LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Se former en groupe, c'est mieux!

Le rôle du groupe dans un parcours de formation demeure un élément essentiel et d’une grande actualité
Média secondaire

À l’heure du distanciel, du tout numérique et d’une réforme de la formation qui fragilise les parcours longs et la promotion sociale, rappelons en quoi l’existence d’un groupe dans un parcours de formation demeure approprié et d’une grande actualité. Celle-ci est d’ailleurs visible à travers les travaux les plus récents des sciences cognitivistes et même confirmée par les neurosciences. Il en est ainsi de la formation professionnelle dans l’animation. Travailler sur et avec le groupe en formation revêt, dans ce cas, trois caractéristiques particulièrement pertinentes dans le parcours de formation professionnelle d’animateurs et d’animatrices. La première d’entre elles est marquée par l’intérêt que constitue le groupe dans l’acquisition de compétences spécifiques transposables immédiatement en termes professionnels. La deuxième, est constituée par le fait que la dynamique des groupes est un élément de contenu de la formation d’un animateur ou d’une animatrice. Il ou elle agit principalement à partir de groupes constitués ou en cours de constitution. La dernière renvoie à l’intérêt intrinsèque de l’apprentissage socialisé.

Définir le groupe

Selon Dominique Oberlé 1, deux grands types de liens internes constituent un groupe. Le premier est imaginaire. « C’est parce que les désirs et les rêves des membres entrent en résonance que le groupe se forme. » Le second dérive de la « technique, de procédés ou de savoir-faire partagés. Ils créent des liens fonctionnels entre les personnes ». Cet enchevêtrement de dimensions débouche sur l’adhésion à des valeurs communes et donc à la production des normes. Le groupe se définit également par sa relation avec l’extérieur. Tout groupe se définit (identité, raison d’être, fondement) dans son rapport avec les autres groupes à travers la confrontation, la comparaison et les évaluations qui en découlent : on est toujours « le meilleur groupe ! » Les travaux de Kurt Lewin 2 ont également mis en évidence l’interdépendance des individus dans les groupes. Le groupe est évidemment constitué par la somme de ses membres mais aussi par son but, ses valeurs, ses modalités de communication, ses statuts. Il existe dans une interdépendance avec l’ensemble de ces composantes. Il en résulte une influence interne renforçant la normalisation des comportements individuels de ses membres. Celle-ci exerce une pression de conformité qu’il est souvent difficile de contrecarrer et qui peut conduire à une forme de pensée unique. Serge Guimond 3 identifie trois modèles de formation des groupes. Le modèle utilitaire qui renvoie à la satisfaction d’un besoin d’affiliation à la nécessité d’avoir des contacts avec les autres – on se sent moins anxieux, en allant passer un examen, de s’y rendre avec un groupe de pairs. Le suivant est celui de la cohésion sociale, selon lequel l’attraction interpersonnelle est déterminante dans la formation du groupe. Il peut, par sa force de cohésion, favoriser la production du groupe. Ici, c’est la qualité de membre d’un groupe qui permet la mise en mouvement, les injonctions extérieures étant de peu d’effet. C’est ce qui permet, lorsqu’un groupe fonctionne, d’amener chaque personne, quel que soit son niveau, à aller plus loin que dans le cas d’un parcours solitaire. Le modèle de l’identification sociale constitue le troisième modèle où l’ordre des choses serait inversé et les groupes se formeraient non à partir des gens que l’on aime, mais parce qu’on aime les gens qui font partie de notre groupe. La formation du groupe aurait donc pour origine la formation de l’identité sociale.

Groupes et formation

Lev S. Vygotsky 4 a, parmi les premiers, montré l’importance des interactions sociales dans la construction des processus cognitifs et l’acquisition des connaissances.

« Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours du développement de l’enfant : d’abord comme activité collective, et donc comme fonction interpsychique, puis comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l’enfant et comme fonction intrapsychique. »

Pour lui, le langage est le médiateur privilégié du passage de l’intériorité de l’activité cognitive vers l’extériorité. Cette explicitation permet, à travers une négociation socialisée, un retour sur soi favorisant la métacognition.

Cette façon de concevoir l’apprentissage tend à prouver qu’il est préférable de susciter le travail de groupe de façon coopérative car les apprenants, placés en situation d’expliciter leurs démarches, sont susceptibles de faire évoluer leurs représentations et de construire de nouvelles connaissances.

Etienne Bourgeois et Jean Nizet 5 développent la question de la coopération dans l’apprentissage. À partir de la théorie du conflit sociocognitif qui résulte de la confrontation de représentations sur un sujet provenant de différents individus en interaction, ils pointent les composantes de ce type d’apprentissage et leur intérêt. Il semble, en effet, que les apprentissages complexes soient particulièrement facilités par les interactions entre pairs, il s’agit donc de les favoriser, voire de les provoquer.

Dans une formation longue, les connaissances théoriques et méthodologiques, les savoir-faire de l’action et les savoir-être de la personne sont simultanément concernés. Les évolutions de chacun ne se produisent pas de manière linéaire, chacun chemine en fonction de son degré de maturation et d’acceptation du processus de transformation. 

Cette diversité d’évolutions se retrouve aussi au niveau des groupes que sont les promotions de stagiaires. Elles constituent l’un des creusets d’appropriation et de modification des savoir-être. C’est sans doute cet axe de formation que sont les savoir-être qui est le plus lié à la durée de la formation, car il nécessite du temps, des périodes d’avancée et de replis, de mise en doute et de confirmation. « La promotion en tant qu’espace culturel inscrit dans le temps va permettre le travail de maturation du groupe et celui du rapport de chacun au groupe. Individuellement chacun pourra s’approprier cet espace collectif dans lequel l’articulation « Je » (stagiaire), « Nous » (groupe en formation) aura trouvé la bonne distance »6.

Le parti pris de finaliser la formation pour des transformations sur le terrain professionnel et pour la personne qui se forme oriente les choix pédagogiques. Il s’agit alors de mettre l’essentiel de l’organisation pédagogique en phase avec ces intentions. La pédagogie de la formation ne se centre pas exclusivement sur les modalités d’acquisition des différents savoirs, mais sur la création des conditions qui permettront de favoriser les transformations souhaitées.

Une telle conception de la pédagogie de la formation porte donc sur l’ensemble du cadre de formation dont un des éléments essentiels est constitué par le groupe de stagiaires et son activité

1. D. Oberlé, «Le groupe en psychologie sociale», in Sciences Humaines 94, mai 1999, pp 20-25.

2. K. Lewin , Psychologie dynamique, Puf, 1964.

3. S. Guimond, « Les groupes sociaux», in RJ Vallerand, Les Fondements de la psychologie, Gaëtan Morin, 1994

4. Lev S. Vygotsky, Enseignement et développement mental, B. Schneuwly et J.-P. Broncart (dir.), Vygotsky aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, 1985.

5. E. Bourgeois et J. Nizet, Apprentissage et formation des adultes, Puf Paris, 1997.

6. G.Millerioux, « La Formation action » in Ven hors série : Pour une formation au service du développement social. Pp.26-45. 1991


Vers l'Education Nouvelle (n°576, octobre 2019)

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