Table-ronde - Prévenir le sexisme et le harcèlement à l’école
Il est question de penser qu’être doux est une attitude et une valeur qui font grandir l’humain en nous, fille ou garçon ou autre. C’est d’engagement collectif et individuel dont nous avons besoin, c’est du courage de prôner des valeurs humanistes dans l’accueil de l’autre, de sa parole, de son intégrité physique et psychique en classe comme ailleurs. La prévenance n’est pas un « concept mou » : elle reste un combat politique pour la non-violence, l’égalité et la solidarité. Ce combat concerne les femmes comme les hommes : par les violences sexistes les hommes se privent aussi de leurs possibles. Il se mène avec des victoires provisoires et des régressions, des dévouements et des découragements. Mais si le combat des doux est le combat de Sisyphe poussant sa pierre, il n’en reste pas moins le grand combat humain. Comme l’écrit Virginie Despentes : « Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes et pour les autres. Une révolution bien en marche. Une vision du monde, un choix ».
Pour aller plus loin...
Présentation de l’association Prévenance
L’Association est à but non lucratif. Elle conduit une mission d’intérêt généralqui a pour but de développer la culture de la paix dans le Système Educatif et de contribuer concrètement à apprendre à vivre ensemble.
Prévenance : ce terme peut paraître étrange pour une association qui entend travailler pourl’apprentissage d’une culture de la paix et contre la violence à l’école. Pourquoi pas prévention ? Parce que nous pensons qu’avant tout programme spécialisé, qu’avant toute action concertée, officielle, estampillée et qu’avant de parler paix ou violence il y a d’aborddes gestes simples du vivre-ensemble, un climat à instaurer, une coopération à mettre enœuvre.
Missions :
- Développer les compétences et sensibiliser aux pratiques pédagogiques de l’éducationpour la paix afin de promouvoir la réussite scolaire et le « bien vivre ensemble » dans les classes et les établissements scolaires.
- Se mettre à la disposition des professeurs pour les aider à enseigner la non-discrimination,l’intégration et la liberté d’expression dans le respect des droits de l’Homme.
- Transmettre la culture de la paix par tous moyens : projets éducatifs variés (théâtre,cinéma, danse, musique, activités physiques et sportives...), conférences, ateliers et animations dans les classes...
Activités :
Animations : Apprendre à gérer ses émotions et ses angoisses ; La lumière, le laser ; Unvoyage dans l’Univers, les mains des élèves sur la Lune ; L’homme est-il un animal comme les autres ? ; La différence culturelle franco-chinoise. ...
Colloques : Les sciences contre la violence à l’école. Construire le respect d’autrui pour un climat scolaire serein. Actualités de la non-violence. ...
Conférences : Le climat scolaire : Simple évidence ou révolution pédagogique ? ; Climat scolaire et harcèlement à l'école : pour une pédagogie prévenante. ...
Dossiers : Les violences sexistes à l’école, une oppression viriliste ; Comment construire une société apprenante ? ; Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’École ; La science, catalyseur de Paix. ...
Formations: Nos formations sont fondées sur des apports théoriques, des tempsd’échanges, des réflexions en groupes et des mises en commun d’expériences. Elles proposent des ateliers et des activités que chacun peut s’approprier selon sa démarchepédagogique.
Publications : Enfants de l’immigration, une chance pour l’école ; Ne tirez pas sur l’Ecole ! ;L’école de la curiosité ; Apprendre à résister ; La Paix ; L’impasse de la punition à l’école. ...Tables-Rondes : Violence scolaire et culture de la Paix ; Prévenir le sexisme et leharcèlement à l’école. ...
Gouvernance :
Jean Audouze, Président
Eric Debarbieux, Vice-Président Lucie Miclot, Déléguée Générale
Contact Association Prévenance
Tel: +33 6 32 37 04 88 - Email: contact@prevenance-asso.frPour plus d’informations www.prevenance-asso.fr
Rapport « Les violences sexistes à l’école – Une oppression viriliste »
(Eric Debarbieux avec Arnaud Alessandrin, Johanna Dagorn et Olivia Gaillard / Observatoire européen de la violence à l’école) – 30 mai 2018
Il y a quelques années une des nombreuses enquêtes que j’ai menées sur la violence à l’école en interrogeant alors 12 000 écoliers mettait en évidence l’importance du harcèlementsubi par une minorité d’élèves en souffrance, chiffrée alors à environ un élève sur dix.
Une vraie mobilisation s’était produite, et les premières politiques publiques françaises sur ce sujet avaient suivi les « Assises Nationales contre le harcèlement à l’école », qu’en mars2011 le Ministre de l’Education nationale de l’époque m’avaient confiées. Nous n’en sommes plus au déni et à l’ignorance où nous étions alors et l’opinion publique, avec les média, s’est largement emparée du sujet. Il va de soi que « l’affaire Weinstein » et le déluge derévélations qu’elle entraîne en libérant la parole et l’écoute des victimes – avec des conséquences concrètes sur les prédateurs et harceleurs sexuels – est aussi venue accentuer cette prise de conscience.
Aucun ministre de l’éducation ne pourrait renoncer à lutter contre le phénomène du harcèlement en milieu scolaire sans y perdre de la crédibilité. La ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports que fut Najat Vallaud-Belkacem a de soncôté beaucoup œuvré pour la reconnaissance d’un phénomène devenu un délit général dansla loi du quatre aout 2014. Pour autant, si les dernières enquêtes de santé publique auprès des adolescents et adolescentes sont plutôt encourageantes en montrant une baisse duphénomène, rien n’est gagné loin de là. C’est ce que nous raconte cette lycéenne.
Histoire de Coralie, 17 ans, Lycéenne (entretien janvier 2018)
Tout a commencé en CE1, j'avais 8 ans. J'étais mince parce que j'avais des problèmes de santé et un choc dû au décès de mon grand-père. J'ai été harcelée par une professeure. Elle me traitait d'anorexique et me forçait à manger mon assiette à la cantine. Cela n'a pas alerté ma mère jusqu'au jour où je ne voulais plus du tout manger, même à la maison. Je pesais 17 kilos à huit ans. On m'a toujours traitée de sac d'os, de squelette, d'anorexique... Le harcèlement m'a suivie en 3ème au collège, j'ai tenté de mettre fin à mes jours et je me scarifiais.
En 5ème je suis sortie avec un garçon. Mon premier amour... Au début je pensais qu'il m'aimait vraiment mais il a joué avec mes sentiments. Il n'arrêtait pas de me quitter et me reprendre comme un objet. Un jour au collège, il était au fond de la cour avec ses potes. Je suis allée vers lui et apparemment je lui aurais dit quelque chose qui ne lui a pas plu alors il m'a attrapée et m'a écrit sur le visage avec des fluos, il m'a tiré les cheveux et a commencé à me frapper. Je ne suis plus jamais ressortie avec lui. J'ai eu beaucoup de mal à m'en remettre, il m'a énormément déçue et blessée.
En seconde au lycée ça ne s'est pas arrêté. Partie pour un bac ASSP, je me suis rendu compte au bout d'un mois de rentrée que ça ne me plaisait pas du tout. J'ai donc entrepris un bac GA. Les «clans» s'étaient déjà formés.
Durant les mois qui ont suivis, un garçon me taquinait beaucoup mais un jour en cours il est allé trop loin. Devant tous les élèves et le professeur il a crié : «Bouffe mes couilles sale pute ! », «Espèce de grosse salope». Je me suis mise à pleurer et les autres riaient. À la récré, ce garçon et ses copains venaient pour me demander de me montrer ou de les embrasser. Je les repoussais et essayais d'alerter un adulte qui évidement ne réagissait pas. Une fois un ami de ses amis a commencé à faire des gestes obscènes, je n'en parlais plus jusqu'au moment où j'ai reçu des messages du genre : «Suce-moi grosse pute», «t'es une suceuse »...
J'ai demandé à ma mère de changer mon numéro de téléphone et là j'ai été obligée de tout lui dire. Le lendemain elle a appelé le CPE, il m'a posé beaucoup de questions. Il a convoqué les élèves concernés qui par la suite ce sont tous retournés contre moi. Suite à cela je ne suis plus allé en cours pendant 1 an, j'ai vu des tas de psychologue, psychiatre... Aujourd'hui, je suis retournée au lycée, je me suis soignée et je vis mieux ma scolarité. Je suis reconnaissante envers ma mère, elle m'a sauvé la vie. Et je suis plus que motivée à avoir mon bac et reprendre ma vie en main.
Témoignage terrible bien sûr, et où rien ne peut justifier les agressions subies. Difficile en effet de dire à cette lecture qu’il s’agit d’un simple jeu sans conséquences ou d’une drague«un peu lourde» comme il est souvent rétorqué à qui s’engage sur le chemin d’une sexualitédu consentement total et du refus du sexisme.
N’allons pas penser que ce phénomène soit un phénomène nouveau, qui marquerait une sorte d’ensauvagement des jeunes mâles contemporains. Il ne s’agit pas pour autant de faire du harcèlement sexiste un phénomène «naturel» qu’il serait impossible de combattre. Unedes choses que l’on sait le mieux est qu’il s’inscrit dans la durée et peut avoir desconséquences lourdes, par perte d’estime de soi des victimes. Les brimades répétées accompagnent toujours et précipitent souvent les violences les plus lourdes qui sont exercées. Elles sont cette oppression quotidienne qui marque profondément le psychisme des sujets qui la subissent. Il n’est plus possible de nier leur importance tant leursconséquences sont connues désormais, même si l’on peut se reconstruire.
Histoire de Sabine, 43 ans.
Dès la primaire je subissais les brimades des élèves. Étais-je différente des autres par mon manque d'assurance ? Par un manque de confiance en moi ? Je restais à l'écart, dans mon coin car personne ne voulait jouer avec moi ni même me parler... Comme si j'étais transparente et pourtant j'essayais de m'intégrer. Une élève de ma classe était un peu handicapée mentalement et physiquement. Partout où j'allais, elle me suivait pour me donner des coups de pieds dans les jambes mais je savais qu'elle n'était pas bien dans sa tête. Sous le préau les garçons jouaient au foot et à chaque fois ils me le lançaient en pleine tête. Personne ne disait rien, personne pour me défendre ; je portais ce lourd fardeau chaque jour. Ils m'ont toujours fait croire que j'étais différente d'eux, toujours à part, toujours seule... Mais je ne me sentais pas différente ! Pourquoi tant de méchanceté ? J'avais la paix seulement quand j'allais en étude, ma maîtresse était très gentille. La piscine était pour moi un calvaire, je n'aime pas le sport. Ayant des problèmes d'asthme, il était difficile pour moi de suivre le rythme des autres. Alors c'était les moqueries et le prof qui ne cherchait pas à comprendre mon problème. Je ne savais pas nager et les autres s'en fichait, ils me laissaient au fond de l'eau et personne ne venait m'aider, me sauver... J'étais toujours la fautive d'après eux. Une fille me faisait porter son cartable et une autre m'attendait à la sortie pour m'humilier encore plus. Je regardais autour de moi, espérant trouver de l'aide, quelqu'un qui me comprendrait, qui subissait la même chose que moi mais j'étais seule. Je me souviens d'un ami d'enfance, il était très gentil avec moi, quelque fois il venait me parler et ça me réchauffait un peu le cœur. J'ai dû redoubler car j'étais souvent malade... Je ne pouvais plus suivre les cours normalement. Entre les brimades, les retards en classe, les absences répétées c'en était trop ! Je ne pouvais pas étudier correctement me sentant mal dans cet établissement scolaire. On ne m'a jamais laissé la chance de m'intégrer. Parfois je déteste ne pas avoir confiance en moi, si j'avais été plus forte rien de tout cela ne serait arrivé.
Arrivée au collège c'était encore pire. Aucune intégrité, encore des brimades, j'étais rabaissée, insultée, intimidée... Le calvaire continuait. Les surveillants, les profs, les élèves, les heures de colles prises à cause des autres ! Tout ça me rendait malade, suivre les cours dans une ambiance pareille m'insupportait. En 5ème trois filles étaient sur mon dos, je subissais des insultes, les coups et le racket. Ce jour-là ma vie a basculé me laissant sans défense. «Tu parles on te tue !» «Tu ne reverras plus tes parents». Poussée contre le mur, coups de poings dans le ventre, coups de pieds... Voilà ce que je vivais. Je ne pouvais pas rester comme ça, je ne voulais plus et surtout ne pouvais plus aller à l'école par peur de représailles. J'ai arrêté l'école à 16 ans en 5ème, trop de chagrin, trop de souffrance, de mal-être. Ma mère voulait en parler mais les filles qui me faisaient souffrir étaient déjà parties. Aujourd'hui j'ai 43 ans je me sens plus forte tel un phénix qui renaît de ses cendres malgré les séquelles qui resteront à vie. Il faut que le harcèlement et les violences cessent, agir est la seule solution. Ne pas rester dans le silence, en parler, faire de la prévention tout cela est très important. Être en contact avec des personnes ayant vécu et souffert vous fais prendre conscience que vous n'êtes pas seul. Notre peine est partagée et moins lourde à supporter.
Il va donc être question dans ce texte de violence en milieu scolaire, et principalement desviolences sexistes, des violences qu’y subissent les filles, mais aussi les garçons qui n’entrent pas dans les normes virilistes, machistes. Il y sera question de la manière dont le «refus du féminin» construit l’inégalité entre les sexes, entre les genres. Nous savons bien comment simplement prononcer le mot « genre» est un facteur de polémique en France. Rappelons très simplement que le «genre» est un concept qui permet de penser le système de séparation des sexes qui les classifie et les hiérarchise, les naturalise dans une catégorisation qui nie les autres possibilités humaines et les rejette dans une anormalité pathologique ou immorale. Il sera donc question essentiellement de la manière dont se construit une discrimination et une inégalité sociale qui posent un défi démocratique et humaniste.
Car ne nous y trompons pas. Il ne s’agit pas dans les combats féministes d’une simple lubievite rabattue sur un ton méprisant dans un combat dépassé. Mais de combats pour chaque individu en souffrance, quel que soit son genre, et d’un combat politique et humaniste. Nous vivons une époque incroyable, une époque de choix qui engage aussi bien notre vie quotidienne que la paix du monde. A l’heure où l’affrontement entre les grandes«puissances» vire au combat de coqs entre un Donald Trump élu bien que parlant «d’attraper les femmes par la chatte», d’un Vladimir Poutine surjouant sa virilité ou d’un KimJong-Un devenant un maître-chanteur nucléaire il est urgent de remettre radicalement en question le modèle du guerrier dominant–qui n’est pas seulement un Djihadiste plus ou moins exotique. Le défi est aussi celui de la lutte contre les discriminations. Comme le rappelle Olivia Gazalé dans un ouvrage récent : «La comparaison hiérarchisante avec l’Autreest centrale dans la construction de la virilité [...] Pas de suprématie sans un inférieur àmépriser, voire à humilier. C’est pourquoi le modèle traditionnel de la virilité – modèled’exclusion et de ségrégation – ne peut s’épanouir qu’en entretenant le ressentiment des opprimés et la compétition féroce, voire la haine entre les hommes». Le rejet du «faible» à commencer par le sexe dit faible2 touche de nombreuses catégories de la personne handicapées aux «bouffons», des personnes homosexuelles et transgenres aux minorités visibles : être fort c’est dire le faible, ce qui est le début de l’oppression.
Plus modestement, et si l’on ne veut pas nous suivre sur ce terrain politique, les récits que nous avons livrés dans cette introduction et les milliers de témoignages recueillis pour ce livre comme en plus de trente ans de recherche3, devraient suffire à rendre inacceptable par simple humanité les violences dont il sera ici question. Il est bien évident que ce livre s’inscritdans la lignée de la France généreuse, celle des Droits humains qui est notre véritable identité.
Consulter l’intégralité du rapport ici :
-2- On peut encore lire dans le dictionnaire Larousse dans la définition de l’adjectif « Faible : Qui est sans défense, désarmé, impuissant : Une faible femme. »
-3- A l’heure où j’écris ces lignes j’estime que moi-même et les équipes que j’ai pu animer ou coanimer avons interrogé environ 200 000 élèves en France depuis 1992, date de création des enquêtes de victimation en milieu scolaire... Je ne compte pas ici les enquêtes passées à l’étranger avec l’Observatoire International de la Violenceà l’Ecole.
Yolove, film documentaire sur les relations filles/garçons dans les écoles à l’ère du porno et de #metoo.
Yolove, contraction de YOLO (You only live once) et de Love est un film documentaire co-réalisé par Lisa Azuelos et Laure Gomez Montoya sur les relations filles/garçons dans les écoles à l’ère du porno et de #metoo.
Les réalisatrices ont suivi pendant 1 an, plusieurs élèves de différents établissements scolaires français pour tenter de répondre à la question « Et si on apprenait quelque chosed’autre que la violence à l’école ? » et comprendre ce que la jeunesse attend de l’école etdes relations humaines.
Le film donne la parole aux jeunes collégiens et lycéens à Nantes, Béthune, Saint Denis,Strasbourg... pour comprendre comment à l’âge du passage de l’enfance à l’adolescence, ils perçoivent le monde et ce qu’ils attendent de l’école. La question du vivre ensemble est finalement au centre de leur préoccupations.
Le film va également à la rencontre de ceux qui tentent de faire bouger les choses en France sur les questions de harcèlement, sexualité, rapport filles/garçons, libre accès à la pornographie... Artiste slameuse, Diata crée des ateliers d’écriture par le slam ; le professeur en gynécologie Israel Nisand, parle de sexualité à des collégiens ; l’associationWomen Safe prend en charge de façon globale les jeunes filles qui ont subies des violences ; autant d’ateliers et d’associations qui par leur action redonne du sens, et les clésdu vivre ensemble.
Filmé sous un angle positif, le film ne se veut pas critique, ni à charge mais plutôt tente demontrer qu’il ne faut finalement pas grand-chose pour que les jeunes vivent dans le respectde soi et de l’autre.