Partenariat ou pugilat ?

Pourquoi l’éducation devrait-elle être partenariale ? Dans un partenariat choisi et non prescrit, qui deviendrait un engagement dans une action commune négociée, où l’on peut échanger au préalable sur les représentations de chacune des parties dans un cadre sécurisé.
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Pourquoi la question du partenariat se pose-t-elle en France en 2014 ? La question pourrait être : que signifie « l’inclusion » comme principe de « refondation » de l’école ? Je partirai de l’évolution qui nous a conduits à la réforme actuelle pour définir ce qu’il faut entendre par partenariat et à quelles conditions celui-ci est possible. Je conclurai sur une interrogation : où en est-on actuellement ?


Pourquoi l’éducation devrait-elle être partenariale ? Est-ce le parachèvement d’une politique commencée en 1981 avec la généralisation des ZEP, les zones d’éducation prioritaires, puis, en 1989, avec l’articulation entre projets éducatifs et projets Ville et la loi d’orientation de l’école qui, pour la première fois, met l’élève au centre du système et donne comme orientation l’instauration parmi les compétences de l’enseignant, celle de prendre en considération l’établissement dans son environnement ? (Zay, 2012).

L’instauration des ZEP par un gouvernement de gauche, comme en Grande-Bretagne, traduisait la prise de conscience d’inégalités scolaires dues aux inégalités de naissance. La visée de ces politiques était de les réduire en appliquant le principe de « discrimination positive », donner plus à ceux qui ont moins. Ce principe correspondait à la conception d’un système scolaire en lien avec la communauté constituée par son environnement local, mais pas aux traditions françaises d’un État centralisateur supposé garantir l’égalité républicaine de traitement des élèves par l’homogénéité des programmes, de l’enseignement, des examens et des concours sur tout le territoire.

En dépit des résistances, françaises, cette politique a été parachevée par la loi de 1989 qui tentait de changer les modes de fonctionnement du système scolaire et les pratiques des enseignants par une ré-«orientation» sur l’élève et sur la manière dont les élèves apprennent (learning), plutôt que sur la matière d’enseignement et le programme appliqué par les enseignants (teaching).

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Des programmes adaptés aux enfants

En effet, si les inégalités de naissance pèsent sur les résultats scolaires, c’est parce que les milieux sociaux aisés partagent les normes de la culture transmise à l’école, contrairement aux milieux populaires.

S’intéresser à la manière dont les élèves apprennent, c’est prendre en compte ce qu’ils vivent dans leur famille, dans leur communauté, dans leur quartier, avec leurs pairs. C’est accepter qu’un enfant n’est pas vierge de tout savoir quand il entre en classe. Il a une expérience acquise par des modalités d’apprentissage qui ne sont pas forcément celles qui dominent dans le système scolaire.

C’est se fonder sur ce que l’enfant peut faire et ce à quoi il s’intéresse en dehors de l’école pour créer les liens qui lui permettront de transférer ses acquis à d’autres apprentissages, à d’autres contenus, à d’autres modes de raisonnement que les siens, ceux qu’il a spontanément. Cela introduit le principe d’un partenariat qui va plus loin que l’ouverture de l’école (Zay, 1994 a et b).

L’éducation inclusive renoue avec l’Éducation nouvelle au début du siècle. Dans la ligne de ce mouvement, Claparède (1950) préconisait la révolution copernicienne qui ne ferait plus tourner l’enfant autour des programmes, mais l’inverse.

En 1994, quand l’Unesco, a fait ratifier la Déclaration de Salamanque par les représentants de 92 gouvernements et 25 organisations internationales, Linqvist, rapporteur des États-Unis, a déclaré : «Ce sont tous les enfants et les adolescents du monde qui ont droit à l’éducation et non nos systèmes éducatifs qui ont droit à un certain type d’enfants» (Unesco, 2006, p. 13). C’est à l’école de monter des dispositifs adaptés au développement des potentialités de tous les enfants en prenant en compte ce qu’elles sont dans leur milieu de vie.

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Comment établir des liens entre les milieux de vie du jeune et celui de l’école?

Le pari des réformes en cours, c’est une politique territoriale. Les P.Ed.T (Projets éducatifs de territoire) font suite aux PEL (Projets éducatifs locaux), favorisant des dispositifs de proximité soutenus par des associations comme les Ceméa. Cette politique peut-elle contribuer à aider la France à évoluer vers une éducation inclusive ? Autrement dit comment passer d’un partenariat prescrit à un partenariat choisi ?

Que signifie être partenaire ? Le partenariat est une idée récente, une idéologie consensuelle importée du monde de l’entreprise en éducation à partir des années quatre vingt (Landry & Mazalon, 1997). Le terme n’entre qu’en 1987 dans Le Grand Larousse.

« Partenaire », beaucoup plus ancien, remonte à l’anglais partner, mais au XVIIIe siècle, une lettre de madame du Deffand fait apparaître que ce dernier, sous l’influence de « part », vient du vieux français « parçuner », propriétaire indivis, copartageant, de « parcion », séparation, du latin partitio, partitionis, partage, séparation, division (Mérini, 1999).

Étymologiquement, sont donc présents dans le terme à la fois l’avec et le contre, l’association et la division. La première réalité du partenariat, c’est celle de tout groupe, le risque de conflit. Quand les « partenaires sociaux » se mettent autour d’une table, c’est pour éviter le conflit plus dur d’une grève (Zay, 1997). Le partenariat est d’abord « une situation de négociation » (Bautier, Gonnin-Bolo, Zay, 1995) Sa définition minimum serait « l’engagement dans une action commune négociée » (Zay, 2005).

Les conditions d’un « savoir collaborer » *

La confrontation de deux types de culture, école et milieux professionnels hors Éducation nationale est généralement vécue comme un choc, un élément déstabilisant pour chacun des partenaires : l'enseignant ressent souvent l'intrusion de l'autre sur son territoire, dans sa classe, comme quelque chose qui le « bouffe », qui le dévalorise ou le remet en question aux yeux de ses élèves (Zay, 1994a).

Chacun vit la collaboration à travers « sa » représentation, tributaire de son histoire personnelle et de son statut socioprofessionnel, représentation qu'il se fait de l'action commune menée avec le partenaire d'un autre statut et de ce partenaire lui-même. Ces représentations sont en contradiction les unes avec les autres et engendrent des malentendus et des ruptures. La réaction spontanée de rejet ou de repli peut être évitée.

Deux conditions ont été repérées (Zay, 1999) :

  • Un travail spécifique sur les représentations de l’objet du savoir et de l’action commune. Cela s’acquiert par la formation, mais aussi par le dialogue, la négociation. Quel que soit le cas, le point important est que l'absence d'élucidation des attentes initiales des différents partenaires et la non négociation d'un contrat explicite introduit le sentiment d'être « floués » chez les uns et chez les autres. Le partenariat, c’est une action commune négociée dans laquelle chacun ne peut abandonner une partie de ses intérêts propres au profit de l’intérêt général que s’il a conscience d’y gagner.
  • Des structures de sécurisation : le partenariat interne, l'appartenance à une équipe par rapport au partenariat externe, le réseau, associant dans un domaine spécifique des membres d'établissements scolaires et des professionnels extérieurs. L'action de formation commune, stage ou autre, associant professionnels extérieurs et de l’Éducation nationale peut être une occasion privilégiée, à la fois d'entrer en relation avec l'autre et son monde, sans trop de risque, et de participer à la formation d’un nouveau réseau.

Le rôle des associations

Les associations peuvent jouer un rôle clé dans une évolution vers une école plus inclusive, car elles ont une expérience différente de la relation avec la population, n’étant pas, avec les enfants et les familles, dans les mêmes rapports de place que ceux des élus ou des administrations publiques ; elles sont mieux à même de tisser des liens entre les différents pôles d’une éducation qui, moins que jamais, dans une société du savoir et de la technologie, ne peut se réduire au seul système scolaire (Zay, 2013, 2014). 

Note

Ven 513, février 2004, « Des partenaires pour l’école. » * Voir Ven 513, février 2004, « Des partenaires pour l’école. »

 

Références bibliographiques


BAUTIER (E.), GONNIN-BOLO (A) ET (D.) ZAY, « La problématique et les thèmes du colloque, compterendu du séminaire préparatoire », In Zay (D.) & (A.) Gonnin-Bolo (éds.). Établissements et partenariats. Stratégies pour des projets communs, Actes du colloque, 14, 15, 16 janvier 1993. Paris, INRP. 1995. Pp. 11-25.


CLAPARÈDE (E.), L’Éducation fonctionnelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1950.


LANDRY (C.) ET (E.) MAZALON, « Les partenariats école-entreprise dans l’alternance au Québec : un état des recherches », In Le Partenariat : définitions, enjeux, pratiques, numéro coordonné par M. Kaddouri et D. Zay, Éducation Permanente, n° 131, 1997. Pp. 37-49.


MÉRINI (C.), Le Partenariat en formation. De la modélisation à une application, Paris, L’Harmattan, 1999.


UNESCO (2006). Principes directeurs pour l'inclusion : assurer l'accès à l'éducation pour tous. 1ère éd. en anglais, Paris, Unesco, 2005.


ZAY (D.), (dir.) (1994a). La Formation des enseignants au partenariat. Une réponse à la demande sociale ? Paris, PUF.


ZAY (D.) (1994b), « Établissements et partenariats », Savoir, Éducation, Formation, n° 1, pp. 33- 44.


ZAY (D.) (1997). « Le partenariat en éducation et en formation : émergence d'une notion transnationale ou d'un nouveau paradigme ? » Éducation Permanente, n° 131, 1997-2, pp. 13-28.


ZAY (D.) (dir.) (1999). Enseignants et partenaires de l'école. Démarches et instruments pour travailler ensemble. Préface d'André de Peretti. Paris-Bruxelles : De Boeck, 3ème éd., 1ère éd.: 1994.


ZAY (D.) (2005). « Partenariat » in Champy P., Étévé C. (dir.). Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation (pp. 702-705). Paris : Retz, 3ème éd., 1ère éd. 1994.


ZAY (D.) (2012). L’Éducation inclusive. Une réponse à l’échec scolaire ? Préface de Gabriel Langouët. Paris : L’Harmattan.


ZAY (D.) (2013). « Ce n’est pas parce qu’un handicapé est dans un fauteuil roulant qu’il ne peut pas passer une porte. C’est parce que la porte est trop étroite ». Solidaires, le magazine du réseau et mouvement PEP. Les débats, supplément au n° 48 - décembre 2013, p. 2.


ZAY (D.) (2014). « L’Éducation inclusive : au croisement des voies vers des sociétés du vivre ensemble ou de la guerre de tous contre tous », in Penser l’éducation inclusive ou panser l’intégration ? S&F, Savoirs et Formation, la revue de la Fédération AEFTI, Association pour l’Enseignement et la Formation des Travailleurs immigrés et leurs familles, n° 90, pp. 13-16