Raccrochage, quelle évaluation ?

Les élèves qui reviennent volontairement dans l’École après une période plus ou moins longue de décrochage, se réinscrivent avant tout dans un parcours, scolaire certes, mais plus largement de socialisation.
Média secondaire

L'École représente le lieu où se nouent les contacts avec les pairs, où se travaille l'appropriation de codes sociaux, où s'expérimentent les relations formelles autour des tâches… L'objectif ne sera donc pas uniquement la confrontation à une norme scolaire, connue et attendue, ils doivent aussi retisser l’ensemble des liens avec les savoirs, les adultes, un projet, les rythmes, les pairs qui permettent de se repositionner dans un processus de formation, quel qu’il soit. Cela implique donc des modalités d’évaluation qui ne peuvent se cantonner aux critères qui ont habituellement cours dans les établissements scolaires, que ce soit en terme de progression académique ou de vie scolaire. La conception de l'évaluation repose sur des constats et des objectifs.

Quels objectifs pour l’évaluation dans une structure de raccrochage ?

Jalonner ou étalonner ?

Par leur décrochage, les adolescents ont traduit leur incapacité à évoluer dans les repères scolaires traditionnels : notes, passages de classe, appréciations, sanctions… Il faudra que les modes d’évaluation proposés leur permettent de nouveau de se positionner, non seulement en terme de progression scolaire, mais aussi de progression dans un parcours. La prise en compte de leurs résultats dans la classe précédente sera un des éléments retenus, qui n’est d’ailleurs pas toujours significatif. Il faudra s’appuyer aussi sur ce qui a été vécu et expérimenté pendant le passage hors de l’École. L’évaluation jalonne pour signaler les avancées et ne pointe pas seulement les manques par rapport à un idéal scolaire.

Se jauger ou être jugé ?

Pour que le jeune qui raccroche puisse construire son parcours, il est utile qu’il puisse estimer par lui-même où il en est. Cela implique qu’il puisse maîtriser aussi les éléments qui vont lui permettre de se situer. De plus, il ne s’agit donc pas qu’il soit en situation de s’auto-évaluer à partir des critères posés par l’adulte, mais qu’il soit capable de construire ses propres outils. Nous sommes donc face à une logique de coconstruction, car dans ce processus complexe, l’accompagnement par les membres de l’équipe éducative sera indispensable. C’est un double processus à provoquer, concomitant et inhérent à la logique d’accompagnement, amenant le jeune à se repérer, mais aussi à apprendre à le faire. À travers l’acquisition d’une capacité d’estimation de son travail et de son parcours se construiront des compétences qui vont bien au-delà du cadre scolaire.

Réduire l’écart ou constater l’échec ?

L’évaluation peut se voir en mode binaire : réussi ou non réussi. Pour les élèves cela signifie : à l’heure ou non, présent ou non, avoir la moyenne ou pas. Dans les structures telles que le PIL ou les microlycées, la question se posera surtout en terme de réduction de l’écart entre le constaté et le nécessaire en fonction du projet qui se construit et du chemin parcouru. Ce travail sur l’écart sous-entend qu’il n’y a pas de normes en soi mais des obligations, connues et signalées par l’adulte, inhérentes au processus de réinscription dans le parcours de formation annoncé.

Bulletin scolaire

Quelles implications pour l’évaluation dans des structures de raccrochage ?

Évaluer plus largement

Il s’agit donc, pour les équipes prenant en charge des élèves raccrocheurs, d’intégrer à l'évaluation l’ensemble de ce qui est engagé par l’élève et qui lui permet de se réinscrire dans un parcours de formation. À titre d’exemple, les « habiletés sociales » qui permettent d’interagir avec ses pairs et les adultes doivent être prises en compte. De même, les progrès qu’il effectuera dans sa capacité à se réinvestir dans son projet et la construction même de celui-ci, doivent être mesurés. Cela ne signifie pas que la progression plus classiquement scolaire ne soit pas prise en compte mais l’estimation des progrès accomplis, ou non, ne peut s’y résumer.

Évaluer différemment

Dans ce cadre, les modalités d’évaluation sont forcément différentes et il n’est pas question d’en faire ici une liste exhaustive. L’idée générale est la suivante : l’évaluation ne peut reposer sur un simple constat surplombant de la part, au pire d’un seul membre de l’équipe, au mieux de l’équipe complète. Dans une logique de reconstruction du lien avec l’École, il s’agira de valoriser ce qui a été réussi en espérant élargir cet espace de réussite, plutôt que de pointer les manques.

Dans le cadre des activités scolaires, la note peut être utilisée, comme d’autres moyens – elle est d’ailleurs souvent réclamée par les élèves. Cependant, l’importance n’est pas dans la note mais dans l’usage qui en est fait pour favoriser une progression. Par ailleurs, d’autres modalités peuvent exister. Ainsi, l’usage d’un portfolio va permettre de retracer tout ce qui a été réalisé par l’élève, sans hiérarchisation : la photo d’un objet réalisé pourra côtoyer un travail scolaire ou un compte-rendu de projet collectif. Dans un autre registre, un questionnement réflexif en tutorat pourra favoriser chez l’élève sa capacité à se situer dans son parcours.

Restituer autrement

Si l’évaluation porte sur d’autres objets, à partir de modalités différentes, les formes de restitution aux élèves, aux familles, aux membres de l’équipe changeront également. Les moments de tutorat permettent un retour individualisé et interactif, l’élève pouvant, interroger ou remettre en question ce qui lui est exposé. L’objectif est bien la construction d’un constat partagé, d’une base sur laquelle pourra s’engager la suite du travail.

Il existe aussi des temps collectifs, les conseils de progrès, où l’élève fait son bilan, préparé en amont, en présence de ses pairs, de tous les enseignants et, plusieurs fois dans l’année, des parents. Dans les deux cas, il s’agit de favoriser l’appropriation de l’évaluation par l’ensemble des parties prenantes, et donc de sortir d’une démarche surplombante.

Cemea

Des limites qui existent

Une logique contre culturelle

Les adolescents qui reviennent dans l’École, même s’ils y ont souffert, veulent de l’École. Des modalités d’évaluation différentes, mettant en avant la progression, risquent de sembler non réalistes et d'être considérées comme une seule stratégie de valorisation.

Il est donc nécessaire de convaincre les élèves de la validité d’un projet qui ne met pas de notes, celles-ci étant considérées comme un gage de sérieux, surtout si elles sont mauvaises. C'est pourquoi, un travail d'explicitation sur l'utilité de toutes les compétences prises en compte doit être mené. Les compétences travaillées et correspondant aux attendus scolaires traditionnels doivent être régulièrement mises en évidence.

Comment mesurer l’informel ?

Il est très compliqué de rendre compte de l’informel. Comment mesurer précisément une amélioration de la relation aux autres, le mûrissement du projet personnel tant qu’il n’a pas abouti ? Un plus grand engagement dans le travail scolaire qui n’a pas encore porté ses fruits en terme de progrès ? Une solution consisterait à multiplier les grilles de positionnement tentant d’objectiver de l’impalpable. Une autre consisterait à rester dans une forme de flou bienveillant ne permettant pas de fournir des repères suffisamment précis aux élèves. Il faudra donc en permanence chercher un ajustement entre ces deux modalités. L’évaluation, tiraillée entre modalités et objectifs, reste donc un chantier permanent

Quelle lisibilité pour l’élève et les familles ?

Si le système de notation traditionnel peut légitimement être remis en cause, on ne peut nier sa fonction de repère comparatif et symbolique, à défaut de donner une indication « objective », puisque l’on sait depuis longtemps par les acquis des recherches en docimologie* qu’une note procède d’opérations complexes d’évaluations implicites de la part du notateur ; la note a toutefois un mérite : être aisément lisible.

Lorsque l’on tente d’imaginer d’autres modes d’évaluation, il devient moins aisé d’être compréhensible, pour les élèves, comme pour les familles. Cela implique un travail de communication auprès des parents pour clarifier les objectifs et les nouveaux critères d'évaluation qui en découlent, puis pour rendre compte de la progression du jeune. Ceci dans le but de rassurer quant à la possibilité de rejoindre un cursus traditionnel, mais également, quand c'est le cas, d'exposer des avancées parfois plus liées à la maîtrise de compétences sociales qu’exclusivement scolaires, à supposer qu’une cloison étanche sépare ces deux champs.

Quelle hiérarchisation entre les différents critères ?

Le raccrochage étant un parcours complexe où s’imbriquent progression dans les apprentissages et posture vis-à-vis de la structure de raccrochage et des autres protagonistes ; il est donc difficile de hiérarchiser les critères permettant de situer un élève. Un très bon devoir réalisé lors d’un rare passage est-il le signe d’un raccrochage en cours ? À l’inverse, une présence très régulière mais ne donnant lieu à aucun écrit est-il plus rassurant ?

De plus, les éléments à mettre en valeur peuvent évoluer en fonction des moments, un parcours n’étant jamais linéaire. Enfin, dans ce type de structures portées par des équipes, il n’existe pas de consensus sédimenté autour des pratiques, la communauté d’idées préalable n’impliquant pas automatiquement une uniformité dans les mises en œuvre. Pourtant, malgré l'inconfort que cela peut représenter, c'est sur cette ouverture des enseignants à l’échange de récits sur leurs pratiques et par des analyses de ces récits dans un lieu spécifiquement conçu pour cela que repose, en grande partie, la possibilité d'une évaluation tout à la fois respectueuse de l'individu et consciente des exigences sociales, tant pour les professeurs que pour les élèves.