LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

La fabrique des garçons

Les femmes sont les premières victimes des inégalités et des violences masculines. Pour les combattre il faut aussi s’attaquer aux mécanismes de construction de la masculinité qui assignent les garçons à la virilité, dès leur plus jeune âge.
S'intéresser aux garçons quand on évoque le sexisme, c'est un peu se pencher sur les états d'âme du loup au moment où il égorge l'agneau. En 2009, l'ancien directeur d'ESPE Jean-Louis Auduc s'était pourtant lancé dans la défense du cas masculin avec un ouvrage intitulé "Sauvons les garçons" dans lequel il documentait l'échec scolaire accru d'un grand nombre de garçons dans notre système éducatif. De manière moins provocatrice, la docteure en sciences de l'éducation Sylvie Ayral et le géographe Yves Raibaud étudiaient en 2014 dans "La fabrique des garçons" comment les mécanismes de reproduction du patriarcat pouvaient conduire une part importante de collégiens à des attitudes rebelles et inadaptées débouchant sur le conseil de discipline et l'exclusion.
Média secondaire

Les activités périscolaires, culturelles et sportives participent fortement à la construction d’identités sexuées stéréotypées

Les garçons au fond de la classe

Dès l'école primaire, les filles entrent mieux dans les apprentissages. Elles sont 73 % contre 71 % des garçons à comprendre les mots au CP puis 85% contre 82% à comprendre les phrases au CE13. Même avantage pour les filles au CP en termes d'apprentissages numériques avant une inversion surprenante dès le CE1 dont les mécanismes restent à décrypter4. Ce déficit dans les disciplines scientifiques, qui n'a donc rien d'inné, va se poursuivre tout au long de la scolarité avec des résultats meilleurs en mathématiques pour les garçons à l'entrée en sixième puis en seconde alors que les filles continuent à avoir de meilleures notes en français. L'écart n'est pas énorme mais participe sans doute des choix d'orientation désormais effectués en fin de seconde : plutôt vers la littérature, la santé et le social pour les filles, alors que les garçons optent de préférence pour les sciences et les techniques. Mais quelle que soit l'option choisie, les garçons accumulent plus de retard scolaire et réussissent moins bien leurs examens : 84 % contre 91 % des filles pour le bac.  Lors de la journée d'appel (chiffres 2022)5, ils sont 13% en difficulté importante de lecture contre 9% de filles. Un écart qui se poursuit après le bac : dans la filière générale, 56 % des bachelières optent pour des études supérieures contre 43 % des bacheliers, les choix des unes et des autres étant encore fortement déterminés par les stéréotypes de genre.

Des conséquences sociales et économiques

Moins diplômés, moins cultivés et moins à l'aise avec les mots, est-ce une surprise de retrouver ces mêmes garçons plus impliqués dans les incivilités et les violences dans les établissements scolaires ? En 2021-2022, sur 100 incidents graves, 49 incidents sont provoqués par des garçons contre 7 par des filles en primaire et 74 par des garçons contre 17 par des filles en secondaire6. Cette note dit aussi « les violences des garçons envers les filles sont marquées par plus de violence à caractère sexuel ». Comme le relève Sylvie Ayral dans son enquête au collège, les garçons représentent 80 % des élèves sanctionnés tous motifs confondus, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes et 86% des élèves des dispositifs Relais qui accueillent les jeunes entrés dans un processus de rejet de l’institution scolaire. Question d'âge et d'hormones ? « Il faut bien que jeunesse se passe ? »  Les explications semblent un peu courtes pour expliquer de tels phénomènes, que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher des 96 % d'hommes qui remplissent les prisons françaises. Ou des statistiques de la sécurité routière qui indiquaient en 20197 que les hommes représentaient 84% des responsables présumés d'accidents mortels et 91% des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident mortel. À quoi il faut ajouter la recrudescence de féminicides et de violences conjugales sur lequel alerte le rapport 2024 du Haut conseil à l’égalité (HCE)8. Ces comportements débordent le champ de l'éducation pour revêtir des incidences sociales, économiques et de santé publique.

Les rouages de la fabrique des garçons

On ne naît pas homme, on le devient. L'assertion célèbre de Simone de Beauvoir peut se décliner au masculin. Aucune recherche n'a jamais démontré que l'être humain mâle naissait avec des prédispositions génétiques pour les petites voitures ou le rugby entre copains autour d'une bière. Dans son ouvrage, Sylvie Ayral reprend les ressorts de la fabrication du mâle identifiés dès 1976 par le chercheur américain Roger Brannon9.   « Sois un chef ! » : un homme doit rentrer dans la compétition et être capable de se confronter à l'autorité, fût-elle scolaire.  « Sois un chêne vigoureux ! » : ne jamais  perdre la face, ne pas se plaindre, ne pas montrer que l’on a mal, que l’on souffre psychiquement.  « Si tu me cherches, tu me trouves ! » : un garçon se doit de réagir, quitte à répondre à son enseignant, pour ne pas être dévalué aux yeux de ses camarades du même sexe. «On n’est pas des gonzesses», résume pratiquement à lui seul tout le reste. Il s’agit de se démarquer hiérarchiquement des filles et des femmes, d’avoir le dessus sur celles que l’on considère comme faibles et vulnérables. Cela implique de faire corps avec le groupe des garçons ou des hommes et de ne surtout pas considérer les filles et les femmes comme des « pairs ».  

Malgré la lente évolution des mentalités, ces valeurs apparaissent toujours « naturelles » dans nombre de familles imprégnées de culture patriarcale... comme au sein de la plupart des institutions dont le système éducatif. Elles continuent à déterminer largement l'éducation donnée aux garçons dès le plus jeune âge.  Avec un passage clé situé au collège, au moment où la puberté vient sexualiser l’ensemble des relations.  La norme scolaire demande alors aux collégiens d’être sages, attentifs, polis, ponctuels, alors qu’une certaine acception de la norme de la virilité attend d’eux tout le contraire : défier le professeur, se faire punir, se battre dans la cour de récréation... Une injonction paradoxale qui peut conduire les plus fragiles et les moins bien entourés à des attitudes violentes ou autodestructrices qui compromettent la suite de leur parcours scolaire. Cette fabrique des garçons se prolonge hors de l’école. Les activités périscolaires, culturelles et sportives participent fortement à la construction d’identités sexuées stéréotypées , surtout quand les équipes d’animation ne sont pas formées aux stéréotypes genrés et aux violences sexistes et sexuelles. City-stades, skate-parks, pump-tracks fleurissent partout et sont investis majoritairement par les garçons qui bénéficient de près de 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes !

Chausser les lunettes du genre

Alors comment inverser la tendance et en finir avec cette fabrique du mâle ? Car la situation est grave comme le souligne le dernier rapport du HCE qui constate « l’augmentation des réflexes machistes et masculinistes dans la jeunesse française »10. Plusieurs chercheurs et chercheuses ont produit des travaux sur  la question pour aller au-delà de la très nécessaire promotion des filles, de leur liberté de choix et d’orientation qui a été le premier instrument de lutte contre les déterminismes genrés à l’école. Sans remettre en cause la mixité à l'école, Jean-Louis Auduc proposait à certains moments critiques, comme en classe de quatrième, de prévoir des moments non mixtes à l'image de ce qui se fait dans certaines séances d’EPS et d'éducation à la sexualité. Il souhaitait également que l'on puisse faire une promotion active de l'orientation des garçons dans les métiers du « care » ; enseignement, santé, justice... qu'ils désertent aujourd'hui. Sylvie Ayral propose dans son livre de faire évoluer mentalités et comportements des équipes enseignantes, un défi pour des professions de l'éducation qui, bien que largement féminisées, continuent à véhiculer parfois inconsciemment des rapports sociaux sexués marqués par le patriarcat  : « les filles sont plus scolaires  », « les garçons ont besoin de se défouler », « cette année , j'ai une classe avec beaucoup de garçons, j'ai du mal à les tenir »... Sylvie Ayral appelle à  examiner avec les « lunettes du genre » les pédagogies et les activités éducatives qui sont imprégnés de stéréotypes. En quoi le jeu que je propose développe-t-il des comportements de coopération plutôt que de compétition ?  Comment favoriser l'expression orale ou écrite de chaque élève en lui permettant de se soustraire à la pression normative de son groupe de pairs ?  Exemples de questionnements indispensables pour la chercheuse qui souligne également la nécessité de mobiliser les enfants dans l’observation des comportements genrés et stéréotypés, « car, sans leur implication, aucune démarche de lutte contre la domination ne peut fonctionner ».  Autre impératif, la diminution du nombre des sanctions, qui fournit un public et une gratification à des garçons qui ne demandent que ça pour se mettre en valeur devant leurs pairs.
Pour mettre ces transformations indispensables en œuvre, on pourra s'inspirer du pédagogue Philippe Meirieu qui lui aussi, s'est intéressé à la question11 : « Soyons nous-mêmes le changement que nous proposons : en matière de stéréotypes sexistes, nous avons, certes, beaucoup progressé, mais il nous faut sans cesse traquer ceux qui, enracinés dans nos habitudes ou cautionnés par de prétendues observations, résistent encore. »

Notes

  1. Sauvons les garçons Jean-Louis Auduc 2009 Descartes et Cie

  2. La fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège Sylvie Ayral et Yves Raibaud 2011 PUF

  3. État de l'école 2023 Ministère de l'Éducation nationale

  4. https://www.cafepedagogique.net/2024/01/25/les-filles-moins-bonnes-en-mathematiques/

  5. Note d'information de la Direction de l'évaluation, de la perspective et de la performance Juin 2023

  6. Note d'information de la DEPP février 2023 https://www.education.gouv.fr/resultats-de-l-enquete-sivis-2021-2022-aupres-des-ecoles-publiques-et-des-colleges-et-lycees-publics-344362

  7. Bilan de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière 2019

  8. Selon ce rapport, en 2021, 143 morts violentes au sein du couple contre 125 l’année précédente (+14 %), Les femmes représentant 85 % de ces morts, on compte 122 femmes victimes de féminicide conjugal en 2021 contre 102 en 2020, soit une augmentation de 20 %.

  9. Deborah Sarah David et Robert Brannon, The Forty-Nine Percent Majority: The male sex role, Addison-WesleyPub. Co., 1976.

  10. Alors que 79% chez les plus de 65 ans considèrent que l’image des femmes dans la pornographie est problématique, ils sont seulement 48% entre 15 à 34 ans. Par ailleurs, 23% des hommes de la tranche 25-34 ans considèrent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter (source Rapport HCE 2024)

  11. Filles, garçons…Des préjugés tenaces Philippe Meirieu Dans L'école des parents 2017/3 (N° 624)


CREDIT PHOTO : esudroff from Pixabay

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