel n’est pas intermédiaire et il n’est pas tout le temps là dans la relation. L’animal permet vraiment d’avoir de lien, où il y a des choses qu’il (le public, NDA) ne va pas nous dire.

En fait on (les éducateurs) s’en fiche d'avoir un retour. Il y a des choses pour les personnes verbales qui sortent. J’ai vu des enfants dire des secrets aux animaux aux “grandes oreilles” qu’ils ne nous disent pas à nous.

D : Les gens parlent aux animaux, leur confient des choses ? 

J.C : Oui. L’animal a cette fonction. Il ne va pas répéter. Des fois, nous sommes face à des publics qui ont perdu foi en l’humain ou en tous cas en l’adulte et il y a des choses qu’ils ne diront pas aux adultes. Le dire à l’animal permet de se libérer d'un poids, car l’enfant ou l’adulte est sûr que ça ne sera pas répété.

D : Et pourquoi pas au psychologue, qui ne répète pas ?

J.C : Alors, c’est une pure hypothèse que je fais : le psy ne répète pas mais il va interpréter. Et répéter son interprétation. Peut-être que l’enfant a juste besoin de dire. Pas de quelqu’un qui va poser un jugement, avoir un avis. Ou d’apporter une solution. Peut-être que la personne a juste besoin de sortir quelque chose, pas d’avoir quelqu’un qui dit : “alors, dans telle situation, je pense que tu devrais…”. Y’a pas ce truc ou tu viens théoriser. J’ai vu des situations où la personne est là, t’as l’animal avec, ça permet de lâcher des trucs. Moi j’ai pas d’explications. Il y a un truc qui se passe.

D : Quand tu dis je n’ai pas d’explications, c’est “pas d’explications théoriques”. C’est plutôt de l’ordre du sensible ?

J.C : Ouais. On dit, euh… (elle cherche) que les chevaux, c’est les miroirs de l'âme. Je parle des chevaux parce que c’est ma sensibilité particulière. Les chevaux ressentent une mouche sur leur corps ; ils ont cette particularité là. Quand tu es à cheval, tu vois, si tu tires sur la bride, tu tires, tu tires, ça marche pas. Y’a quelque chose qui marche pas. Le cheval sent tout ce qui se passe.

D : Est-ce que les humains n’ont pas perdu un peu cette capacité à le faire ; à énormément rationaliser, mettre en réflexion au dépend du sensible, qui semble très présent chez les mammifères, si l’on en croit l’éthologie ?

J.C : Oui. Je pense. Il y a quelque chose de l’ordre d’une sensibilité. Je dirai même une pureté qui n’est pas… “ternie” par ce que l’on acquiert en grandissant, en devenant adulte. Que ce soit le besoin de réussite, l’égo. Je pense que les animaux, comme les enfants, ont cette sensibilité commune qui fait qu’il y a quelque chose qui se fait naturellement. Et du coup, les enfants sont peut-être plus enclins à être proches de l’animal.

D : Ya-t-il des animaux plus enclins que d'autres à la médiation ou bien des animaux qui sont recommandés en fonction de l’accompagnement proposé, du besoin de la personne, de son état émotionnel ?

J.C : On peut faire de la médiation avec n’importe quel animal. À l’association, nous avons des tortues, des oiseaux, des chiens… Après, en fonction des publics et des objectifs que tu veux travailler, tu as toujours des animaux qui vont être plus intéressants. Je te donne un exemple : pour des enfants d’ITEP, qui ont besoin de cadre, qui ont du mal à se canaliser, avec la frustration, le cheval est un animal parfait. Le cheval fait 600 kg, et s’il n’a pas envie, il n’a pas envie. Et cet animal là va être hyper intéressant pour travailler la frustration, pour travailler la manière d’agir.

Par exemple, si tu fais que tirer sur la corde, le cheval il va pas avancer. Il faut aller “avec lui”. Il faut de la douceur. En fonction des objectifs que tu vas travailler, certains animaux vont être plus propices que d’autres. T’as des enfants par exemple, ça ne va pas être possible pour eux, dans les premières séances en tout cas, d’être proches des chevaux. Parce que c’est imposant, parce que ça fait peur. Du coup, on va plus aller sur les lapins, tu vois… Ça dépend des objectifs que tu vas travailler.

D : Est-ce que tu fais une différence, est-ce qu’il y en a une formellement, entre médiation animale et zoothérapie ?

J.C : Ce ne sont pas les mêmes diplômes. Euh… (elle réfléchit) J’ai pas toutes les connaissances sur ça, mais je sais qu’il y a une formation de zoothérapeute qui existe et une formation de médiation par l’animal. Quelle différence ? Je ne sais pas, mais dans la zoothérapie il y a cette notion qui est portée par un “thérapeute”, il doit y avoir plus de connaissances psychologiques.

D : Tout à l’heure tu parlais de ton envie, plus jeune, de faire “soigneuse animalière”. Tu es passée par de nombreuses réflexions et directions, mais il y a une forme de continuité finalement dans ton rapport au soin et aux animaux ?

J.C : Alors là… Je me souviens que toute jeune, je devais avoir 5 ou 6 ans, je jouais dans la rue avec les autres gamins ; va savoir pourquoi, tous les chiens perdus atterrissaient dans notre rue. Du coup je me retrouvais toutes les deux semaines, vraiment, à emmener un chien chez le véto en disant : “bonjour, j’ai trouvé un chien !”.

D : Mais tu n’étais pas la seule dans la rue…

J.C : Ouais ! Mais c’était moi qui prenais le chien. Je me suis retrouvée… Une fois j’ai trouvé des martinets, je les ai ramenés chez moi, je devais avoir 8 ans, je les ai nourri et gardé.

D : Tu sais d’où ça te vient ?

J.C : Je ne saurais pas te dire, on avait même pas d’animaux, mes parents ont accepté qu’on ai un chien, quand j’avais quinze ans. C’était un peu tard.

D : Oui ; en général on veut plutôt un animal vers 6, 7 ans…

Oui, mais maintenant il me sert pour faire de la médiation.

D : Tu peux en dire plus ?

J.C : Il vient dans les Ehpad, il fait les séances avec les enfants.

D : Vous vous déplacez également en structure ? 

J.C : Oui, Ehpad, quartier Alzheimer, en EAM8. On a pris le parti de ne pas prendre les chevaux, poneys. Il existe des structures qui le font, ils se déplacent pour une heure, deux heures. Nous on ne le fait pas avec nos animaux, ça demande une logistique qui est trop importante. Quand tu prends poneys et chevaux il te faut un véhicule équipé pour le remorquage, le van derrière. On pourrait le faire pour une journée, pas pour une heure ou deux. Ce qu’on fait dans les établissements : on prend les chiens, moi je prends mon chien, les lapins, cochons d’Inde. C’est arrivé qu’on prenne des poules aussi. Euh… Là, dernièrement, les tortues, qui sont les nouvelles recrues.

D : Qu’est-ce que vous y faites ?

J.C : On amène nos supports, ça dépend des publics. À l’EAM par exemple, c'est un public lourdement handicapé. Il y a une jeune fille, que j’ai en tête, par exemple, qui passe une heure avec le lapin sur ses genoux. C’est sa séance et pour elle ça, c’est trop génial.  Et ça lui fait du bien, elle sourit pendant une heure, c’est trop chouette. Y’en a d’autres qui vont avoir le besoin de colorier. De… Par exemple, on prend des sachets avec des graines, du foin et ils vont tâter. On est sur une dimension sensorielle. Sur ce type de compétences. En Ehpad, on va plutôt travailler la motricité fine. On leur fait brosser les animaux par exemple. Ça paraît évident, mais prendre la brosse, brosser pas trop fort, se concentrer sur ce que l’on fait. Pour un personne qui est atteinte de la maladie de Parkinson, c’est énorme.
Il y a quelque chose de l’ordre de l’évidence. Pas besoin de penser des milliers d’outils pédagogiques. Des fois, juste le fait de discuter avec une personne pendant qu’elle prend soin de l’animal ça permet aussi de différer l’attention. Je n’ai pas de problème avec la dualité, donc ça va, je suis en capacité de te parler et on échange comme ça. Pour des personnes pour qui c’est très difficile d’avoir un rapport à l’autre direct, le simple fait de caresser un animal pendant qu’il te parle, ça a bien plus de portée. Et ça peut débloquer plein de choses.

D : C’est spécifique aux animaux ou c’est valable pour d’autres médiations éducatives ? Je pense à la cuisine, que j’ai beaucoup utilisé lorsque j'étais éducateur.

J.C : Tu retrouves ce truc aussi… L’animal apporte quelque chose. Mais tu peux retrouver ça quand tu es en voiture. Tu vois ce genre de discussion de fou ! ? Ça fait deux ans que le gamin te parle pas et puis d’un coup “Pouf”, il te sort des trucs de dingue. Parce qu’il n'y a pas de dualité, de confrontation. Je pense vraiment que d’avoir un animal entre les mains, de s’occuper de quelqu’un d’autre… D’un tiers “être vivant” amène un plus. Au-delà de l’atelier cuisine ou de la voiture. Ça détourne l’attention : “je brosse l’animal, il y a moins d’attention sur moi”. Tu vois, le fait de faire entrer un médiateur.

D : L’animal est un médiateur ?

J.C : C’est de la médiation par l’animal. Le médiateur c’est l’animal, on pourrait dire que c’est l’humain le médiateur. Ce n’est pas le cas. C’est vraiment l’animal qui prend cette position. Pour moi en tout cas. Certains pourront dire “je suis le médiateur et l’animal est mon partenaire”. Moi j’ ai vraiment cette vision que tout passe par l’animal. Et tu peux avoir de sa part des informations… Comment dire… Quand je vois mon chien agir avec d’autres personnes… Il a cette attitude là, où il va aller chercher pour jouer par exemple l’enfant qui est le plus en retrait. C’est quelque chose qui m’a toujours fasciné. Je ne lui ai jamais rien appris à ce chien. Il a de lui-même cette sensibilité. Il va, à chaque fois, amener la balle à celui qui est dans son coin, à celui qui ne parle pas… Je n’ai aucune explication à ça.

D : Cette dimension n’est possible qu'avec un animal. Un objet, très pragmatiquement, ne pourra pas faire cela ! 

J.C : T’as ce rapport d’attachement que tu n’as pas avec un ballon de foot ou un carotte. Et puis la récurrence. Tu vas revoir les animaux toutes les semaines, tous les mois et l’animal te permet de travailler plein de dimensions. Pour l’alimentation par exemple. La première petite fille que j’ai rencontré avec Mikaëlle, c’était une petite fille diagnostiquée autiste asperger et qui mangeait seulement de la glace. Elle ne mangeait que ça, c’était très très difficile. Elle avait des crises de colère super compliquées ; les parents venaient d’avoir ce diagnostic et ils ne savaient pas quoi faire ! Donc ils sont venus faire des séances de médiation par l’animal. Du coup, à la fin de chaque séance on faisait un petit défi avec elle. Manger un petit peu de poulet, des petites choses comme ça. Au bout de quelques mois elle mangeait des repas. Elle ne supportait pas de se salir. Rien que de curer les sabots c’était, très, très compliqué. À la fin on partait en balade avec les chiens, elle se salissait les mains et ça allait très bien. Bon, fallait les laver en rentrant quand même !

D : J’ai le sentiment que cette dimension, où tu ne peux pas vraiment expliquer les choses, te plaît ?

J.C : Exactement.  Les animaux ne vont pas interpréter, mettre des théories ou des hypothèses analytiques… Il y a agissement, on le prend, comme il vient. Il n’y pas à porter… Tu ne fais pas de réunions pluridisciplinaires avec les animaux pour savoir pourquoi Léon agit comme ça. Bah non, on prend Léon, on passe du temps avec lui et c’est chouette.

D : Pour finir, pourquoi le cheval ? Qu’est-ce qui fait que cet animal est particulier pour toi ? 

J.C : J’ai toujours fait du cheval, d’aussi loin que je me souvienne. Je ne sais pas, j’ai toujours été en lien avec le cheval. Il t’amène une liberté assez folle. Il fait 600 kg. Il peut t'envoyer son sabot dans la gueule, mais il ne le fait pas. Pourquoi ne le fait-il pas ? Des fois t’as juste une question de soumission ; mais des fois t’as ce lien où le cheval te donne sans compter. Tu as vraiment ce truc où le cheval pardonne. Ça fait des milliards d’années… Bon, peut-être pas des milliards (rires), mais ça fait beaucoup d’années où l’on observe des équitations qui sont assez violentes pour les chevaux. Tu vois quand t’as beaucoup d’enrênement, des éperons. Je ne cautionne pas et c’est potentiellement violent. Le cheval pourrait se rebeller et casser la gueule du cavalier. Rien que ça, je trouve ça dingue. Cette capacité à pardonner constamment, c’est quelque chose que je trouve admirable et dont l'humanité pourrait s'inspirer, mais on n’en est pas là.

Notes

  1. Mikaëlle est la fondatrice de l'association Mika ‘ni’ Maux, association de médiation par l’animal,  fondée en 2021 dans l’Hérault.
  2. Au centre de formation de Ceméa Occitanie, où elle se forme au métier de Monitrice-éducatrice.
  3. Le “wwoofing” est le fait d’aller travailler bénévolement en ferme (généralement biologique) en échange du gîte et du couvert.
  4. Abréviation désignant la formation au Diplôme d’État d’Éducateur.ice Spécialisé.e.
  5. Association Sportive de Béziers Hérault. Ce point est intéressant, notamment du fait qu’en présentation, Joana évoque ses parents, précisant qu’il n’ont aucun rapport avec les métiers de l’éducation.
  6. Joana fait ici un lien avec l’éducation nouvelle, où l’apprenant est au cœur du dispositif d’apprentissage et l’éducateur se décale d’une posture qui pourrait être descendante ou en surplomb.
  7. DITEP = Dispositif Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique.
  8. Établissement d’Accueil Médicalisé.

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