Face à l'incertain

La situation liée à la pandémie, est inédite et invite les personnels de l’école maternelle à réfléchir au maintien de la qualité de l’accueil des enfants et de l’acquisition des savoirs en prenant en compte un nouveau cadre.
Dans le contexte de ce mois de mai 2020, personne ne peut présumer ce que seront, avant les vacances d'été, ces deux mois d’école pour les enfants, même si les équipes éducatives aux manettes ont tous les éléments pour établir et installer une autre norme pour faire l’école. Ce qui est certain en revanche c’est que les jeunes enfants ont besoin de savoir pour être en sécurité et que c’est la fiabilité des adultes qui les en assurera.
Média secondaire

Cette fiche est tirée du livret: Retour à l'école édité par l'AGEEM (association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publique) en mai 2020, dans cette période de crise sanitaire.


Après une interruption inédite de la classe pour cause d’épidémie, brutale, longue, traversée de tant de contraintes et d’inattendus, lourde de tant de discours alarmants, nous sommes plus conscients des risques qui affectent nos vies et nos métiers, des fragilités de nos organisations qui en temps normal fonctionnent sans susciter trop d’interrogations. Le temps viendra des bilans, et au-delà des questions qui se posaient déjà, un travail sur la thématique de l'espace, permettra, sur la base d’un large retour d’expérience, de s’interroger sur un environnement adapté qui puisse permettre de faire face à des impératifs sanitaires incontournables en offrant toutes les garanties de bien-être et de sécurité à des enfants petits pour lesquels les « choses » du monde ont une importance première. En examinant ce que l’épidémie a fait à l’école et de l’école, une réflexion plus large devrait aussi conduire à nous interroger plus largement : sur nos habitudes et les bouleversements qui leur ont été apportées notamment par les technologies modernes, sur la place des parents et sur tout ce qui est accessible à ceux qui sont très investis dans les apprentissages de leurs enfants en dehors des propositions institutionnelles. De quelle nature est vraiment ce qui se continue quand le présentiel scolaire s’arrête ? Si ce que disent aujourd’hui les scientifiques de probables autres épidémies de nature proche doit se réaliser dans les années à venir, alors il faut d’ores et déjà penser ce que nous devons et pouvons changer pour y faire face sans désarroi.

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D’un défi à l’autre

« Ce qui est fait reste à faire », disait Jankélévitch signifiant ainsi qu’avoir été courageux n’exemptait pas de l’être encore demain. De-main c’est aussi, tout proche, un autre défi face à ce qui reste incertain.

Et c’est bien d’un autre courage dont l’école maternelle et ses acteurs ont besoin. La reprise de l’école ne sera pas l’équivalent d’un retour de vacances même si pour nombre d’enfants ce sera du même ordre : retrouver les copains, un univers dont on était familier, un monde d’objets et de stimulations bien plus riche que le « chez soi », une vie d’enfant-écolier qui garantit des petits bonheurs indépendamment du giron familial. Et ce qu’elle sera ne peut être de même nature pour tous les enseignants d’école maternelle. Aussi est-il très malaisé de se projeter de loin avec précision. En praticiens réfléchis, les enseignants, localement, sauront trouver des réponses ou des interlocuteurs pour les aider à traiter les questions qui inévitablement surgiront. Quelques lignes de conduite sont à garder en tête pour ce faire.

Réfléchir en contexte pour agir...... en respectant et ménageant la sensibilité des enfants

Certains auront vécu une période perturbée par les inquiétudes exprimées ou latentes des adultes qui les ont entourés et / ou les inconforts de conditions de vie qu’ils ont subies plus fortement encore qu’à l’habitude vu le confinement. D’autres auront connu une parenthèse heureuse à tous égards. Certains auront perçu concrètement la proximité de la maladie, en auront peut-être directement éprouvé les conséquences avec l’hospitalisation d’un proche, voire un décès. C’est donc à ce qui s’est passé dans l’environnement qui affecte telle école qu’il faut être attentif pour accueillir les propos qui voudront se dire. Un rapide échange préalable avec les parents serait sans doute nécessaire pour ne pas commettre d’impair si les informations échangées pendant la période d’interruption n’ont pas été éclairantes à cet égard. C’est aussi aux règles de vie nouvelles dans l’école que les enfants pourront réagir avec étonnement, amusement ou malaise ; il faudra parler des interdits et impossibilités, des obligations et possibilités, expliquer sans alarmer plus que nécessaire. C’est une vie d’écolier « pas comme avant » qui se prépare.

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Des enfants pourront être surpris par des réactions d’adultes, dont l’inquiétude ne manquera pas un jour ou l’autre de s’exprimer. Il y aura à partager quelques règles de comportement avec les ATSEM, notamment quant aux précautions à prendre dans la communication avec les enfants quand il faudra intervenir pour faire adopter des comportements adéquats, corriger certaines attitudes pour faire respecter les règles qui auront été clarifiées dans l’école en fonction des contraintes et des ressources locales. Les enfants petits ont besoin de notre solidité et de notre sérénité (apparentes au moins) pour se sentir en sécurité.

... en assurant leur sécurité psychique et physique

C’est la fiabilité que les enfants percevront chez les adultes qui les entourent à l’école – toutes fonctions confondues – qui contribuera le plus nettement à cette double sécurité : des consignes claires et des règles constantes qui valent pour tous les temps passés dans les locaux scolaires, des interdits posés avec tact (que faire des doudous et autres objets entrant à l’école... dont certains seront importants pour faire face à une seconde rentrée en petite section). Il faudra justifier la distanciation sans inquiéter, vrai paradoxe en milieu scolaire quand il importe que les enfants découvrent les autres comme des recours, des ressources et non des dangers. Les impératifs de propreté des locaux et du matériel, de l’hygiène individuelle à intégrer absolument ne doivent pourtant pas devenir des obsessions qui entravent les explorations nécessaires aux apprentissages. Avec les plus petits, un vécu ludique des passages obligés contraignants sera sans doute d’un grand secours ... Plus les enfants grandissent, plus le fait de savoir devient important : savoir ce qu’on doit faire et pourquoi, et percevoir que les adultes parce qu’ils en savent plus sont maîtres de la situation. ... en rendant à l’école sa pleine signification. On vient à l’école pour apprendre comme les autres et avec les autres, et c’est avec cela qu’il va falloir renouer. L’interruption est arrivée à un moment particulier de l’année scolaire où des acquis s’étaient accumulés et stabilisés, où les progressions pédagogiques faisaient affronter des découvertes décisives pour chaque section, où les routines de classe (rythmes, règles de vie, consignes et formes de travail...) étaient assimilées, où des relations étaient bien établies avec les pairs. Qu’est-ce qu’il reste et jusqu’où sont partis les enfants avec le guidage à distance et les aléas de l’enseignement familial ? Il importera d’en faire le bilan in vivo dans le cadre particulier que constitue une classe et de montrer l’importance attachée à ce qui a été fait pendant l’interruption (place dans les rangements habituels de travaux, affichages...). Il importera aussi de donner un sens au temps qui reste avant les grandes vacances, de proposer des projets d’apprentis-sage à vivre ensemble avant la fin de l’année scolaire.

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La distanciation dans le présentiel et la communication avec la demi-classe qui ne sera pas là (si tel est le cas compte tenu du nombre limité d’enfants accueillis en même temps) vont constituer une vraie motivation pour les activités langagières, interactions actives en classe, messages oraux à enregistrer, écrits à transmettre et modalités variées de transmission du vécu et des émotions qui s’y attachent. Une attention particulière s’imposera en grande section pour la préparation de l’entrée au cours préparatoire ; il s’agit moins de s’agiter pour rattraper un temps supposé perdu que de bien asseoir quelques acquis de base sur lesquels s’entendre avec les collègues de CP qui accueilleront les enfants, et de préparer avec ces derniers un petit bagage matériel et symbolique à emporter vers le nouvel horizon. Il y aura presque inévitablement à cet égard une inquiétude des parents qu’il vaut mieux avoir anticipée. Pour tous, c’est vers l’avenir qu’il faut tourner le regard, avec autant de confiance que possible.

.... en ajustant les relations avec les parents

Les parents risquent d’être tenus à distance, dans le respect d’un protocole sanitaire explicite, et pourtant il faudrait pouvoir s’entretenir avec eux, au moins ceux avec qui le contact a été rare ou perdu pendant le confinement. Certains parents auront vraiment, à leur façon, fait « travailler » leur enfant et d’aucuns auront une grande fierté d’être les artisans des progrès accomplis alors que d’autres auront peut-être une culpabilité de n’avoir pas pu ou pas su. Tout cela les enfants le savent. Pour certains, ce sera un soulagement de remettre leur enfant à l’école ; pour d’autres, ce sera l’effet d’une contrainte lourde d’inquiétude. Une majorité de parents ont pu se vivre comme auxiliaires voire substituts de l’école ; en prolongement, certains seront peut-être plus attentifs et demandeurs que par le passé, plus compréhensifs aussi quant à la difficulté éprouvée de la tâche d’enseigner, et d’autres au contraire plus exigeants. Valoriser, tranquilliser, et garder le pilotage du parcours d’apprentissage, tel serait le bon positionnement. Refaire classe, c’est-à-dire réenclencher une vie de groupe pour que chacun apprenne, c’est la mission pour les semaines à venir. C’est aussi renouer avec une équipe au sein de laquelle les liens ont pu se distendre. Les conditions aujourd’hui font de l’école, après l’hôpital, le centre des interrogations mais aussi d’inquiétudes. C’est dire son importance pour la Nation. Gardons confiance dans notre professionnalité, l’éthique et les solidarités qui s’y attachent, dont nous ressentons l’importance comme jamais ; l’école maternelle a su et saura prendre soin, à tous égards, des enfants qui lui sont confiés .