Conjuguer la coéducation à toutes les époques

L’opinion publique semble d’accord pour considérer à sa juste valeur le rôle social important joué par les accueils de loisirs et les séjours de jeunes et de vacances dans la société d’aujourd’hui. Mais leur apport éducatif en complément de l’école est toujours contesté
Média secondaire

Ce texte qui a plus de cinquante ans anticipe la notion de coéducation. Il insiste sur le non-sens d’opposer travail à vacances, lieux où on apprend et on est sage  à lieux où on s’amuse et on remue. Il appuie sur l’enrichissement mutuel entre école et espaces de vacances collectives. Il suggère une réflexion sur les mécanismes d'apprentissage et met l’accent sur la nécessité des rencontres avec le monde poétique de l’humain et du milieu naturel. Il défend l’idée que les séjours collectifs (accueils de loisirs ou colonies de vacances) sont les lieux (antidotes de l’habitude, pourfendeurs de la monotonie) d'épanouissement qui vivifient les acquisitions scolaires. Il affirme même que la liberté de choix est une marque de l’Éducation nouvelle

L'opinion publique semble aujourd’hui d’accord sur le rôle social important joué par la colonie ct le centre de vacances. Dans la situation économique et sociale actuelle ces institutions aident incontestablement les familles. Les avis sont plus partagés quant à leur apport sur le plan strictement éducatif, sur la construction et l’épanouissement de la personne de l’enfant ou de l’adolescent. Trop souvent, on oppose le travail et les vacances, l’école et la colonie. Cette opposition n’est pas justifiée, et il faut se méfier des impressions superficielles qui sont souvent fausses. A l’école, on apprend. A la colonie, on s’amuse. A l’école, on est « sage », ce qui veut dire que l’on ne bouge pas parce que l’on est studieux. En vacances, on remue, ce qui paraît normal puisqu’on n’a rien à raire .... Ces réflexions ajoutées à des observations rapides, déforment tout jugement. On ne peut rien établir de définitif sur l’image que l’on garde d’enfants se promenant par deux, tristement, au bord du chemin. Pas plus que des cris de joie que j’on entend encore d’une bonne partie de ballon prisonnier. Ces aspects fugitifs sont parfois regrettables. Car les événements de la colonie ont une autre richesse – combien plus importante – pour la vie de l’enfant et son avenir. Ce sont ces acquisitions particulières que nous devons, de temps à autre, remettre en lumière dans Vers l’éducation nouvelle. Et la question est bien posée : la colonie a-t-elle toujours sa place à côté de l’école ?

Vivifier les acquisitions

On veut bien reconnaître que l’enfant et l’étudiant reprennent leur année scolaire dans de meilleures conditions, plus reposés et plus dispos. Mais on nie les apports que les éducateurs considèrent comme essentiels : une ouverture d’esprit qui conduit à une soif de connaissances, un élan vers les autres qui devient un intérêt pour ses semblables, une bonne compréhension et une meilleure utilisation de la liberté personnelle. Lorsque l’enfant vit en colonie, il peut dire : « C’est comme chez nous », ou bien : « Ce n’est pas comme chez nous. ». Ces réflexions ne s’appliquent pas uniquement aux bâtiments. Elles vont bien au-delà de ce que le jeune citadin trouve de différent entre sa ville, la campagne, la mer ou la montagne. C’est qu’il trouve qu’il y a dépaysement ou identité avec ce qu’il connaît. Pour reconnaître et apprécier, il faut déjà connaître, avoir, comme on dit, des idées, s’être fabriqué des images, garder le souvenir de découvertes précédentes, même si ces dernières ont été faites à l’école, dans des livres. C’est maintenant un lieu commun, la colonie et le centre de vacances, par les occasions de contact avec la réalité du milieu qu’ils procurent, vivifient les acquisitions. Au fond, c’est une question de fréquentation. Par la promenade active, par la randonnée, chacun complète ses propres connaissances. Alors, les cours d’eau ont une chanson, la forêt un souffle, les hommes un accent. Pour les adolescents, c’est souvent la première fois que le jeune homme ou la jeune fille des villes prend contact avec un milieu qui n’est pas un « piège à touristes », mais avec un pays, un village, un site authentique, et que les notions apprises qui, hier, n’étaient que des abstractions géographiques, deviennent des réalités.

Découvrir les terroirs

Dans l’arrière-côte bourguignonne, à côté des buis poussent la vigne et la framboise. Dans le Plantaurel, à côté des mêmes buis, croissent les châtaigniers. Et, alors qu’ici l’on cuisine le coq au vin, là on engraisse les canards avant de les confire. A l’école, nos cartes, nos schémas, nos graphiques, aussi scientifiquement justes soient-ils, sont désincarnés. A travers la lecture d’un document, on oublie la légèreté de l’air des lieux analysés, ses parfums, ses couleurs et la voix des hommes. Il n’est d’ailleurs pas besoin de situer ces découvertes dans des lieux prestigieux ou protégés comme le Saut du Doubs ou la Vallée des Merveilles. Il existe partout des richesses naturelles. Certaines seulement sont traditionnellement décrites dans nos manuels scolaires et nos guides touristiques. A côté de la Fontaine de Vaucluse, il est bien d’autres fontaines vauclusiennes. Les grottes d’Arcy-sur-Cure et de Lascaux ne sont pas uniques, et il existe d’autres gorges que celles du Verdon. Les produits alimentaires régionaux constituent une autre forme de richesses naturelles, et les adolescents y sont sensibles. La recherche d’une alimentation équilibrée et agréable est une forme de gout, et nous devons y accorder assez tôt la place qu’elle mérite. Car, outre qu’elle répare les forces, elle procure un certain plaisir qui n’est pas à négliger ]orsqu’on recherche l’équilibre affectif des enfants et des jeunes Il serait tout de même dommage de descendre la Loire en canoë sans goûter, au soir de l’étape, un crottin de Chavignol, de passer la frontière belge sans acheter un cornet de frites, et de ne pas grignoter sur les sentiers de l’Ardèche les petites figues séchées et enfarinées. Je donnerai tous les nougats empoussiérés de la grand rue de Montélimar pour ces plaisirs-lit qui parlent à la fois au palais et aux yeux.

Il y a les sites, il y a les choses, il y a les hommes 

Lorsqu’au détour du chemin, tête nue, forte barbe, l’un d’eux s’avance en silence, il faut saisir son regard pour entrer en relation avec lui. Souvent le contact est facile. L’homme un braconnier, mi-bûcheron, mi-apiculteur, un peu anarchiste, a toutes les choses à dire et à montrer que l’on ne soupçonne pas. « Il fera beau toute la journée, les roches de la Faye sont blanches... » Sa besace est remplie d’escargots. Il parle de ce qu’il sait, de ce qu’il a vu. Cette route? Elle a vu passer les convois d’essence pour les républicains espagnols. Toutes les nuits, si l’on prête l’oreille, on entend le pas des mules. Qui peut nous renseigner mieux que lui sur ce qui se passe ici aujourd’hui, au-delà de l’apparence? Ailleurs, c’est un maire qui défend sa conception communale et les traditions républicaines. Il veut que les jeunes agriculteurs s’attachent d’une nouvelle façon à leur travail, qu’ils soient mieux formés techniquement, économiquement et socialement. Qu’ils sachent s’organiser, s’associer, investir, et dans un autre domaine, choisir leurs loisirs. Et ce ne sont pas des mots vides de sens ; derrière chacun d’eux, il y a un exemple. Que l’école du village rayonne et dépasse son but initial. Je l’entends dire encore: « Il n’y a qu’une porte qui sépare la classe de la mairie, il faut que chacun se sente chez lui à la maison commune, comme il l’était hier à l’école ».

Un monde poétique au quotidien

Cette vision claire des problèmes de la terre, de l’avenir de l’agriculture française, de l’importance de la vie communale, projette sur l’avenir des perspectives alléchantes. Plus loin, c’est le sculpteur rencontré au milieu de ses blocs ce pierre et de ses poutres de bois, maniant seul le pont roulant qu’il a fabriqué de ses mains, habilement, comme il manie la broche, le ciseau et la masse. Il nous fait pénétrer dans son atelier et, avant d’apprécier son travail en cours, nous sommes fascinés par ses trésors, galets, fils métalliques entrelacés et rouillés, nœuds de bois, cristallisations, déchets de fonderie, vieux outils… Un monde poétique que nous côtoyons sans voir, et qu’il a vu, ramassé et mis en valeur. Il nous engage à mieux observer et à reconnaître dans ce qui est quotidien ce qui s’apparente aux grands courants de l’esthétique contemporaine. La rencontre de ces trois hommes, rencontre qui n’est pas exceptionnelle, place les enfants et les jeunes en vacances au cœur des réalités sociales, économiques et esthétiques. Un élan vers les autres qui devient un intérêt pour ses semblables…

Une véritable liberté de choix

Les œuvres de vacances offrent aux enfants et aux adolescents une vie de groupe. Cette vie collective, que l’on semble redécouvrir aujourd’hui pour l’analyser, possède effectivement, ses qualités. Elle fait l’objet d’études qui ont abouti, ces années dernières, à de profondes transformations des œuvres de vacances. On est passé d’un système contraignant d’équipes à un système plus libre d’associations de petits groupes d’enfants de même âge. Les dernières expériences tentées permettent tous les groupements possibles. On peut rester seul, rêver, lire, écrire, agir à son rythme, ce qui n’est pas toujours possible à la maison ni à l’école pendant l’année scolaire. Dans le fond, cette souplesse reprend l’idée de Maria Montessori qui voulait que l’enfant soit «amené» et puisse choisir ses occupations. Cette liberté de choix, qui peut être totale si la colonie est bien gérée, est sans aucun doute la première condition et la marque de l’éducation nouvelle.

La vie de groupe

Mais le fait essentiel est là, en vacances on n’est plus seul. La vie quotidienne nous lie aux autres. Au lieu d’être soumis à la compétition comme on l’est encore bien souvent à l’école, la vie de groupe crée une situation dans laquelle l’individu doit tenir compte du groupe. On doit choisir ses compagnons pour un jeu, une tâche limitée, une entreprise de quelques jours. On voit ainsi nettement que c’est en vacances que l’on peut le plus facilement mettre en pratique le « travail libre par groupe » dont Roger Cousinet a été le promoteur sur le plan scolaire. C’est à la colonie que peut s’exercer avec plus de spontanéité cet élan vers les autres. Une bonne compréhension et une meilleure utilisation de la liberté personnelle. Une des caractéristiques du comportement du jeune enfant lorsqu’il se lève est qu’il sait vers quelle occupation il va se rendre. C’est l’émerveillement des monitrices dans les colonies de petits, inquiètes pour les occupations des enfants à l’heure du lever, et qui trouvent ce moment tout naturellement organisé tant la détermination des jeunes enfants est forte. J’entends encore cette jeune maman dire : « Il s’amuse seul, le matin, il chantonne. Je n’ai pas besoin de m’occuper de lui, il ne s’ennuie pas. Et pourtant, quand les enfants grandissent, ils perdent souvent cette faculté. Pourquoi deviennent-ils si souvent passifs ou si souvent agressifs ?

On peut se demander si, rentrés de l’école, leur liberté de penser existe encore vraiment, si ce manque d’enthousiasme et de détermination ne vient pas du fait que le programme et le rite scolaire choisissent à leur place. On peut se demander en un mot, s’ils se sentent concernés. Or, la colonie de vacances peut atténuer cette dépendance. L’enfant pourra se lever, s’habiller, sans gêner ceux qui dorment encore, sortir, flâner au soleil déjà chaud. L’adolescent pourra finir le livre commencé la veille, préparer ses outils et son matériel. La jeune fille pourra s’étendre dans une chilienne en attendant ses camarades pour un petit déjeuner tardif, comme je l’ai vu faire par de grandes jeunes filles fatiguées de leur année de travail en usine. En vacances, chacun peut donner un sens à sa matinée et devenir responsable de ses occupations. Cette impression de liberté, c’est, au fond, la véritable liberté celle qui ne rend pas la présence des adultes pesante et angoissante. Car on peut être présent d’une présence stimulante, ou l’être d’une manière paralysante. D’une expérience récente où des moniteurs vivaient totalement avec les adolescents, toutes les tâches assumées en commun, nous pouvons retenir cette impression donnée par les participants eux-mêmes : « Les moniteurs, y’en avait pas ». Et pourtant, ils étaient quatre adultes pour moins de vingt jeunes.

Le bonheur de rompre avec l'habitude

Mais les problèmes divers que pose une journée de vacances, les questions abordées, les solutions proposées étaient partagées avec la plus grande franchise. En vacances, on peut, sans danger, pour la santé, bousculer la vie quotidienne. Celle rupture est la source de nombreux plaisirs. Ce qui fait la monotonie de la semaine scolaire, c’est qu’elle s’inscrit dans un rythme qui devient facilement un rite. Il ne faut pas se lever après telle heure, manger après telle autre, car l’échafaudage de la journée s’effondre. A tel point que, lorsqu’un détail grince, toute la journée est ratée. A la colonie, on peut se lever tôt pour une promenade matinale. C’est peut-être la première fois que l’on voit le soleil paraître à l’horizon. Je me souviens de journées de vacances qui commençaient par une promenade matinale. Il fallait aller chercher le lait dans une ferme en montagne. Un chemin malaisé conduisait jusqu’à un col sauvage. Mais il était jalonné de nombreuses sources dont certaines ne donnaient qu’un filet d’eau fraîche. On ne buvait pas en montant. En redescendant, la troisième avait goût de noisette, et la dernière, près du village, sentait la menthe, et on s’essayait à les reconnaître. Parfois, surpris par l’orage que l’on n’attendait pas si vite, on rentrait trempé, affamé, mais faut-il le dire, heureux. Heureux d’avoir rompu avec l’habitude. Heureux comme si on avait reçu l’initiation d’une autre vie, plus frustre, mais plus forte et plus riche. Un grain de piment, une touche d’aventure, voilà ce que nous offrent les vacances.

La colonie et l’école, deux institutions éducatives privilégiées

Je ne pense pas qu’il faille pour autant créer l’insécurité pour que la routine disparaisse. Le manque d’initiative personnelle à tous les stades peut engluer la colonie de vacances. Celle-ci peut disparaître d’elle-même quand elle n’offrira plus aux enfants et aux adolescents qu’un train-train quotidien coupé d’événements attendus. Policée par les règlements, encarcannée par les interdits, la colonie risque de s’éloigner de la vie en créant une institution figée, comme l’a été parfois l’école, qui perdrait alors la presque totalité de ses vertus. Chaque maître, aujourd’hui, s’efforce de rendre son enseignement plus efficace. Il essaie d’être un guide parmi des enfants et des jeunes qui cherchent. Il s’efforce d’assurer, le moment venu, les apprentissages nécessaires au progrès de tous. Il décèle les intérêts des enfants et les aide à démêler leurs intentions profondes : il les aide à agir seuls. D’un autre côté, chacun est bien persuadé aujourd’hui que, pour être utile, l’école doit être installée dans la vie, cette vie qui, seule, propose des situations à la fois intellectuelles, esthétiques, techniques, sociales et affectives. L’école doit être au contact des préoccupations et des mouvements de son époque, de son style, de ses caractéristiques sociales. Et si elle ne peut trouver ce contact, les loisirs, et singulièrement, les œuvres de vacances, sont là pour y pallier. D’ailleurs, ce sont souvent les mêmes hommes, les mêmes femmes, enseignants pendant l’année scolaire, qui ont trouvé dans la colonie et les camps le milieu favorable à leurs initiatives pédagogiques.

Des forces nouvelles pour l'éducateur

La création, puis le progrès des œuvres de vacances, a été lié à ces éducateurs. Possédant une vision claire de leur tâche et souhaitant normaliser les rapports entre les enfants et le maître, ils ont souvent trouvé dans ces institutions un champ d’activité et des réponses à leurs inquiétudes. Maintes fois, et les témoignages les plus divers nous le prouvent, c’est en passant par l’expérience de la colonie de vacances que l’éducateur a trouvé les normes de son enseignement et qu‘il y a puisé des forces nouvelles. L’étude du milieu, les activités de plein air, le chant et la danse collective, les activités dramatiques, les marionnettes, les techniques manuelles de plein air et d’éducation artistique ont trouvé à la colonie comme au centre de jeunes un terrain favorable à leur développement. C’est en utilisant ces activités, que l’on a su aussi les enrichir et les adapter. C’est à partir du besoin de chanter avec des camarades que s’est créé un répertoire de chant pour les enfants et les adolescents. C’est le besoin d’activités, en vacances, en plein air, qui a conduit les éducateurs à retrouver les gestes simples qui permettent une variété de travaux manuels : construire, aménager, décorer … Toutes ces activités ont des répercussion sur celles de l’école.

Des vacances pour se cultiver

Les disciplines traditionnelles en sont elles-mêmes transformées Pour un grand nombre d’éducateurs, c’est en vacances qu’est apparue clairement la notion de culture générale appliquée aux enfants et aux jeunes gens, comme s’est posée là, sans préjuger des efforts poursuivis ailleurs, la question de la libre expression. Mais cela n’appartient pas encore au passé. La colonie et le centre de vacances restent utiles à l’enfant, à l’adolescent et à l’éducateur. Pourquoi faudrait-il que j’enfant apprenne tout à l’école ? Pourquoi l’adolescent doit-il tout découvrir entre quatre murs ? Pourquoi penser que tout leur sera révélé pendant un mois de vacances ? La famille, l’école, la colonie, les œuvres du quartier ou de la commune, sont complémentaires. A bien y réfléchir, ces institutions ne forment qu’un même maillon d’une éducation que nous souhaitons adaptée à la personnalité de chaque enfant, à ses besoins, à ses goûts, d’une éducation bien insérée dans une civilisation en mouvement.

 


Ce texte est issu de la revue les Cahiers de l'Animation Vacances-Loisirs