A propos des médias : tourner l'apathie citoyenne en activisme citoyen

Pour réduire la fracture au niveau des e.compétences, l’éducation aux médias est une nécessité d’utilité publique à développer collectivement sous peine de creuser le sillon des inégalités
Média secondaire

Il n’est pas certain que les stratégies réfléchies il y a près de dix ans aient porté leurs fruits autant qu’on ait pu l’espérer. Mais elles ont l'immense mérite d’exister, d’être d’actualité et d’avoir encore autant de sens et de nécessité dans une société toujours plus numérisée. Les compétences de base de l’éducation aux médias (la règle des sept C) se doivent d’être déclinées dans tous les lieux d’éducation, condition sine qua non de réduction des inégalités, pour éviter que l’écart ne se creuse  encore plus et ne devienne abyssal entre les dites élites et les personnes en état de précarité informationnelle.

Cemea

Interview réalisée par Sabine Blanc de la rédaction d’Ovni, site de digital journalism, en réponse à la conclusion d’Andreas Kluth, journaliste américain et blogueur pour qui il n’est pas de crise des médias.

 

 

Sabine Blanc - Andreas Kluth estime qu’il n’y a pas de crise de l’information car nous n’avons jamais été aussi bien informés. Partagez-vous son point de vue ?

Divina Frau-Meigs - En partie seulement, surtout si information signifie « actualité », ce qui semble être l’angle de vue d’Andreas Kluth. L’accès à l’actualité s’est démocratisé pour ceux qui sont équipés intellectuellement et technologiquement, les info-riches. Ceux qui étaient informés par les moyens traditionnels ont transféré certaines compétences et moyens en ligne et les optimisent grâce à des outils de plus en plus conviviaux et des bases de données et sources de plus en plus plurielles. Cela ne résout pas la fracture numérique alignée sur les fractures économiques, sociales et culturelles. Cela ne résout pas le problème des info-précaires, issus de milieux défavorisés et de certaines catégories de la classe moyenne – handicapés, personnes âgées.

Le pouvoir-faire des élites et des intellectuels se creuse par rapport au savoir-faire d’une grande majorité de personnes en situation de précarité informationnelle.Les « gratuits » ne sont pas la solution car l’actualité diffusée est appauvrie, squelettique et à long terme inutilisable. Dévaloriser le travail sur l’actualité n’est pas vraiment rendre service aux plus pauvres, qui sont souvent dépendants d’une seule source d’information. Le problème vient aussi de l’information comme « presse » et de la profession du journalisme, qui, eux, sont en crise. Cette crise est en fait le signe d’une mutation durable et incontournable, celle de la troisième révolution industrielle dans laquelle nous sommes, le « cybérisme » comme je l’appelle pour marquer sa rupture d’avec le post-modernisme et la modernité tardive : avec le web 2.0 et ses générations à venir, liées à la norme IPV6, les activités en ligne sont désormais en amont des activités hors ligne et la chaîne de fabrication de l’actualité est durablement modifiée : les coûts de production, de reproduction et de diffusion sont très bas. La profession peut y gagner pour ses pratiques, en travaillant sur l’enquête, l’agrégation de documents, la profondeur d’analyse, si seulement elle s’en donne les moyens.

Le problème vient aussi de l’information comme « presse » et de la profession du journalisme, qui, eux, sont en crise. Cette crise est en fait le signe d’une mutation durable et incontournable, celle de la troisième révolution industrielle dans laquelle nous sommes, le « cybérisme » comme je l’appelle pour marquer sa rupture d’avec le post-modernisme et la modernité tardive : avec le web 2.0 et ses générations à venir, liées à la norme IPV6, les activités en ligne sont désormais en amont des activités hors ligne et la chaîne de fabrication de l’actualité est durablement modifiée : les coûts de production, de reproduction et de diffusion sont très bas. La profession peut y gagner pour ses pratiques, en travaillant sur l’enquête, l’agrégation de documents, la profondeur d’analyse, si seulement elle s’en donne les moyens.

Là où je ne suis pas du tout d’accord avec Andreas Kluth, c’est sur l’idée que l’on puisse se passer des journalistes. C’est une fonction sociale en mutation, mais elle répond à trois besoins cognitifs qui ne sont pas près de disparaître : la surveillance de l’environnement, le traitement de l’événement et l’aide à la résolution de problèmes. Même si potentiellement tout le monde peut être journaliste et contribuer à l’information sur des sites ou des blogs la plupart des citoyens n’a pas le temps, tout simplement de faire cette veille, cette corrélation d’information, ce suivi d’enquête qui caractérise la profession dans ses missions les plus nobles. Celle-ci doit en retour devenir plus humble qu’elle ne l’a été dans le passé, se substituant souvent à l’opinion publique et manipulant le pluralisme des idées. Ce n’est pas plus mal que la crise actuelle remette les pendules à l’heure à ce sujet : au journaliste d’informer, au citoyen de délibérer et de se faire une opinion, avec pour option supplémentaire de pouvoir la partager en ligne.


Cet article est issu de la revue Vers l’Education nouvelle