Images et contradictions

Une interrogation sur l’étonnante dichotomie entre un droit à l'image exacerbé et une diffusion tout azimuts de photos via Internet
Média secondaire
Cemea

Il y a trente ou quarante ans, lorsque l’on photographiait des enfants à l’école et en séjour de vacances ou des adultes en stage de formation, afin que ces photos soient publiées dans des revues pédagogiques ou dans des journaux scolaires, personne ne se posait la question du droit à l’image.

Ces prises de vue d’enfants ou de jeunes en train de pratiquer des activités semblaient à tous relever d’une illustration de moments vécus collectivement et pouvant être socialisés. L’évolution de la société a changé ce contexte et aujourd’hui, il nous paraîtrait aberrant de ne pas demander une autorisation avant de publier la photo d’une personne dans nos revues. Une prise en compte de l’individu dans le collectif, qui est une forme de respect. Chacun et chacune est en droit de ne pas avoir envie que son image apparaisse dans une publication.

Mais étonnamment, alors que le droit à l’image est respecté de façon rigoureuse, voire extrême, pour des photos ne mettant pas en avant directement les individus et les incluant dans une vie collective, on assiste sur internet à un déballage anarchique de blogs et de photos mises en ligne par les parents, les amis, les relations ou les individus eux-mêmes. Il y a dans ces publications numériques des images pouvant mettre en valeur le sujet, mais on en trouve aussi risquant de le mettre en difficulté et de lui nuire aujourd’hui ou dans l’avenir.

C’est une véritable contradiction. Un paradoxe qui peut, par exemple, amener les mêmes parents à refuser que leur enfant apparaisse dans le journal scolaire en train de faire une sortie avec l’école, alors qu’ils diffusent régulièrement des photos bien moins neutres sur le blog familial.

Cette dichotomie est difficilement explicable. Il s’y mêle certainement des enjeux sur la valeur financière ou morale de l’image, ainsi que des craintes quant à et son utilisation. En publiant des images soi-même sur internet, certains peuvent avoir une impression de maîtrise, qui pourtant est fausse, car toute image publiée sur la toile est susceptible d’échapper à son auteur. A contrario, si quelqu’un d’autre, ne relevant pas de son environnement direct, publie des images, il peut s’insinuer un sentiment de danger, d’instrumentalisation et de manipulation, même si le cadre de publication est clairement établi avec une déontologie et des objectifs précis.

Cette inquiétude interroge sur le regard porté au collectif, qui est de plus en plus souvent considéré comme inquiétant en opposition au cercle familial sensé être protecteur. Une baisse du rapport de confiance, que l’on retrouve souvent dans d’autres domaines que ceux liés à la publication de l’image et en particulier dans celui de la sécurité. Statistiquement, le pourcentage d’accidents concernant des enfants dans leur cadre familial est bien plus élevé qu’il ne l’est en collectivité, pourtant beaucoup de gens ont tendance à considérer le collectif comme plus dangereux.

Des contradictions étonnantes, face auxquelles, il est essentiel de rappeler que la collectivité et le rapport à l’autre jouent un rôle majeur dans l’éducation.


Vers l'Education Nouvelle (n° 584  janvier 2022)