Chanter ensemble... pour soi, pour tous et toutes
Image par Evgeni Tcherkasski de Pixabay
La voix est l’instrument le plus simple qui soit mais dont l’usage peut devenir des plus complexes. À de très rares exceptions près, d’ordre physique et/ou physiologique, toute personne a la faculté d’utiliser sa voix pour parler et pour chanter et c’est l’instrument le plus facile et le moins cher à transporter !
Et trop souvent freiné·e·s par les remarques acerbes de nos proches, notre voix nous la mettons sous l’éteignoir dans le coton du silence. Et nous nous contentons de chanter sous la douche ou à voix basse, persuadé·e·s que nous sommes de chanter faux ou de détoner.
Le chant choral permet de la réhabiliter à nos yeux et de faire appel à d’autres parties de notre corps.
Le premier diagnostic de bonne santé pour un bébé est son premier cri signalant des poumons en état de marche, premier cri d’appel vers sa maman dont il vient d’être brutalement séparé.
Durant ses premiers mois, sa voix est son moyen de communication privilégié, par moment pour le plus grand désespoir de ses parents qui n’en peuvent mais ! Et ce qui surprend toujours, c’est qu’il est rare qu’un bébé soit aphone…
On considère qu’à partir d’environ 7 ans l’enfant est en mesure de maîtriser la justesse des notes qu’il émet : c’est LE MOMENT de lui faire pratiquer le chant choral ! La découverte des voix qui se mêlent, à l’unisson ou en polyphonie, est essentielle pour l’apprentissage d’une vie en société harmonieuse : écouter, sentir la voix de l’autre, suivre la discipline collective impulsée par la direction musicale, adapter sa voix aux nuances, respecter les silences, tout cela fait un citoyen responsable de lui-même et des autres. Lorsque l’on comprend que le niveau de qualité du chœur se mesure à son élément le plus faible, on ne peut que donner le meilleur de soi-même, d’autant plus si l’adhésion à une direction musicale est librement comprise et consentie, le chef ou la cheffe n’étant pas dictateur·trice mais rassembleur·euse d’énergies orientées dans la même direction, au service d’une transcendance proposée par l’œuvre interprétée…
Des envies trop souvent étouffées dans l’œuf... par les autres
Le lien que l’on a avec le ou la choriste qui chante à côté de soi n’est pas uniquement d’ordre cérébral, lié à une partition parcourue ensemble ou un geste de direction concomitamment intégré : il est aussi organique, charnel, de par les vibrations émises et reçues, qui vous traversent simultanément.
Le moment du chant, individuel ou collectif, est un moment où il est possible que le corps et l’esprit du choriste soient en cohérence totale, d’où l’éventuelle complexité de la pratique vocale.
Cette symbiose corps-esprit est naturelle chez le bébé qui est totalement, entièrement, FAIM ou DOULEUR ou PLAISIR, c’est probablement une raison de la quasi-absence d’aphonie chez lui…
Un facteur important de traumatisme initial chez des personnes qui se refusent ensuite à chanter vient du milieu familial ou scolaire : « tu parles/chantes trop fort, donc tais-toi ! », « tu chantes faux donc tais-toi ! » . Ce type de remarque touche en général profondément la personne concernée qui, souvent, attendra la cinquantaine, voire plus, pour aller à la rencontre d’un chœur et de sa propre voix. Cette injonction négative touchant le moyen principal de communication est de nature à bloquer durablement toute expression vocale, la symbiose corps-esprit rendue impossible : c’est alors que l’instrument devient complexe d’utilisation et il faut un coaching vocal, physique et psychologique bien adapté pour y remédier.
Image par Klaus Becker de Pixabay
L’évolution peut être spectaculaire : une personne retrouvant ses facultés vocales peut passer, en une semaine de stage, du noir à la couleur dans son habillement ! Améliorer son émission vocale, c’est approfondir la connaissance de son propre corps, de son fonctionnement, de ses tensions toujours liées à son histoire et, parallèlement, accepter de le laisser s’exprimer en toute liberté, accepter de se laisser traverser par une énergie qui nous dépasse et nous fait vibrer : c’est un chemin infini de développement personnel qui s’ouvre alors, et il est essentiel…
Mobiliser son corps résonnant
La pratique vocale collective peut être, au départ, un bon moyen d’expérimenter sa voix « sans danger »… sa voix étant mélangée aux autres voix, on a moins peur de l’appréciation des auditeurs. Ce plus est également un moins : en effet, lorsque l’on chante en chœur, on n’entend pas sa propre voix mais celle des voisins et voisines… comment donc avoir un bon contrôle de son émission ?
Tout le monde a fait l’expérience de l’écoute de sa propre voix enregistrée et de la surprise qu’elle procure. D’autre part, si l’on réalise que, du fait de la vitesse du son, l’onde sonore émise depuis nos cordes vocales a parcouru 30 cm en 1/1000ème de seconde, on comprend que le contrôle vocal ne peut se faire par l’écoute du son émis car on sera toujours « en retard » !
De plus, il est bon de savoir que la puissance du son émis au niveau de nos cordes vocales est très faible, son amplification naturelle dépendant totalement de l’amplification que le chanteur peut lui donner, mobilisant toutes ses cavités naturelles, bouche, pharynx, poitrine, cavités crâniennes dont une, essentielle, le sinus maxillaire situé derrière le nez. Enfin, il est essentiel de constater qu’un faible flux d’air est en jeu lors d’une émission dans une nuance mezzo forte naturelle d’une voyelle et donc qu’il n’est pas indispensable de remplir ses poumons au maximum pour émettre un son.
Tout cela pour dire que ce qui se joue dans l’émission d’un son chanté (avec un appareil vocal en bon état !) dépend essentiellement de la capacité du chanteur et de la chanteuse à mobiliser son corps résonnant : cela dépend donc de sa disponibilité physique et psychique au moment du chant, de sa posture corporelle et intellectuelle, de la connaissance de son propre corps et des sensations repérées tout au long de l’apprentissage. Cet apprentissage a été longtemps de type « mimétique », ce qui a permis l’éclosion d’excellents chanteurs par une tradition orale assez peu scientifique. Il faut savoir que, lorsque l’on écoute un.e artiste lyrique, notre appareil vocal reproduit inconsciemment les positions de l’artiste, avec une sensation de grand confort lorsque l’artiste est « confortable » et de grande gêne lorsque ça n’est pas le cas : d’excellents chanteurs d’instinct ont pu ainsi perpétuer une tradition du beau chant lyrique avec une sélection naturelle de ceux qui pouvaient poursuivre dans la voie…ou pas !
Les connaissances du fonctionnement vocal que nous avons aujourd’hui permettent de proposer à tout un chacun, n’ayant pas nécessairement des dispositions naturelles exceptionnelles, d’améliorer son émission vocale et de participer avec bonheur à des productions musicales individuelles ou collectives.
Un reproche majeur de beaucoup de professeurs de chant a été longtemps que la pratique collective obligeait les choristes à freiner leur voix pour entrer dans un moule voulu par le chef ou la cheffe de chœur : elle était donc nocive. Il y a plusieurs facteurs pouvant expliquer cela : pour un.e choriste à la technique individuelle insuffisamment expérimentée, il peut être compliqué de chanter dans un chœur et, lorsque le chef ou la cheffe a une connaissance technique insuffisante de la voix et maîtrise mal ses gestes de direction, le choix de certaines œuvres peut être nocif et le message corporel qu’il envoie peut bloquer les voix.
Chanter avec les professionnel·le·s pour progresser
En fait, chaque personne, de par la singularité de ses espaces propres résonnants, a son timbre personnel avec son échelle de fréquences renforcées. Ce timbre peut présenter des particularités qui peuvent être des défauts : voix très nasillarde (voix d’Extrême-Orient), voix très pharyngale (voix de l’Est), voix boulette (langue très reculée), voix serrée (gorge serrée) etc. Cela vient essentiellement d’une mise en sur-résonance de certaines cavités (nez, pharynx) et/ou de tensions corporelles. Il est alors très difficile de les mélanger dans un chœur…
Un objectif majeur du chef et/ou du coach vocal du groupe est de proposer à tout un chacun un type d’émission commun qui permet à l’ensemble de sonner. Pour la musique européenne dite classique, une bonne émission est celle où chaque choriste ne ressent pas sa voix dans un des espaces résonnants décrits précédemment et se sent souple et confortable : avec un chanteur dans cette disposition intellectuelle et physique, l’auditeur entend bien le son venir de la personne mais pas d’une partie précise d’icelle (nez, pharynx, poitrine, bouche…). Lorsque tout le groupe est dans cette disposition, alors l’ensemble sonne et les timbres différents se mélangent harmonieusement… et les poils des auditeurs peuvent se dresser de concert !
Un travail vocal préliminaire est donc indispensable pour harmoniser les émissions de chacun et la direction musicale doit permettre, par ses gestes et sa connaissance de la voix, de poursuivre ce travail dans l’interprétation des œuvres : c’est cette évolution dans le professionnalisme de l’encadrement des chœurs français qui en a permis l’amélioration qualitative majeure. Plus aucun rapport avec la chorale de Mademoiselle Le Long Bec chère à Fernand Raynaud ! Ce professionnalisme de l’encadrement va de pair avec des exigences qui sont acceptées à la mesure du plaisir procuré par une interprétation exemplaire !
Il est alors possible (et fréquent maintenant) aux choristes amateurs de partager l’interprétation de grandes œuvres avec les artistes professionnels et c’est un facteur de progression incroyable : observer le soliste chanter à deux mètres de soi, écouter ses éventuels conseils, est une expérience sans prix, susceptible de motiver l’amateur dans la recherche du meilleur de soi-même. Cela lui permet également de mieux comprendre le statut du professionnel qui donne tout à son art, et de l’apprécier d’autant plus.
Une mixité qui peut surprendre
Le besoin de chant, collectif ou individuel, traverse toutes les couches de la société. C’est ainsi que l’on rencontre toutes les professions, de la plus manuelle à la plus intellectuelle, dans un chœur, véritable modèle réduit de la société. Toutes et tous se retrouvent dans une démarche commune, oubliant le mur à maçonner, le véhicule à réparer, le patient à soigner, l’élève à éduquer, le théorème à démontrer, l’expérience à justifier. Chaque choriste, souvent spécialiste dans sa partie, accepte de se mettre au service d’une partition, accepte les injonctions vocales, solfégiques et interprétatives de la direction musicale qui, en retour, doit toujours garder à l’esprit cette démarche d’humilité de ses choristes et les en respecter d’autant plus…
C’est alors que le chant choral devient un facteur majeur du dialogue et du partage entre les citoyens, toutes couleurs politiques confondues, toutes couches sociales mélangées. Il n’est pas rare qu’un·e choriste découvre que la personne à côté de laquelle il ou elle chante avec tant de plaisir depuis longtemps a des opinions politiques très différentes : la stupéfaction de cette découverte peut alors changer son regard sur l’autre, le rendre moins tranché, engendrer une discussion plus apaisée : « ceux d’en face » ne sont pas nécessairement des crétins bornés et peuvent devenir respectables malgré leurs différences d’opinions.
La pratique vocale collective est fusion enrichie des différences acceptées au service de la Beauté et de l’Art. Il permet à tout un chacun d’être, à certains moments, artiste de sa vie et cela est absolument essentiel, vital, d’autant plus lorsque la vie est difficile.
Comment ne pas penser alors aux artistes enfermés dans les camps de concentration qui ont continué, dans les horribles fumées des fours crématoires, à pratiquer leur art tout en étant intimement convaincus de leur proche assassinat… Requiem de Verdi à Terezin, Opérette « Verfûgbar » de Germaine Tillion à Ravensbrück : ils ont continué à chanter ensemble jusqu’à leur dernier souffle !