Un atelier d'art thérapie en IME

Associer la santé mentale et la création, c'est aussi s'intéresser à ce qu'est l'art thérapie. Il existe différentes approches parmi les art thérapeutes.
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Média secondaire

Peintures de Catherine Le Badézet

Un atelier pour  laisser libre cours à son imagerie personnelle, dans un lieu dédié offrant un cadre rassurant. Par la médiation artistique, les objets créés deviennent des supports pour la mise en mots dans la rencontre avec soi-même, la matière et l’autre.  Ici, Catherine Le Badezet, art thérapeute en IME présente son travail d'accompagnement à partir de la création artistique.


L'IME (institut médico-éducatif) accueille des jeunes présentant une déficience intellectuelle quel que soit son dégré. Les jeunes peuvent avoir des troubles associés, qu'ils soient moteurs, cognitifs, psychiques. 

Le projet de l’établissement s’articule autour de différentes unités : éducative, enseignement, plateau technique ainsi qu’un espace thérapeutique et de soin, et un service d’accompagnement pour jeunes adultes.

L’ouverture d’un atelier à médiation artistique correspondant tout à fait à la nécessité de répondre aux besoins spécifiques de ce public en difficultés psychiques, par une prise en charge particulière.

La décision de la prise en charge des jeunes à l’atelier est discutée en réunion de synthèse par l’équipe soignante. Cette décision est prise en fonction des objectifs thérapeutiques institutionnels et du désir des jeunes. Des bilans réguliers en réunion clinique permettent d’évaluer et d’adapter la prise en charge. Ce dispositif me permet de questionner et repenser ma pratique à partir des données cliniques et références théoriques partagées et de la rendre plus professionnelle.

L’atelier est un lieu spécifiquement dédié à cette activité à médiation artistique et offre donc un cadre rassurant, où chaque création peut rester en toute confidentialité dans ce lieu suffisamment spacieux et clair, permettant à chacun de trouver sa place sans être dérangé par l’autre ou le regard de l’autre.

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Chaque séance se déroule en général en trois temps :

Au début de la séance, chaque jeune reprend son carton à dessin et retrouve le travail de la séance précédente. Ce temps permet à chacun de revoir son travail personnel et d’en reparler.

Le deuxième temps va amener chacun à poursuivre sa peinture, ou toute autre création (dessin, modelage, découpage, maquette…) ou à commencer une nouvelle production. 

La fin de la séance sera consacrée à l’observation des productions et un temps de parole institué d’une durée d’un quart d’heure s’en suit.

Il me semble important de préciser que malgré la trame ordinaire de ce déroulement de la séance, celle-ci peut être adaptée en fonction des besoins des jeunes, de leurs problématiques et de leur disponibilité, voire de la capacité de concentration du moment. Actuellement au regard des problématiques psychiques des jeunes que je reçois, la prise en charge est en majorité individuelle.

« Je ne veux plus que peindre ! » sont les paroles d’Aurélia quand elle est venue pour la première fois à l’atelier. Aurélia est une jeune schizophrène de 17 ans, accueillie dans un IME (Institut Médico-Éducatif). Son orientation est compromise, Aurélia refusant tout accompagnement scolaire, professionnel et psychologique.

Seule sa passion pour la peinture va lui permettre de s’identifier, reconnaissance par une image en miroir, de se reconstruire un corps, une identité.

L’art thérapie inscrit le patient dans un processus de soin grâce à l’utilisation des activités artistiques.

L’introduction de supports artistiques, comme ici la peinture pour Aurélia, peut offrir des voies possibles quant à leur construction identitaire et à leur ancrage dans le lien à l’autre.

Aurélia s’est tout d’abord mobilisée dans des autoportraits, où elle va petit à petit reconnaitre une part d’elle-même, elle dira : « On dirait un peu moi, c’est impressionnant ! ». La création de ces autoportraits, ces images « qui lui ressemblent », va permettre à Aurélia une représentation partielle d’elle-même et de s’y reconnaitre.

Dans l’art thérapie, le patient devient acteur de son travail de création, l’œuvre étant le lien entre le patient et le thérapeute. Une triangulation qui offre la possibilité de comprendre et de donner du sens à ses productions. Le patient est sujet de son travail, sous le regard du thérapeute.

Ce travail plastique va amener Aurélia à s’identifier par des visages, dans un premier temps, puis par la représentation d’une image corporelle ensuite, vers la quête d’une construction d’un corps entier. Aurélia s’est mise à la recherche de plus grand format de contre-plaqué pour se peindre « grandeur nature » dira-t-elle.

En Art thérapie le patient se familiarise petit à petit  à la découverte de lui-même, apprend à exprimer ses sentiments, à donner des couleurs particulières à ses émotions, en laissant libre cours à son imagerie personnelle.

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Ce travail pictural autour du corps va s’orienter vers la création de poupée, puis vers la représentation du corps dans sa taille réelle, au plus près de la réalité matérielle de son corps à elle…. comme son double.

Cette construction d’un corps à son image en miroir, comme dans ses peintures, a permis à Aurélia un travail identitaire certain, lui permettant une meilleure approche de la réalité extérieure. Une reconnaissance qui passera par la parole dans l’atelier, une parole inscrite dans une histoire reconstituée, un travail « d’auto-construction » en dynamique lui offrant une porte de sortie, un étayage identitaire possible.

L’art thérapie offre de nombreux bienfaits, physiques, psychiques, et donne la possibilité de matérialiser la problématique interne du sujet par la mise en forme du matériau proposé.

Au fil des années, dans le cadre de mon atelier, j’ai été témoin de ce processus thérapeutique de la médiation artistique, que ce soit par le dessin, la peinture ou le modelage, l’objet créé devient un support pour la mise en mots, une expression libre des émotions, dans un cadre de respect et confidentialité.

L’œuvre créée peut venir « parler » de ce qui ne peut se dire oralement et libérer un vécu traumatique. Emelyne a subit un inceste à 12 ans par son père. Après en avoir parlé à l’école, elle a été orientée dans un IME, alors que le père n’a pas été inculpé. Pour Emelyne, il devient évident que la parole peut être dangereuse ; dans son histoire, c’est elle qui a été punie, accueillie dans un établissement, loin de sa famille. Plus jamais Emelyne n’a reparlé de sa famille et son vécu. Par contre à l’atelier elle investit la peinture avec une interprétation bien à elle : elle choisissait des tableaux d’artistes avec des couples, les reproduisait « presque » à l’identique, seul le regard de la femme vers l’homme en disait long sur ses pensées et ses émotions… une manière bien à elle de dire : « Attention, je t’ai à l’œil ! ».

La création artistique permet d’exprimer des sentiments refoulés, des conflits intérieurs, des angoisses, de libérer des tensions ou un vécu traumatiques… L’art thérapie associe bien art et soin : ce qui soigne n’est pas tant l’objet créé mais le processus créatif dans lequel il s’inscrit et la rencontre avec soi-même, avec la matière, avec l’autre.

“ L’art thérapie consiste en un accompagnement de ces créations dans un parcours symbolique au service du développement de la personne vers un aller-mieux… ” 1

 

  1.  J.-P. Klein, « L’art-thérapie », Paris, coll. Que sais-je ? (2001), p. 126