LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Coordinateur.rice d'équipe : retour d'expérience et repères méthodologiques

Publié le 24/11/2025 sur Yakamédia. Article original paru dans la revue VEN n°599, octobre-décembre 2025, sous le titre "Équipe au travail, travail en équipe".
Diriger une structure ou coordonner une équipe avec les valeurs de l’Éducation Nouvelle, c’est sortir du face à face frontal qui oppose le responsable à l’équipe. C’est construire tous les jours les relations et les occasions qui permettent une vie réellement collective. Des repères pédagogiques et pratiques.
Média secondaire

Dans une école de travail social qui forme des professionnel·les destiné·es à accueillir et à accompagner des publics, se questionner sur la façon dont on travaille en équipe est évidemment fondamental. Ne serait-ce que pour faire soi-même ce que l’on enseigne, comme montrer qu’il est possible de choisir collégialement un mode de fonctionnement d’équipe. Mais ce n’est jamais acquis : prendre en compte chaque personne sans la figer dans la place qu’elle occupe, faire vivre ensemble une somme d’individus aux expériences diverses, aux niveaux de formation et de responsabilités hétérogènes, c’est complexe ! Et c’est ce à quoi nous nous effor- çons depuis dix-huit ans à l’antenne de Béziers... en puisant chez les pédagogues de l’Éducation nouvelle une philosophie et des pistes pour agir.

Mettre au travail une équipe est aussi un enjeu pédagogique. Célestin Freinet l’a expérimenté à l’échelle de la classe en inventant le « conseil ». Cette instance permet à chaque personne au sein du groupe-classe de s’exprimer quel que soit son « métier » mais aussi d’occuper diverses fonctions puisque les élèves changent de métier tout au long de l’année.

Les propos de Philippe Meirieu sur cette question sont aisément transférables : « Il faut sortir de ce face à face frontal qui fait que le maître [le responsable] est supposé tout savoir et permettre à chaque enfant [adulte] d’être expert dans un domaine dont il puisse faire profiter les autres (...). Il faut donner à chacun une expertise spécifique, ce qui fait qu’il est indispensable au bon fonctionnement du groupe. » 

Répartir les responsabilités 

C’est dans cet esprit que durant des années nous avons organisé des réunions mensuelles où tout le personnel était invité à nourrir l’ordre du jour : secrétaire, cadres, formateurs et formatrices, maîtresse de maison, homme de ménage. Chacun et chacune autour de la table, quelle que soit sa fonction, pouvait penser et proposer des solutions sur une situation donnée et il était de la responsabilité des meneurs ou meneuses de réunion de veiller à ce qu’ils et elles reçoivent le même intérêt et la même considération pour leurs tâches quotidiennes. Traiter par exemple les tâches de ménage systématiquement en fin de réunion est une façon de dévaloriser ce poste. Afin d’y remédier nous avons décidé d’utiliser diverses méthodes pour organiser collectivement l’ordre du jour. La façon dont on répartit les responsabilités dans une équipe est un élément clé pour que chacun·e se mette au travail. À ce propos, Jean Oury a inspiré les acteurs de la psychothérapie institutionnelle sur l’importance de la collaboration, de la rencontre et de la création collective dans l’accompagnement des patients. Il parle de « créer de l’hétérogène pour qu’on puisse passer d’un point à un autre », ce qui souligne l’importance de la diversité et de la complémentarité au sein d’une équipe.

Si tu les infantilises, ils feront les enfants. Si tu partages tes inquiétudes avec eux, ils t’accompagneront à trouver des solutions et à les mettre en œuvre.

Fernand Oury, fondateur de la pédagogie institutionnelle, place lui aussi dans ses travaux le « faire équipe » au centre de sa pratique éducative. Il explique qu’une équipe n’est pas un groupe de travail mais une « entité dynamique » où chacun·e a un rôle actif et porte des responsabilités. Il faut pour cela créer un cadre où chaque membre collabore, s’organise pour prendre des décisions ensemble, en s’appuyant sur des instances, comme les réunions d’équipe, qui structurent le travail. Nécessaires, les conflits sont aussi l’occasion de travailler les différences et les discordances au sein de l’équipe car c’est souvent dans la gestion des écarts que se déploie la créativité et que se construit la résilience du groupe. Le psychologue Paul Fustier a élaboré à ce propos des repères méthodologiques très utiles pour aider les équipes à transformer ces écarts en ressources plutôt qu’en obstacles. 

Agir ensemble 

La table ou la salle de réunion ne sont pas les seuls espaces où le travail d’équipe se met en place. Tony Lainé l’a souligné dans ce texte essentiel pour les pédagogues de l’Éducation nouvelle, L’Agir. Il y souligne l’importance d’agir ensemble et de lier l’activité intellectuelle et l’activité physique parce que l’intelligence et la créativité émergent de l’action concrète et partagée. On peut échanger autour d’une table, mais aussi en faisant ensemble, en construisant des outils pédagogiques, des meubles, des jardinières, ce qui permettra aux différentes compétences d’être valorisées à tour de rôle.

Quand on parle de travail en équipe, une autre question brûle les lèvres : est-il possible de partager le pouvoir ? Sans doute, mais à condition de ne pas décréter ce partage du pouvoir sans y avoir travaillé ensemble au préalable. Car il n’y a rien de pire que les faux partages de pouvoir qui invitent les collègues à des groupes de réflexion, parfois sur des processus coûteux en temps et en créativité, et qui finalement aboutissent à une décision unilatérale. Outre la déception, le risque est fort que l’on assiste à un désengagement des équipes. Et que la fois suivante, l’investissement soit moindre et les chaises vides.

L’autre point de vigilance à maintenir est de trouver des espaces pour travailler sur les non-dits, permettre à chacun·e de s’exprimer sur ses ressentis, ses désaccords, de témoigner d’une difficulté personnelle, d’exprimer un besoin de soutien.

Pouvoir être fragile, vulnérable, oser le montrer et oser le dire, c’est essentiel au sein d’une équipe, car c’est la confiance qui permet à chacun·e de venir travailler honnêtement. Pour cela les espaces informels sont utiles, à condition toutefois de la nécessité ou non de renvoyer des questions sensibles ou conflictuelles à un traitement en réunion d’équipe et de veiller à lutter contre les dominations implicites qui s’y exercent.

Les conflits sont aussi l’occasion de travailler les différences et les discordances au sein de l’équipe car c’est souvent dans la gestion des écarts que se déploie la créativité et que se construit la résilience du groupe.

Fernand Deligny disait : « Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits. Si tu joues au bon Dieu, ils joueront aux diables. Si tu joues au geôlier, ils joueront aux prisonniers. Si tu es toi-même, ils seront bien embêtés. » Je pense qu’il en va de même en équipe : si tu les infantilises, ils feront les enfants. Si tu partages tes inquiétudes avec eux, ils t’accompagneront à trouver des solutions et à les mettre en œuvre. Et si, bon an mal an, en bricolant – les relations humaines sont du bricolage au sens noble du terme – on y parvient, la direction vivra elle aussi beaucoup mieux sa situation. Elle ne sera pas responsable de tous les maux, tout le monde sera embarqué solidairement sur ce même bateau. Pour le bien-être des stagiaires et des équipes qu’ils seront amenés à rejoindre.