Jeunesses rurales : tisser du lien. Dossier
Qu’y a-t-il de commun entre un jeune originaire d’Auch qui étudie à Toulouse et une jeune femme sans travail qui habite Chollet et est
sortie précocement du système scolaire ? Pas grand-chose, et c’est bien la diversité des publics qui fait toute la difficulté d’accompagner et d’éduquer en milieu rural. Les acteurs et actrices qui interviennent dans ce dossier le disent à leur façon : s’adapter, prendre le temps de connaître le territoire en en resserrant progressivement les mailles – souvent très larges, jusque 400 km2 à couvrir pour certain·es professionnel·les –, provoquer les rencontres est une nécessité quand on opère en dehors des grands centres urbains. « On ne peut pas avoir de certitudes. Il faut sans cesse expérimenter, s’évaluer et s’adapter. Et il arrive que quand on fait le
bilan, il faille reconnaître modestement que la solution imaginée ne marche pas et qu’il faut chercher d’autres pistes », explique Damien Lulé, responsable de formation au sein des Ceméa du Maine-et-Loire et coordinateur de deux espaces d’accueil. Une démarche bien connue de l’éducation populaire qui passe par la co-construction, le dialogue et la volonté de ne surtout pas s’enfermer dans une position de sachant.
Le dernier kilomètre
Alors que les politiques publiques pour la jeunesse et la ruralité peinent à atteindre le dernier kilomètre, les acteurs de l’éducation populaire et de l’animation mais aussi du soin sont sans doute ceux qui sont au plus près des jeunes, tout en déplorant de ne pas l’être suffisamment. La Maison des adolescents d’Angers a ainsi ouvert plusieurs antennes dans le département (voir p. 46), et multiplie les interventions à différents moments de la semaine et de la journée pour créer ces points de contact. « Les Points accueil écoute jeunes (Paej) sont pensés comme une porte d’entrée généraliste, explique Marie Marvier, psychologue. Car ici un jeune qui cherche quelqu’un à qui parler, n’a pas, comme dans les grandes villes, plusieurs portes auxquelles frapper. » Ce qui explique aussi que « les accueillants ne se définissent pas ici par leur métier ou leur fonction mais par leur prénom. On n’oublie pas notre métier, et on ne se substitue pas non plus à d’autres mais on est là avant tout pour écouter. Et c’est seulement ensuite qu’on oriente le jeune vers la structure qui pourra répondre à son besoin. » Santé mentale, précarité, vie affective et sexuelle, orientation et insertion, culture, international et mobilité, etc., les besoins d’accompagnement sont multiples en matière d’accès aux droits, ce qui place la barre haut en termes de compétences professionnelles. « Dans notre métier, il faut être très curieux, en capacité d’apprendre sans cesse et de s’adapter à son public », explique Elie Gaboriau, permanent du MRJC d’Anjou, une association d’éducation populaire animée par les
jeunes et pour les jeunes. Cette polyvalence va d’ailleurs parfois à contre-courant des politiques publiques. Comme l’explique Tana Stromboni, chargée d’études et d’évaluation à l’Injep : « au plan des pouvoirs publics, on se retrouve souvent avec des politiques sectorielles et non coordonnées, ce qui rend compliquée une action globale et intégrée en direction de la jeunesse. »
Se coordonner, assurer la continuité et la complémentarité de l’accompagnement, tel est donc l’enjeu pour ces militants et militantes qui se battent chaque jour pour que chaque jeune puisse trouver les clés de son émancipation. C’est l’approche du Collectif 49 qui en mars dernier réunissait des professionnel·les de l’animation, des directeur·rices, coordinateur·rices de structures, des conseillers et conseillères en éducation populaire et jeunesse et des élu·es. « Un moment important pour se faire une culture partagée, s’enrichir de nos échanges. Et faire connaissance ! Car c’est bien plus facile ensuite d’adresser un jeune à une personne avec qui on a discuté autour d’un café », souligne ainsi la psychologue Marie Marvier (voir p. 46).
Sortir de l’assignation sociale et territoriale
Au-delà de la diversité des situations, des problématiques communes traversent néanmoins ces jeunesses, comme en témoigne l’appel à projets « Agir auprès de la jeunesse en milieu rural » porté par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) entre 2019 et 2024. « Trois axes ont structuré cette expérimentation, explique Tana Stromboni : encourager et accompagner les jeunes résidant en milieu rural à créer des activités sociales et économiques et porter des initiatives sur leur territoire ; favoriser l’accès des jeunes aux services de proximité en matière de santé et de prévention des conduites à risques notamment en direction des jeunes femmes, les plus isolées socialement et/ou géographiquement et donc les plus vulnérables ; et favoriser la mobilité et la socialisation des jeunes ruraux ». Trois axes pour permettre à chaque jeune de sortir de son assignation sociale et territoriale, et s’autoriser à se mouvoir dans l’espace social et géographique, autrement dit, à s’émanciper.
Retrouvez dans ce dossier :
Éclairage : Et on fait quoi maintenant ? Grâce au tissu associatif qui maille le territoire, des jeunes trouvent des espaces pour se poser, prendre soin d'eux et parfois imaginer des projets ensemble, par Laurence Bernabeu
Reportage : Une maison à la campagne, par Philippe Miquel
Repère : Être une femme en ruralité, par Elia Munoz
Interview de : Clément Rerversé, sociologue à l'Université de Toulouse, par Laurence Bernabeu
3 questions à : Marie Marvier - Autorisons-nous à recréer du lien social en prenant notre place, par Laurence Bernabeu