Plus libres d’inventer leur façon de faire avec leurs enfants, les parents sont aussi plus anxieux. On peut choisir de les culpabiliser ou de les soutenir.
Être parent en 2024. Dossier
Qu’est-ce qu’être un bon parent ? C’est un des sujets favoris des dossiers que l’on trouve en kiosque et qui assaillent les parents d’aujourd’hui. Les réseaux sociaux, la télé et la presse magazine se jouent de cette angoisse qui enfle et qu’alimente un marché du coaching parental florissant. Si chacune et chacun se rêve en parent idéal, cet amour narcissique défini par Freud était auparavant limité par une contrainte sociale forte où il n’était guère possible d’inventer son propre chemin (voir à ce sujet l’interview du sociologue François de Singly, VEN 588) et donc sa façon à soi d’être parent. Alors qu’encore au milieu du XXe siècle, il fallait reproduire le modèle parental, le parent d’aujourd’hui, en voulant faire « les bons choix », se questionne et est anxieux. Pour les nouveaux coachs en parentalité, ces inquiétudes – contrepartie à la liberté individuelle récemment conquise – sont un terrain propice à un marché qui fait miroiter l’existence d’une parentalité parfaite, faite de recettes aussi diverses que contradictoires. Et qui privent les parents de leurs propres compétences.
C’est à ces parents-là que les co-éducateurs et co-éducatrices d’aujourd’hui ont affaire. À l’école, en centre de loisirs, en colo, dans les lieux d’accueil enfants-parents, comment leur redonner confiance dans leurs capacités ? « La co-éducation suppose, dans l’intérêt des enfants, que les adultes soient respectueux les uns et des autres et si possible fassent alliance », explique Daniel Coum, psychologue clinicien (p42). Pour le psychologue, assistantes maternelles, animatrices et animateurs ou personnels de l’enseignant ne sont pas là « par défaut, pour pallier un déficit parental », mais bien pour prendre la place qu’il leur revient d’occuper auprès de l’enfant, avec les parents. « Nous n’intervenons pas en remplacement ou en suppléance, mais parce qu’il y a nécessité d’un partage de l’enfant, au sein d’un réseau social qui prend en charge la responsabilité de l’enfant. » (p45) L’éducation, quand elle se conjugue au pluriel, permet à l’enfant de se construire, de tisser des liens avec une diversité d’adultes, de s’éloigner de son port d’attache mais aussi à l’adulte de devenir parent.
On ne naît pas parent, on le devient
Se séparer, toute une affaire ! À la crèche, à l’école maternelle, au pied du car qui conduit vers le centre de vacances, les larmes coulent parfois sur les joues des enfants et des parents. Ex-ducere, c’est « conduire hors de », c’est sortir de sa zone de confort, mais c’est aussi nourrir l’élan d’ouverture au monde, sur l’ailleurs. « Aucun parent n’accepte facilement cette séparation mais le surinvestissement actuel de l’enfant rend encore plus difficile cette séparation », ajoute Daniel Coum (p 44). Parmi les facteurs qui expliquent cette mutation, la possibilité de choisir si et quand on devient parent, conquise avec la mise sur le marché de la pilule contraceptive en 1967. « L’enfant devient alors l’objet d’un investissement inégalé, favorisant une relation fusionnelle », explique le sociologue Gérard Neyrand (p30 à 35). À quoi il faut ajouter le nombre de divorces qui mettent l’enfant au centre, alors qu’auparavant c’était l’institution du mariage qui faisait famille. C’est aujourd’hui l’enfant qui fait famille, au point que les politiques familiales, depuis les années 90, ont placé les questions de parentalité au cœur de leurs dispositifs. Comme si la parentalité était devenue problématique et n’allait plus de soi. « Cette difficulté à être parent a été reconnue officiellement en 1998 quand la Délégation interministérielle de la famille a travaillé sur les dispositifs d’appui à la parentalité », rappelle Daniel Coum (p42). On reconnaît alors pour la première fois qu’il est difficile d’être parent.
Les petits gestes, les attentions anodines portées aux parents dans les moments de transition, sans jugement, sont aussi importantes pour les enfants.
À quels besoins répondent alors les dispositifs de soutien à la parentalité qui se déploient sur le territoire depuis une vingtaine d’années ? Qu’est-ce qui fait le parent d’aujourd’hui, sa particularité ? Les articles qui suivent – Dossier Être parent en 2024 – soulignent le désarroi, la montée des incertitudes parentales, mais aussi cette chance de pouvoir inventer sa façon à soi d’être parent et de trouver ses propres ressources. À condition toutefois de sortir de l’isolement. Accueillir, écouter, favoriser le dialogue entre parents, c’est ce qui s’élabore dans les lieux d’accueil parents-enfants (p36) et les cafés des parents. Accompagnantes et accompagnants y favorisent l’expression des parents et leur entraide, leur permettant d’inventer « des solutions ensemble, de parler de ce qui les rapproche, de leurs expériences communes, de partager leurs vécus et d’apprendre les uns des autres ». Mais pour cela, encore faut-il consentir à sortir du jugement pour faire avec les richesses et les manques des parents comme les siens propres.
Retrouvez dans ce dossier :
Éclairage : Le désarroi parental contemporain, expression de la montée des incertitudes, par Gérard Neyrand
Reportage : Être parent mais pas que… Des parents en quête d'émancipation dans un lieu d'accueil parent enfant au cœur des Alpes-Maritimes, par Laurent Bernardi
Reportage : Le CLAS après la classe. À Pont de Claix (38), un accompagnement à la scolarité, après l'école, sans faire école, par Jean-François Trochet
Interview : « La parentalité se partage » rencontre avec Daniel Coum, par Laurence Bernabeu
3 questions à : Marie Canavesio, Animer un café des parents, par Krist Daniella Nziengui