Droit universel ou des parts de marché pour les vacances ?
Voici un corpus de publications de 2008 à 2020, pour vous permettre de mettre en perspective les enjeux liés à la question du droit au départ
Octobre 2008, Alain Gheno analyse la campagne d’été des accueils collectifs de mineurs dans le numéro 64 des cahiers de l’animation. Il observe l’augmentation des séjours ados et la chute libre des départs des plus jeunes. Au-delà des chiffres, c’est le droit au départ en vacances qui est posé.
Une proposition de loi avait à l’époque été déposée par l’opposition parlementaire dans le but d’instaurer une aide de l’État au départ en vacances pour les enfants et adolescents mineurs. Celle-ci n’a jamais vu le jour, le gouvernement de l’époque renvoyant vers les caisses d’allocations familiales (CAF), l’agence nationale des chèques vacances (ANCV) ou le Fonds national pour la jeunesse et l’éducation populaire (FONJEP). Ce financement d'État revient aujourd'hui sur le devant de la scène avec le dispositif labellisé "colos apprenantes".
Le 14 novembre 2020 la secrétaire d'État chargée de la jeunesse, Sarah El Haïry a annoncé à la presse la création de fonds de soutien exceptionnel pour aider les associations organisatrices de colonies de vacances et de classes de découverte, mais il s'agit là d'une mesure d'ordre économique à destination d'un secteur qui comme beaucoup d'autres subit les effets de la crise sanitaire.
«Il serait symboliquement lourd que l’Etat français prenne en charge cette notion de départ en vacances. Ce mouvement vers les autres, cette découverte de l’ailleurs qui ne peut que contribuer à construire un monde sur la rencontre des personnes, des cultures, des organisations, bien au-delà d’un monde en train de se construire sur le « marchand », la marchandise.
Depuis très longtemps, tous les éducateurs savent que rencontrer un autre milieu, une autre société permet de mieux comprendre son propre monde, sa propre société. Certes, une meilleure connaissance de sa propre société rend chaque individu plus capable et compétent pour la transformer.
Que voilà une belle prise de risque pour l’avenir. »
Nous voilà à présent dans l’avenir vers lequel Alain Gheno portait son regard, un temps où les vacances doivent être apprenantes, c'est l'occasion de braquer les projecteurs vers les projets éducatifs.
Septembre 2020, Pauline Clech publie pour l'INJEP une étude intitulée Partir en « colo » et revenir changé ? Enquête sur la socialisation juvénile lors de vacances encadrées.
Elle met en perspective les analyses statistiques et confirme la tendance à la diminution de la fréquentation des séjours collectifs depuis les années 1990 mais surtout met en exergue leur segmentation. Avec la fragmentation des vacances dans le temps et dans l'espace , on se rencontre moins, on se découvre moins, bref on se sépare de plus en plus.
A côté des deux grandes institutions éducatives que sont l’école et la famille, l’accueil collectif éducatif de mineurs est de moins en moins utilisé par les politiques publiques pour développer ce qu’il a de si particulier dans la socialisation des jeunes entre pairs et au contact d’un encadrement constitué en grande partie de jeunes adultes en position de passeurs.
Cependant si l’on y regarde de plus près, de multiples formes de séjours permettent encore aux participant·e·s de s’émanciper, d’ouvrir leur horizon. Mini-camps, scoutisme, rencontres internationales, un foisonnement d’initiatives prenant vie par l’engagement de celles et ceux qui les portent.
Il n'y a pas de développement durable possible sans éducation de qualité
Avec la fragmentation de l’offre de séjour et la marchandisation d’une partie de celle-ci, les objectifs éducatifs se sont tellement diversifiés que la mission spécifique des centres de vacances s’est diluée. Cependant de nombreux et nombreuses jeunes continuent de prendre leur part dans la prise en main de leur destin comme en témoignent les mouvements sur la question du climat ou sur leur place dans les établissements scolaires.
Alain Gheno en 2008 écrivait « Ce départ en vacances, ce départ vers l’ailleurs, la rencontre de l’autre, devrait être un slogan international. Que chaque enfant de chaque pays puisse y accéder. Mais il est vrai, que pour beaucoup également, le premier des droits serait celui à l’éducation avant l’accès aux vacances. »
Le cadre institutionnel est à présent posé avec les objectifs de développement durable de l’UNESCO pour 2030 et parmi eux la nécessité de donner une réalité au droit à l’éducation partout et pour tous. Au mois de mai 2015 à Incheon en république de Corée, 1600 participant·e·s venant de 160 pays, membres de gouvernements et d’organisations non gouvernementales se sont mis d’accord sur un plan d’action dans lequel on peut lire :
« D’ici à 2030, faire en sorte que tous les élèves acquièrent les connaissances et compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable, notamment par l’éducation en faveur du développement et de modes de vie durables, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la promotion d’une culture de paix et de non-violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle et de la contribution de la culture au développement durable »
Des inégalités à combattre
Cette éducation de qualité appelée de ses vœux par ces rencontres multilatérales devra prendre corps et devenir réalité en différents lieux, le chemin est encore long. Ainsi dans sa note à l’INJEP Pauline Clech rend compte de son observation au sein de plusieurs centres de vacances au cours de l’été 2019 et note que l’approfondissement de l’autonomie n’est pas équitablement répartie selon le genre et dépend fortement de « la loi du groupe », et certaines de ses observations l’amènent à dire que « au sein du groupe colo, l’autonomie des filles est limitée par les goûts et par les codes mis en place par les garçons leaders »
L’imagination des volontaires et professionnels de l’animation et l’énergie de l’engagement des militant·e·s de l’éducation nouvelle saura sans nul doute se saisir des objectifs mondiaux pour le développement durable et les traduire en actions. Les hasards de l’histoire et de l’évolution des rapports sociaux pouvant à tout moment les faire passer de l’état d’expérience à celui de pilier de nos sociétés.