« On ne mange pas avec sa raison mais avec sa culture. C’est pour cela que les injonctions alimentaires ne marchent pas. »
Ven : Sociologue et cuisinier, c’est un drôle de parcours. Quel est le lien ?
Gilles Daveau : Dès les années 80, j’étais persuadé que si on ne changeait pas nos façons de vivre, on irait droit dans le mur. Le déclic s’est fait en 1974 quand j’ai vu René Dumont montrer un verre d’eau à la télé et expliquer que là serait le problème du XXIe siècle. J’ai pris ce message pour moi : ce monde va devoir changer et j’ai la possibilité d’en être un acteur. Après des études de sociologie, c’est lors de mon service civique dans l’association Les amis de la terre que j’ai découvert la réalité des problématiques écologiques ; comme la pollution de l’eau par les nitrates du fait d’engrais qui servent notamment à faire pousser des aliments pour nourrir des animaux. La conclusion était évidente : aller vers des agricultures bio et changer d’alimentation, c’est contribuer à avoir plus tard une eau potable, un sol vivant, des élevages durables. À 23 ans, je découvrais que l’écologie politique était une chose mais que les enjeux sociétaux se jouaient concrètement dans l’écologie de la vie quotidienne. Je décidai alors de devenir cuisinier pour accompagner le changement.
Ven : Depuis 35 ans, vous avez formé des milliers de personnes à la transition alimentaire. Pourquoi ?
G.D. : J’ai fait près de 1 800 ateliers auprès de parents, ou de cuisiniers et cuisinières qui font à manger pour des enfants, des personnes âgées, en colonies, en entreprises, au lycée... Les personnels qui préparent les repas ont un rôle essentiel en tant qu’éducateurs et éducatrices à une nouvelle façon de s’alimenter, et les animateurs doivent les accompagner en ce sens. Si on veut que les choses changent, il faut pouvoir prendre conscience des missions à la fois nourricières, environnementales et sociales auxquelles répondent les restaurants sociaux quand ils nourrissent les gens. L’approche doit donc être collective et pratique. Cuisiner favorise cette dynamique systémique.
Ven : Comment procédez-vous ?
G.D. : J’aime bien placer les gens devant une table recouverte de légumineuses. On les observe, on s’interroge sur leur origine et les contes qu’ils évoquent. Pois chiches, lentilles, fèves... fertilisent les sols et, associés à des céréales, apportent les protéines dont nous avons besoin. Puis on se met derrière les fourneaux par petits groupes et on cuisine différents plats très simples, accessibles économiquement et savoureux. On découvre alors que le bio n’est pas forcément cher et insipide. Mais bien sûr, c’est juste un début. La « transition alimentaire », c’est aller d’un point A à un point B. C’est stimuler chacun·e à être en mouvement, à évoluer dans ses habitudes.