Éduquer dehors, en ville aussi

Le milieu urbain est aussi un formidable terrain de jeu et d'exploration.
Dans l’enjeu essentiel d’une éducation au dehors accessible à toutes et à tous, il peut être utile de rappeler qu’en France, 7 jeunes de 3 à 24 ans sur 10 vivent en milieu urbain. Alors que la ville génère déjà diverses formes de ségrégation - relégation, périurbanisation ou gentrification - s’empêcher de projeter une pratique d’éducation dehors en milieu urbain, dans des espaces jugés plus ingrats, renforce ainsi les inégalités d’accès.
Média secondaire

Les classes sociales plus aisées, grâce à la proximité spatiale et de meilleures mobilités profitent des joies d’une éducation en pleine nature dans un bois ou un joli parc à proximité. Les classes populaires en milieu urbain en revanche sont assignées à un milieu de vie moins “valable” et ne bénéficient pas des bienfaits d’une éducation au dehors. Depuis le début des années 1980, le recul de la place des enfants dans la ville est largement documenté pour constater une trajectoire globale morcelant de plus en plus les espaces de vie des enfants et des jeunes, mais aussi leurs espace-temps, qui ont désormais tous des finalités définies. Quand on se déplace, c’est pour aller au centre de loisirs, à la piscine, à l’école, on ne prend pas le temps d’explorer le milieu. Cinquante ans plus tard, avec la préoccupation nouvelle de penser le milieu urbain comme un système écologique évolutif, s’ouvre donc peut-être une période favorable pour réconcilier la ville avec les enfants. À l’heure où les services d’urbanisme s’interrogent sur les manières d’intégrer le vivant dans les politiques d’aménagement, c’est sans doute le moment de faire valoir la nécessité d’espaces de dehors “libérés” pour les enfants

 

Il faut placer l’enfant dans un milieu riche afin de stimuler sa curiosité naturelle pour développer sa pensée

Ovide DECROLY

De l’éducation à l’environnement urbain ...

Éduquer dehors en ville, c’est d’abord percevoir le milieu urbain comme espace propice à l’éducation. Si le milieu naturel semble idéal en termes de richesses et d’opportunités de jeu et de découvertes, la ville peut, elle aussi, l’être. Pour peu qu’on associe « aménagements urbains d’espace conviviaux pour les enfants »* à l’animation de ces espaces dans le but de recréer du commun, leur enrichissement et la transformation des relations éducatives.

À côté des espaces végétalisés, la rue et ses abords sont aussi un lieu riche en découvertes et apprentissages, comme les différents réseaux d’éducation populaire et d’éducation à l’environnement ont pu l’explorer depuis les années 70. Car le premier environnement est celui où l’on vit, y compris s’il est urbain ! De la balade à la “classe promenade”, au “dehors-dedans” que représentent les cours des espaces éducatifs, en passant par l’activité plus ou moins guidée dans les espaces verts, finalement, le milieu urbain offre un éventail particulièrement riche de terrains et pratiques d’éducation au dehors. Lors de temps de “classe dehors”, ou lors d’un déplacement avec le centre de loisirs, on peut traverser une rue en découvrant les nombres pairs et impairs par exemple, repérer les points cardinaux sur une place en fonction du soleil et des immeubles, mesurer des distances, écrire des poèmes... et surtout jouer librement. Une démarche comme le géocaching est aussi intéressante, et invite à retrouver le plaisir de la balade, à la recherche de balises qui peuvent être situées dans des sites naturels, patrimoniaux ou inscrits dans le paysage ordinaire.

... aux villes éducatrices

Cemea

 Depuis une trentaine d’années et l’initiative partie d’Italie avec Francesco Tonucci se développent des projets autour des villes « à hauteur d’enfants ». Dans cette démarche de transformation urbaine et sociale, abaisser la vision de l’administration à hauteur d’enfant pour repenser la portée éducative du milieu urbain et la mobilité autonome des enfants présente l’énorme avantage de bénéficier à l’ensemble des habitant·es.

Des événements comme les « rues aux enfants » permettent d’imaginer le réinvestissement des espaces publics par les habitants, des associations et des centres sociaux. En découlent des projets nouveaux, croisant sociabilité et enjeux environnementaux liés à la renaturation, tels que les espaces ensauvagés, les cours oasis ou autres terrains d’aventures.

Dans la pratique, la communauté éducative se pose encore beaucoup de questions à propos de la réglementation, des dangers, de la mobilité, les degrés d’accès et d’utilisation de l’espace public... Pour une école, un centre de loisirs, adhérer à un jardin partagé sécurise nombre de ces questions, en même temps qu’il vient souvent renforcer le projet même du jardin. L’éducation au dehors, ou toute démarche d’animation de rue, demande surtout du côté de l’encadrante ou l’encadrant, une capacité à prendre en compte l’imprévu : une observation inopinée, une rencontre ou une remarque d’un enfant qui l’emmène sur un nouveau terrain. Une limite réelle, mais heureusement rare, est l’impossibilité de pouvoir manipuler les éléments, dans un contexte trop pollué. On appréhende un milieu avec tous nos sens, et se priver du toucher est particulièrement difficile. « Les enfants veulent laisser leurs traces. Ils ont pour cela besoin d’espaces non structurés et non pédagogisés qui stimulent leur imagination et favorisent une certaine multifonctionnalité et flexibilité ». Les terrains d’aventures répondent à ce besoin,en donnant aux enfants et aux adolescents l’accès à des espaces où ils peuvent agir et transformer leur environnement. Ils rendent possible en outre la mise en place d’une dynamique de continuité éducative autour de l’éducation dehors. lire VEN 590 et dossier Yakamédia.

L’éducation dehors en milieu urbain ne propose pas aux adultes d’imaginer les espaces de loisirs pour les enfants, mais bien de sanctuariser des espaces d’exploration, de jeu et de découverte dans l’ensemble des quartiers français pour que chaque enfant puisse, quand il en aura l’envie, créer son propre rapport avec la nature et avec son milieu.


Crédit photos: Guillaume Vigier