Elles investissent fortement les relations avec la famille de leur partenaire (au risque de se retrouver isolées en cas de conflit), et décrivent un resserrement des activités et sociabilités au sein de la sphère domestique.
Être une femme en ruralité
Dans son ouvrage, la sociologue Yaëlle Amsel-lem-Mainguy fait un constat clair : les filles vivent des inégalités plus fortes que les garçons. Benoît Coquard disait déjà dans son livre Ceux qui restent, en parlant des femmes qui sont restées vivre dans les villages et les petites villes, qu’elles ont « [coupé] les ponts avec leur vie d’avant pour suivre leur conjoint ». Yaëlle Amsellem-Mainguy complète : « Elles investissent alors fortement les relations avec la famille de leur partenaire (au risque de se retrouver isolées en cas de conflit), et décrivent un resserrement des activités et sociabilités au sein de la sphère domestique. » Mais ce n’est pas le seul facteur de ce resserrement. Pour la sociologue, « la précarité du monde du travail qui les touche particulièrement (contrats en intérim sous-qualifiés, à temps partiel le plus souvent subi et en horaires fractionnés, longue distance domicile-travail) et l’isolement induit par les emplois qu’elles peuvent occuper (ménages, aide à domicile, aide à la personne, etc.) viennent encore renforcer l’importance que revêt pour elles la sphère domestique – sans que cela soit forcément synonyme de repli – dans les premiers temps de la vie professionnelle. » Et, une fois l’emploi trouvé, elles consacreront une partie de leur salaire à leurs parents et à la famille quand ils sont aussi précaires. Yaëlle Amsellem-Mainguy parle de contre-don, l’idée de « rendre l’aide perçue pendant l’enfance ». Cela passe par « remplir le frigo », « faire un plein d’essence », « acheter des vêtements pour les petits », autant de responsabilités qui nécessitent de savoir parfaitement gérer un budget. Malgré ces efforts, elles sont rarement remerciées pour leurs actions. « Les jeunes femmes participent tout autant que les jeunes hommes à la vie locale, mais leur participation demeure largement invisibilisée quand il s’agit d’emmener un petit au centre de loisirs, d’accompagner une personne âgée chez le médecin ou de préparer des madeleines et des gaufres pour la fête du village, alors que les jeunes hommes s’affairent sous le regard de tous en portant et construisant les barnums et les tablées. »
Yaëlle Amsellem-Mainguy
Seules face à la violence
Les jeunes femmes en ruralité sont également plus souvent confrontées à de la violence conjugale, et ont moins d’échappatoire. « L’enquête sur les violences envers les femmes (Enveff) a montré que la précocité de la mise en union était un facteur de risque important, parce qu’elle intervient souvent dans des situations de grandes difficultés sociales, économiques et familiales. » Ces jeunes femmes deviennent dépendantes de leur conjoint. Selon le sociologue Clément Reversé, « en cas de maltraitance ou de violence, l’échappatoire est rapidement difficile, voire impossible. D’autant plus dans un contexte où tout le monde se connaît, incluant les forces de l’ordre supposées prendre les plaintes. » Les associations et structures peuvent être une aide cruciale pour leur permettre de libérer la parole et de s’émanciper. Néanmoins, elles se trouvent souvent dans les villes, à des dizaines de kilomètres de chez elles, dans un contexte où la mobilité est déjà compliquée. La grande majorité d’entre elles n’a ni voiture ni deux-roues, et doivent donc « se caler sur l’organisation des autres (ceux qui ont le permis de conduire et un véhicule) ou des transports publics (essentiellement les cars scolaires) ». Victimes des stéréotypes de genre, d’invisibilisation, d’isolement, les jeunes femmes doivent redoubler d’effort pour un jour, être réellement indépendantes.