LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Le retour en classe

Externaliser la prise en charge de l’élève de manière temporaire peut être un recours mais ne suffit pas pour remobiliser l’élève décrocheur ou à risque de décrochage.
Média secondaire
L’externalisation éducative

Le texte qui suit est issu des travaux réalisés au sein d'ateliers-relais de l'académie de Lyon autour de la question du retour en classe de l'élève après une session au sein de ce dispositif.


Pour une période transitoire variable, des élèves sont sortis de leur classe habituelle et accueillis, soit dans des dispositifs relais (DR), classes ou ateliers, soit dans un module de prévention du décrochage, parfois à l’intérieur de leur collège mais le plus souvent dans un autre établissement, voire dans un espace non scolaire : école désaffectée, centre social… Après cette période d’externalisation de la prise en charge éducative, le retour en classe est un moment décisif qui, pour être durable, requiert certaines conditions.

Du côté des dispositifs-relais : observations et expérimentations

La finalité est bien en effet la rescolarisation ordinaire de l’élève dans un collège (celui d’origine ou un autre), qui n’a une chance de réussir que s’il y a aussi une remobilisation cognitive. Le DR est un espace transitoire dans le parcours scolaire ; non autonome, il est rattaché à un collège support dont il partage, en théorie, le projet éducatif et pédagogique. La réflexion qui suit est tirée de deux recherches-action que nous présentons rapidement, avant d’en dégager des éléments convergents qui interrogent l’ensemble des acteurs.

La première est une réponse à une demande de l’inspection académique de l’Isère en 2008-2009 auprès du centre Alain Savary1 ; elle s’est déroulée sur trois ans2. Face aux difficultés avérées des élèves, à moyen et long terme, lors du retour en classe après une session en DR, il s’agissait, à la fois, de comprendre les dysfonctionnements conduisant à ces états de fait, et de (re)légitimer les acteurs des DR mis en cause par l’inefficacité apparente de leur travail.

En 2010-2011 (phase 2), la recherche s’est appuyée sur deux hypothèses : pour améliorer le retour de l’élève dans sa classe d’origine, il est nécessaire de fédérer les équipes de collège et des DR sur un objet commun d’apprentissage, l’élève devant progresser réellement dans sa maîtrise des contenus de savoirs et en être conscient ; l’implication des acteurs de terrain dans la recherche doit permettre de déclencher un processus de changement dans les pratiques.

Deux indicateurs ont été retenus : assiduité et ponctualité ; contenus de savoirs travaillés durant la session – ce pouvaient être des items du socle commun.

S’il ne fallait retenir que deux constats, ce pourraient être, d’une part, la difficulté des DR à apparaître comme des lieux d’apprentissage, avec parfois un quasi abandon des exigences relatives à la forme scolaire et, d’autre part, l’absence de liens formalisés entre le collège d’origine et le DR : traces écrites, échanges réguliers, existence d’un tuteur, adulte volontaire chargé du suivi de l’élève pendant et après le retour. Au terme d’une année d’observations et d’échanges avec les personnels et les institutionnels commanditaires, il est décidé pour la phase 3 de cibler l’observation sur deux autres ateliers-relais volontaires qui ont choisi d’expérimenter deux axes de travail parmi les cinq proposés : travailler sur le tutorat, le bulletin et le carnet de suivi. Le bilan positif de ce dernier temps de recherche, malgré les difficultés de mise en place, a été validé et intégré dans la politique départementale de prévention du décrochage.

Du côté du collège : observations et temps de formation

La seconde recherche coordonnée par le CAS a réuni une équipe de recherche pluridisciplinaire en réponse à un appel à projet de la Fondation de France dans le cadre du dossier : « Aidons tous les collégiens à réussir ! » Ensemble contre le décrochage scolaire. Intitulée Culture écrite et prévention du décrochage, cette recherche a choisi comme terrain d’observations l’ECLAIR du quartier de la Duchère à Lyon (collège Schoelcher et école des Géraniums), de janvier à décembre 2012, sur deux années scolaires, permettant de suivre quelques élèves repérés à risque de décrochage de CM2 en 6ème, et de 6ème en 5ème.

L’hypothèse de recherche s’est appuyée sur les travaux d’Yves Reuter3 pour qui l’appropriation des univers scolaires de l’écrit favorise la socialisation des élèves et peut contribuer à prévenir le décrochage scolaire. Il s’agissait de repérer quelles en sont les conditions pédagogiques et didactiques, et comment réagissent les élèves en difficulté face à la culture écrite scolaire dans le quotidien des activités de la classe.

La transition CM2-6ème apparaissait comme un moment délicat, à observer à travers les supports et outils de l’écrit présents et utilisés en classe. Un module d’accompagnement des élèves exclus temporaires (entre trois et huit jours), mis en place depuis 2008 dans le cadre du projet de réussite éducative (PRE), complète par ailleurs les nombreux dispositifs et actions à l’œuvre dans ces établissements scolarisant des élèves qui, fragiles à l’école primaire pour une partie d’entre eux, décrochent progressivement au collège.

Les analyses formulées par les chercheurs ont été présentées en plusieurs temps aux acteurs engagés dans la recherche4 et plus largement à un public confronté aux mêmes défis, tandis qu’un rapport conséquent a été publié5, proposant un accompagnement réflexif susceptible de favoriser un questionnement interne aux équipes, prélude à de potentielles transformations des pratiques pédagogiques.

Le retour, c’est l’affaire de tous !

Au terme de ces deux recherches-action, des éléments convergents apparaissent qui interrogent l’ensemble des acteurs sociaux et éducatifs. D’abord, alors que l’élève se situe dans un espace local d’interdépendances, la prise en charge globale du jeune, la « logique de continuité éducative », est rarement assurée. Les acteurs et les structures existent mais ils peinent à croiser leurs regards, à mutualiser la connaissance fine du jeune qu’ils ont acquise : c’est le cas entre le DR et le collège d’origine, à l’intérieur des collèges, ou bien entre ce qui relève de l’Éducation nationale et ce qui lui est extérieur. Or, si dans le processus de décrochage ou de raccrochage, le temps est un facteur essentiel, les réponses apportées face à ce phénomène multicausal et complexe doivent être composites et personnalisées, alliant l’école et le hors école, sans oublier les pairs et la famille.

De plus, en amont de ces temps de mise à l’écart de la scolarisation ordinaire, nombre de jeunes ont bénéficié de prises en charge éducatives ou sociales. L’absence de traces écrites, témoignages des mesures antérieures et de toutes les formes d’étayage qui ont pu se succéder depuis le début de la scolarité, n’est cependant pas reconnue comme préjudiciable.

Non perçue, elle est rarement compensée, tant pendant la session que dans l’établissement au retour, par des documents formalisés, élaborés collectivement (y compris avec l’élève), régulateurs mais aussi médiateurs entre l’école et la famille. S’y ajoute fréquemment l’absence de traces des apprentissages, des acquis, des savoirs travaillés hors la classe pendant la session.

Quelle légitimité alors des DR et de leurs personnels s’ils ne se posent pas comme un lieu d’apprentissage ? Toutes les discontinuités temporelles et spatiales relatives à la scolarité doivent être, en grande partie, gérées par le jeune, contraint de construire seul de la cohérence.

C’est pourquoi un accompagnement de type tutoral, pendant et après la session, dans le cadre d’un PRE, apparaît nécessaire. Si le volontariat de l’adulte tuteur-référent est un préalable, sa fonction dans l’établissement n’est pas déterminante. En revanche, une relation de confiance est indispensable entre le tuteur-référent et le jeune, avec les parents et tous ceux qui participent à cette coéducation. Des temps de discussion plus informels mais réguliers entre le tuteur et l’élève peuvent instaurer un entre-deux, un espace neutre régi par une certaine confidentialité et hors de toute procédure d’évaluation. Entre un étayage permanent (ou renforcé comme pendant la session en DR) et une autonomie contrainte, il nous semble qu’il y a place pour un désétayage progressif et conscientisé.

Se pose aussi la question des dimensions nouvelles de la professionnalité des personnels intervenant dans ces espaces intermédiaires (enseignants, animateurs recrutés par les associations complémentaires de l’école publique et assistants d’éducation), ainsi que de celle du tuteur ou du principal du collège support, pilote en titre du dispositif. Formation initiale, continue, analyse et mutualisation des pratiques, ces besoins doivent être reconnus par les autorités de tutelle, pour tendre à une synergie au service de l’élève potentiellement décrocheur, et dépasser les pôles d’appartenance et les logiques professionnelles.

Les conditions d’un retour durable

Nos observations ont mis aussi en évidence, dans les lieux de notre recherche, un effacement, voire une mise à l’écart, d’une partie des outils et supports scolaires (manuels, cahiers, classeurs) comme si l’évitement des attributs de la forme scolaire (cahier de textes, devoirs à la maison, leçons, notes) allait, comme par magie, faciliter la réinsertion du jeune lors de son retour en classe. De la même manière, la faible part, voire l’évitement volontaire, de l’écrit et de la culture écrite, dans le souci de le protéger des difficultés et du sentiment d’échec, risque de valider et de renforcer le non usage des supports et outils de l’écrit hors l’école, et ainsi de creuser les écarts, alors même que la réussite scolaire est largement liée aux pratiques langagières.

Enfin, pendant la session, les modalités choisies pour travailler la socialisation et l’amélioration du comportement civique et scolaire interrogent. Le plus souvent, la relation adulte-élève est individuelle à l’intérieur de petits groupes, dans des conditions bien éloignées de la réalité des classes. Très peu de travaux collectifs ont été observés, les activités entre pairs sont très restreintes : les interactions maître-élève/élèves sont dominantes. Or, sans pratique de vraies coopérations entre élèves, sans responsabilité réelle de l’élève dans la régulation de la classe et de la vie du groupe, le discours sur la socialisation risque de n’être que normalisateur, voire moralisateur.

Externaliser la prise en charge de l’élève de manière temporaire peut être un recours mais cela ne suffit pas pour remobiliser l’élève décrocheur ou à risque de décrochage. De nombreuses conditions sont apparues comme nécessaires pour un retour durable en classe ordinaire, pour une réintégration réussie dans son groupe classe. Nous en avons cité ici quelques-unes qui nous semblent devoir être travaillées collectivement par l’ensemble des acteurs concernés, y compris l’équipe du collège d’origine. Au-delà, c’est le fonctionnement ordinaire des collèges qui mérite d’être interrogé pour davantage d’inclusion et de raccrochage. Les dispositifs, eux, peuvent être des espaces d’acculturation à des pédagogies alternatives, la présence d’animateurs de mouvements d’éducation nouvelle devrait favoriser leur essor.

Notes

  1. Le centre Alain Savary (CAS) est un service de l’Institut français d’éducation (IFÉ), rattaché depuis janvier 2011 à l’École normale supérieure de Lyon - http://ife.ens-lyon.fr/formation-formateurs/ressources/une-mission-formation-qui-se-structure/dispositifs-pedagogiques-1/decrochage

  2. Voir en ligne la publication présentant les phases 1 et 2  http://ife.ens-lyon.fr/formation-formateurs/catalogue-des-formations/formation-2011-2012/traitements-du-decrochage/rapport-cas-recherche-action-avant-impression-3.pdf


  3. Se référant à la réflexion de Jack Goody sur la littéracie, Yves Reuter explique notamment qu’il est souhaitable d’ouvrir les portes des univers de l’écrit aux élèves, d’articuler les pratiques langagières scolaires et extrascolaires. La transition CM2-6ème apparaît comme un moment délicat à observer à travers les supports et outils de l’écrit présents et utilisés en classe.


  4. Aux premiers enseignants volontaires se sont joints en septembre 2012 de nouveaux collègues, confirmant ainsi un vrai besoin d’accompagnement professionnel.


  5. Crocé-Spinelli (H.),HeurdierDeschamps (L.), Le Guern (A.-L.), Rieu (F.),Culture écrite et prévention du décrochage. Enjeux cognitifs, culturels et sociaux. Enquête dans le réseau ECLAIR Schoelcher à Lyon. ENS Lyon/Fondation de France, Institut français de l’éducation, Centre Alain Savary, janvier 2014. 


     

IFE - Centre Alain Savary

Le retour, c’est l’affaire de tous

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Culture écrite et prévention du décrochage

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Culture(s) écrite(s) et décrochage(s), problèmes didactiques et pédagogiques

Yves Reuter, de l'université Lille 3 Charles-de-Gaulle, revient sur le rôle de la culture écrite dans les processus de décrochage. Après une brève introduction il présente ses réflexions en trois points.

  1. Relation entre École et décrochage (à partir de 1'38'')
  2. Culture écrite et décrochage (à partir de 13')
  3. Des pistes de réflexion (à partir de 35')

Conclusion sur trois principes pédagogiques ( à partir de 58')

Voir sur le site du centre Alain Savary

Discussion à l'issue de la conférence "Culture(s) écrite(s) et décrochage(s), problèmes didactiques et pédagogiques"

Voir sur le site du centre Alain Savary