L’écrit, du sauvage au domestique
Image par Andrys Stienstra de Pixabay
On considère souvent de nos jours que l’écriture créative est un domaine réservé à une minorité de personnes. Parce qu’on en a une image magnifiée et que l’on pense que ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir créer avec des mots. Il y a des a priori tenaces qui ne mettent en avant que des freins (orthographe, grammaire, sens, vocabulaire) alors qu’il existe des approches plus ludiques qui permettent à tous et toutes de vivre des situations plaisantes de rapport avec la langue écrite. Et le désir est là pour peu qu’on l’autorise et qu’on lui donne des billes. Il est nécessaire de multiplier les occasions à travers une palette de propositions simples à appréhender par chacun et chacune. Et cela devient une activité de loisir prisée comme les autres.
L'écrit aujourd'hui possède une bien mauvaise image, illustration terriblement réaliste d'une réalité naufragée, d'un quotidien où écrire est un supplice pour beaucoup, où l'idée même de créer de l'écrit échappe à l'esprit de nombre de personnes, quel que soit leur parcours, où le désir ne se manifeste jamais, sinon dans l'obligation ou sous le joug des circonstances...
Il faut dire que la coutume ambiante, l'habitude, ne les y aident pas beaucoup. En effet, il est de bon ton d'ouvrir l'espace créatif littéral par des propositions larges et pas aidantes du tout, qui laissent les gens en difficulté en rade, en noyade, en rage... plus l'ouverture est large, plus elle augmente l'angoisse de la page blanche, plus elle plonge l'écrivant dans une eau glaciale, paralysant toute velléité plumitive. La palette des possibles, le nuancier des sollicitations se doivent de comporter leur part de contraintes, leur lot de rassurances, c'est la seule solution pour échapper à l'empêchement de faire texte et sens. Suer sang et eau pour parvenir à produire ne serait-ce qu'un balbutiement phrasé n'a jamais favorisé l'apprivoisement de la langue et sa transcription écrite. Les ateliers d'écriture, pour beaucoup d'entre eux, proposent une approche trop sauvage de l'acte d'écrire, une approche par le ventre à travers un « je » dangereux, une accroche faite de propositions reposant sur une aisance supposée des participants, voire sur une maîtrise affirmée de l'écrit, ou alors a contrario, ils offrent des propositions trop XXL, trop vastes, trop « au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau » (Baudelaire : le voyage), trop avalantes, engloutissantes, paumantes qui conduisent les participants à abandonner leurs mots en cours de route et les précipitent dans les affres d'un éloignement et d'un glissement progressif du plaisir (film d’Alain Robbe-Grillet) d'écrire (Robbe Grillet a fait des choses pas trop mal avant de dire et d'écrire un paquet d'absurdités gulliveriennes, vénéneuses et peut être vénériennes). La démarche que je défends s'appuie sur un postulat d'évidence qui montre que plus l'écriture est loin (en apparence) de soi, plus il est facile de se laisser aller aux mots en toute liberté. Tenir le « je » à distance, accepter aussi qu'il s'immisce, mais le repousser lorsqu'il se fait pressant, et cueillir matière dans l'ici et l'ailleurs, dans l'autour et l'alentour, creuser le terreau des écrits et de leurs supports (il y en a partout de l'écrit à triturer, tisser, recopier, emmêler, trahir...). Dire non également à toute tentative d'intimidation des empoisonneuses de la création littéraire, à savoir : l'imagination et l'inspiration, les deux soeurs boxeuses d'authenticité. Leur interdire l'invasion virale de l'esprit.
Je propose un premier palier où il s'agit d'écrire « avec les mots des autres », de partir à l'aventure, d'agir également, c'est à dire de cutteriser, de découper, de déchirer, de caviarder, de coller, sans jamais dans un premier temps écrire un seul mot. Ouvrir au scalpel, recueillir la mousse qui pousse sur l'engrais richissime de ce qui existe, et opérer pour faire jaillir et saisir le jet des geysers d'un quotidien où « l'infraordinaire » si cher à Perec se fait Graal à foison.
Premier palier où il est nécessaire de dépasser l'illusion poudrauyeuesque du : « j'sais raconter des histoires, j'ai quequ' chos' à dire, alors j'sais écrire ».
S'il suffisait d'inventer pour savoir écrire, cela se saurait ! Justement, il est primordial de ne pas inventer pour pénétrer dans l'univers de l'écrit. Il est utile de se débarrasser de tout ce qu'on a appris, de revenir à la nudité lisse, à une virginité es mots, à un dépouillement extrême pour être libre de ses mouvements de plume. À la poubelle l'orthographe, la syntaxe, et toutes les notions grammaticales, à la déchetterie tous les freins empêcheurs d'écrire en vrai...j'entends déjà les défenseurs d'une norme et d'un cadre rigoureux bondir... attendez un peu s'il vous plaît avant de réagir ! En effet, je mets plus haut que tout le strict respect de ces règles (qui sont contraintes) mais il faut convenir qu'elles s'érigent en herses, qu'elles décontenancent chacun, qu'elles découragent les envies lorsqu'elles sont préalables à l'acte d'écrire, elles sont pré-censures trop péremptoires. Et leur péremption INTERDIT d'aller plus loin, alors on ne va pas plus loin « ...Faut laisser faire et c'est très bien... » (avec le temps de Léo Ferré). On reste à la ligne, on ne dépasse pas, on va pas dans la marge, pass'que...
Ces règles, il est largement temps de les faire revenir dans l'huile de pensée, quand les mots sont sur la page et attendent qu'on les lisse, qu'on les apprête avant d'être donnés à lire.
Laisser sortir la langue de ses gonds
L'aval prime sur l'amont. Et il n'y a pas que les R G de la langue qui gênent les hors mots, il y a les lices qui bornent le bon, le beau langage, le style, alors que « ton style c'est ton...coeur, c'est ton coeur » (Ton style de Léo Ferré) , et c'est surtout ce que chacun est capable d'apprivoiser en lui de ses particularités, particularismes personnels et autres veines sensitives, son solfège intime, loin de tout académisme. Hors du rang, c'est déserter qu'il est urgent d'agir, c'est bousculer toute référence aux équations abortives du réel, c'est redonner de la place, du sens à ce réel qui fulmine, qui tempête, qui pétarade, qui piaffe d'une impatience à jaillir textes et désir en geysers. Ouvrir les espaces, accoster dans les fjords de la sève interintraextraje, s'éloigner de l'histoire, du discours abracadabrant harrypotterisé (il n'y a qu'une seule autrice de ce verybestseller), mettre de la distance, des océans, des mètres cube d'eau entre ce qui est, ce qu'on en dit, et cette espèce de forfaiture incarnée par la mise en abyme de l'imaginaire, l'imaginaire est là oui, mais dans la fantastique aventure d'un ordinaire à démesurer, à charcuter, à fouiller jusqu'aux viscères, à sarcler, à labourer, à défoncer, à maraver, bouillaver, gnaver, faire exploser, éclater... la t’chave pour que s'étalent à la « une » de la page des morceaux d'écrits, des bouts d'arpèges, modestes traces d'une richesse exceptionnelle, irremplaçables témoins de ce qui se passe, peut se passer, est possible, est palpable (quelles que soient l'intensité et la forme de la palpation).
Il faut que ça palpite, que ça grouille, que ça fourmille, que ça remue dans les têtes pour que de ce foisonnement viennent mots et traces visibles de ceux-ci. Alors il faut chercher des ingrédients un peu partout (hypermarché, gare, bâti, rue, chambre, trousse, école, piscine, sur la pierre, à la surface de l'eau, dans les rayons, dans les paroles ici et là...) et laisser sans réfléchir (c'est une condition sine qua non pour produire du texte, et cela passe par un travail réel de désapprentissage de la réflexion, un apprivoisement du déréfléchi !) aller les mots se transcrire, comme ils viennent, comme ils se présentent (par la tête, par le siège) sans chercher à les ordonner absolument (il faut se garder de la militarisation de l'écriture !), car le désordre aligne les mots dans sa version à lui, belle partition éphémère qui dure, ne meurt jamais, mémoire vive d'un sire présent. Nul besoin de forceps ou de césarienne pour donner à lire, au loin la soit-disante douleur de l'écriture, la loi qui affirme qu'il faut souffrir pour écrire, travailler...Le travail est en amont, bien en amont, dans la lente maturation de ce qui touche, ce qui s'imprime, ce qui bouscule, ce qui insignifie, dans le mûrissement intime, je devrais dire le pourrissement des matières jusqu'à donner un nectar de prestige, un vin d'une finesse inimitable, intarissables vendanges ! Et les mots se pointent, rappliquent, affluent, défoncent l'hymen intouché du corail empêcheur de mots. ET L'EXTRAORDINAIRE, C'EST QUE TOUT LE MONDE, JE DIS BIEN TOUT LE MONDE PEUT Y PARVENIR (IL EN A LE DESIR ET LES POSSIBILITES). C'est bien cela l'essentiel, l'accessibilité extrême de cet accostage pour chacun, le facile (ou plutôt le non difficile) des mises en situation, des invitations à un voyage dépaysant parce que jamais vécu, puiser dans l'quotidien des munitions pour affronter un inconnu incommensurable, démesuré, dont on n'a aucune idée, aucune représentation avant de s'y aventurer. Accepter que ce que nous portons comme poésie en nous, nous sommes capables de l'écrire en entier ou en morceaux, nous sommes en état de le jeter nu sur la page à chaque instant, en toute occasion, quand il nous vient le désir d'y aller...accepter que ce qui nous freinait jusqu'alors, nous le midassions (le roi Midas changeait tout ce qu’il touchait en or) peu à peu, car c'est de l'or que nous avons en la forteresse de notre langue, il nous reste à le rendre liquide, à le laisser s'épancher le long de nos pensées.
Reprendre une idée de peinture littérale et raire agraire aussi et également une idée d'instantanés signes notés en direct quand ils viennent sans rejet sans censure sans éclat sans éclaboussure comme ils viennent se pressent se signalent autopsies de pensées barbares ou magnifiques de saveurs peut être de la littérature moléculaire avec pollen oulipien juste une conjonction de salves de fulgurances anticipant l'agonie de chacun des mots la subtilisant juste avant leur fuite reprendre encore l'idée d'accepter que ce que ça donne est construit préconstruit dans la tête la pensée pas de carbone de l'inédit à chaque fois que ce que ça donne raconte quelque chose toujours même si en apparence dans le superficiel que l'instant marque on dirait de l'eau de mot issue d'une fontaine d'un robinet reprendre l'idée que ces textes sont des textes et même la seule invention à la minute antimode le seul remède à l'imagination brute qui ne conduit qu'au même livre sans cesse reprendre l'idée que ce qui part sur la page vaut le coup que c'est l'essence exacte du mot par excellence l'idée de laisser vomir la penser de la laisser se dégueuler proprement quand elle en a le désir reprendre l'idée d'une intoxication chronique de la simple idée de création il n'y a création poétique qu'à partir du moment où le langage est spontané débarrassé de toute réflexion tout apartheid parasite je dis bien création poétique et non crachat répétitif cloneur et cloné à volonté j'aime l'idée que la seule réalité d'un texte poétique nous la devons au fait qu'il est abrupt et non trituré tripoté par un abus incisif intrusif de réflexion transformeuse d'expérimentations scientificoanthropoformelles tout autre production poétique n'est que pure illusion mystification manipulatrice de lecteurs victimes j'ai des mots défoncés des mots ellessdés des mots qui se déversent se jettent se déchirent s'affichent poussent disent qui sentent bon mauvais qui sont juste sont faux sont dénaturés qui sont étripés désossés cabossés troués des mots ruinés récifs des mots gorgés dégorgés mal soignés des mots qui sont mignardits liquéfiés liquides ou incassables