L’ATSEM, avant-garde de la diversité des métiers au sein des équipes éducatives

Le binôme ATSEM-enseignant·e dans les classes maternelles s’est transformé en quelques décennies, il illustre l’ouverture de la classe à de nouveaux métiers créant une hiérarchie sociale encore peu analysée. Propos recueillis par Olivier Brocart.
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Arthur Imbert est chercheur postdoctorant en sociologie au Centre de Recherche en Education de Nantes (CREN). Sa thèse intitulée « L'avènement du binôme ATSEM-enseignante à l'école maternelle. Territoires professionnels, pratiques et subordination » éclaire l’identité professionnelle de ce métier, ses transformations et met en lumière les hiérarchies sociales au sein de la communauté éducative.
Média secondaire

Quelle est la particularité de ce métier au sein de l’école ?

Je me suis d’abord intéressé aux animateurs et animatrices périscolaires en 2017/2018 dans la réforme des rythmes et j’en suis venu à m’intéresser aux agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles, plus de 99% sont des femmes. Presque rien n’avait été fait en sociologie à propos d’elles, qui pourtant sont dans toutes les écoles et sont là depuis très longtemps. Depuis une trentaine d’années le métier a beaucoup évolué, à la fin des années 80 début des années 90, les ATSEM avaient la charge de l’entretien des locaux, le soin aux élèves, physiologique et affectif, mais ça s’arrêtait à la porte de la classe.

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La révolution des temps éducatifs a fait entrer d’autres corps de métier dans l'école. Les ATSEM se sont depuis installées durablement dans la classe jusqu’à constituer le binôme avec l’enseignante. J’ai tenté de fait une socio-histoire de ce basculement symbolique avec l’avènement de ce binôme concomitant avec les politiques centrées sur l’élève et la différenciation des apprentissages à laquelle les ATSEM vont participer.

On découvre deux groupes-types, les ATSEM « maternelles » et les « animatrices », c’est un passage de génération ?

J’interrogeais les ATSEM sur la manière qu’elles avaient d’incarner leur métier et j’ai observé une segmentation entre les plus anciennes et celles qui sont arrivées au moment de ce basculement de l’entrée en classe. Certaines racontent qu’avant la mise en place du binôme elles avaient un bureau dans les toilettes où elles attendaient qu’on leur envoie les enfants qui s’étaient souillé·es, d’autres disaient qu’il y avait des systèmes de sonnette comme à l’hôpital pour que les enseignantes puissent les appeler. 

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Les ATSEM de ce groupe, encore aujourd’hui où ces situations n’existent plus, valorisent beaucoup plus dans leur fonction le travail de soin aux élèves en disant « le travail d’ATSEM c’est prendre soin des élèves comme une maman » avec toutes les représentations stéreotypées du rôle des mères.

Elles sont allées bien au-delà de la qualification requise du CAP petite enfance, 45 % sont au-delà. Cela explique aussi pourquoi elles se sentent plus à l’aise que les plus anciennes avec le travail pédagogique.

Chez les plus jeunes ATSEM le discours est différent, elles valorisent beaucoup l’assistance pédagogique aux enseignantes, avec la préparation et la conduite des ateliers.

Ça se comprend au regard de leur parcours qui est très différent des plus anciennes. Chez les plus jeunes on retrouve beaucoup de parcours où il y a eu une succession de positions éducatives subordonnées, celles qui ne sont pas les plus hiérarchiquement élevées dans l’organisation : auxiliaires de puériculture dans des crèches, assistantes d’éducation dans le secondaire, animatrices. Beaucoup ont le BAFA, ont eu des expériences d’animation, ça les a formées au travail éducatif, à participer à des projets pédagogiques, ce qui explique qu’elles se sont senties assez vite à l’aise dans la mission pédagogique et qu’elles en font le cœur de leur activité, alors que cela reste une tâche assez minoritaire - l’assistance pédagogique c’est à peu près 10 % de leur temps de travail - le reste étant beaucoup d’entretien, beaucoup de surveillance des élèves, dans la cour, au dortoir ou plus généralement pendant les différents moments où les enfants naviguent dans les coins d'activité de la classe. Elles considèrent que cette partie de leur travail est le plus valorisant, beaucoup plus valorisant que d’accompagner des élèves aux toilettes ou faire le ménage.

La génération des ATSEM « maternelles » va être remplacée par celle des ATSEM « animatrices », cela s’accompagne d’une évolution de leur origine sociale moins populaire. Dans la nouvelle génération il y a plus de filles d’ouvrier·es qualifié·es que d’ouvrier·es non qualifié·es, plus d’enfants d’employé·es, d’aides-soignant·es. On voit aussi un niveau de qualification qui est plus élevé, un tiers ont le bac par exemple, 15 % ont un diplôme de l’enseignement supérieur, elles sont allées bien au-delà de la qualification requise du CAP petite enfance, 45 % sont au-delà. Cela explique aussi pourquoi elles se sentent plus à l’aise que les plus anciennes avec le travail pédagogique.

Qu’est-ce que représentent les métiers subordonnés de l’éducatif, y a-t-il une hiérarchie de technicité ?

À l’école la hiérarchie est assez peu formalisée, mais de fait dans l’organisation du travail à l’école maternelle on se rend compte que ce sont les enseignantes qui organisent le travail, qui décident du programme pédagogique, qui vont réaffecter une ATSEM à une autre classe en cas d’absence. On se rend compte que d’un point de vue fonctionnel, la direction mais plus globalement le groupe des enseignantes sont celles qui décident de ce qu’il se passe dans l’école.

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Cette hiérarchie fonctionnelle se retrouve aussi d’un point de vue social, avec des enseignantes issues de groupes dominants dans la société, majoritairement filles de cadres par exemple, cette hiérarchie se retrouve aussi d’un point de vue salarial avec un écart de revenu net du simple au double.

Ce qui pose beaucoup de problèmes aux ATSEM avec de nombreuses discussions sur la question de la rémunération des enseignantes qui est très basse par rapport à d’autres pays européens, les renvoyant à leur propre rémunération deux fois inférieure.

On voit ainsi qu’on a des personnels en situation de cadre, les enseignant·es, les CPE dans le secondaire, les psychologues de l’éducation nationale et d’autres positions qui ont en commun d’être beaucoup moins bien payées, moins qualifiées et une position moins prestigieuse dans l’institution, c’est en ça que je les appelle subordonné·es. Ce qui ne veut pas dire que leur métier est moins technique ou que leur métier est moins difficile ou moins important, mais c’est plutôt du point de vue de l’organisation du travail dans les écoles que je les appelle subordonné·es.

Ce binôme est-il le reflet de l’évolution du rapport entre l’État et les collectivités dans les affaires de l’école ?

C’est une question à laquelle je me suis assez peu intéressé, dans le travail socio-historique je montre que les ATSEM vont béneficier dans les années 80 de l’élargissement de la communauté éducative, que l’on va commencer à considérer que tous les temps des enfants sont éducatifs, donc tous les acteurs et actrices qui s’occupent des enfants pendant ces temps auront une fonction éducative, d’abord les animateurs, animatrices. C’est pour moi un des facteurs les plus importants permettant d’expliquer pourquoi on a permis ensuite aux ATSEM de rentrer en classe. Mais il y a aussi à partir des années 80 ce mouvement de décentralisation, cette répartition entre État et collectivités territoriales qui ne facilite pas en pratique le travail des agent·es en créant parfois des situations un peu compliquées où les ATSEM vont avoir deux supérieur·es dans la journée. De 8h20 à 11h20 sous la direction de la directrice de l’école, de 11h20 à 13h20 sous la direction de la ou du responsable de la mairie, puis de 13h20 à 16h20, puis après 16h20 … Et ça crée parfois des situations ubuesques où personne ne sait trop qui est le ou la cheffe de quoi.

Peut-on parler d’une professionnalisation du métier d’ATSEM ?

Effectivement il y a eu un temps où l’on proposait un emploi d’ATSEM pour faire œuvre sociale, il y avait cette représentation que c’était des emplois qu’on donnait aux veuves, celles qui avaient un enfant malade, celles qui avaient besoin d’une revenu et qui ne savait pas trop où s’employer. Il y a eu cette image pendant longtemps qui était peut-être vraie, je ne sais pas. Aujourd’hui c’est beaucoup moins vrai. J’ai rencontré dans mes entretiens le cas d'une petite commune de 400 habitant·es avec une classe unique où le maire avait embauché trois ATSEM pour une même classe, il avait découpé des petits bouts de temps de travail. Ça donnait une organisation usine à gaz mais il fallait donner quelques heures à cette personne-ci, un petit bout d’emploi à celle-là. Cela continue un peu d’exister, c’est une des fonctions de l’emploi territorial. En 1992 quand on crée le statut d’ATSEM, on crée un cadre d’emploi propre car en fait jusque là elles étaient rangées parmi les agent·es d’entretien. Elles disaient « notre métier est en train d’évoluer, c’est pas possible d’être rangées avec les agents d’entretien » donc on va créer le cadre d’emploi d’ATSEM, c’est aujourd’hui je crois le 7ème ou 8ème cadre d’emploi le plus important de la fonction publique territoriale. Ce qui montre que l’on commence à considérer que c’est une activité à part, que ce n’est pas simplement du ménage.

En quoi la sociologie peut éclairer l’acte pédagogique ? Quel est l’apport de la sociologie dans ce regard sur les ATSEM ?

C’est un apport critique. Ce qui m’a beaucoup posé question pendant toute ma thèse, c’est que lorsqu’on regarde les textes institutionnels sur le binôme ou les textes d’appui qui ont été publiés par exemple par le réseau Canopé, on se rend compte qu’on a beaucoup d’impensé. « C’est un binôme, il va y avoir des complémentarités entre les ATSEM et les enseignantes » comme si en le disant ça allait advenir.

Moi j’étais assez gêné par cette histoire de complémentarité, il y avait l’idée que tout le monde était égal, qu’il n’y avait plus de hiérarchie, pourtant j’observais ces questions de rapport de classe qui jouait entre elles. La sociologie joue un peu un rôle critique de poil à gratter en essayant de montrer que si on a envie de faire des collaborations éducatives comme c’est le cas entre les ATSEM et les enseignantes il faut répondre à quelques questions d’abord sur comment on fait travailler ensemble des gens qui ont une origine sociale différente, comment on fait travailler ensemble des gens qui gagnent des salaires du simple au double, comment on fait travailler ensemble des gens dont le prestige social n’est pas du tout le même. Je sais que les enseignant·es on souvent en tête qu’ils et elles perdent en prestige social, ce qui est vrai, mais ils et elles en ont toujours beaucoup plus que les ATSEM qui ont encore le sentiment aujourd’hui d’être prises pour des dames pipi. L’image sociale qu’elles perçoivent est souvent entachée de ce rapport à la souillure, au sale, à l’entretien et si on ne se pose pas ces questions-là, on fait un peu semblant en disant que simplement il y a une complémentarité dans un binôme, on passe un peu à côté de certains rapports sociaux qui se jouent dans l’école.

C’est un peu ça le rôle de la sociologie, c’est de dévoiler ces mécanismes sociaux qui jouent et qui sont invisibilisés parfois par l’institution. Je ne pense pas que l’éducation nationale le fasse sciemment, mais il y a un discours qui contribue à invisibiliser ces hiérarchies sociales et je pense que notre travail est de les mettre en lumière, de montrer en quoi elles agissent sur les relations de travail à l’école.

 

Des ATSEM « maternelles » aux « animatrices ». Transformation de l’identité professionnelle des travailleuses éducatives subordonnées de l’école maternelle

On n'est plus des dames pipi ! L'ATSEM il y a 50 ans c'était une dame pipi avec une option baby-sitter, mais elle rentrait même pas dans la classe. Moi, aujourd'hui j'ai mon bureau dans la classe, on forme un binôme aujourd'hui avec l’enseignante ! Il y a une évolution dans notre métier qui est non négligeable. De toute façon, j'aurais jamais accepté de faire ce métier s'il était resté comme il y a 50 ans. (Chantal, 40 ans, ATSEM depuis cinq ans)
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