Les évolutions à l'œuvre aujourd'hui en Nouvelle Calédonie

Pour étudier et analyser les évolutions à l’œuvre en Nouvelle-Calédonie, il semble important et même primordial de partager des éléments objectifs afin de tenter de dégager les tendances actuelles et d’identifier des enjeux généraux et des perspectives réalistes.
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Le vote (qui a connu une très forte participation) décidé par l’accord de Nouméa pour le référendum sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie a eu lieu le 4 novembre 2018. Et si le résultat a vu une victoire du non (qui maintient un certain statu quo dans l’île), il n’en reste pas moins que la situation évolue et peu à peu le déséquilibre entre les parties en présence tend à se réduire. Le débat fait rage et la situation va sans aucun doute être amenée à évoluer dans les mois et les années qui viennent.

Le contexte

Défaut principal de nos sociétés insulaires, l'isolement, et tous ses corollaires : nombrilisme, orgueil, étroitesse de vue, enfermement, mais aussi vitalité des structures traditionnelles dans l'adversité de la mondialisation, propension à l'innovation sociale et à la transformation originale de l'environnement... C'est la raison d'être des Ceméa dans les territoires où ils s'expriment et donc l'essence même de la création de Pwärä Wäro en 1996. Pour introduire les évolutions à l’œuvre aujourd'hui, il nous semble important de partager des éléments objectifs afin d'en produire une analyse, pour tenter de dégager des tendances et identifier des enjeux généraux.

Le Pays d'outre-mer (Pom) Nouvelle-Calédonie est toujours un territoire français régi par un statut sui generis, défini en 1998 entre l'État, le Rassemblement Pour la Calédonie dans la République (RPCR), parti politique aujourd'hui disparu, et le Front de libération nationale kanak et Socialiste (FLNKS), « outil de lutte » de quatre « groupes de pression » indépendantistes, les deux groupes politiques représentant la population calédonienne. L'accord de Nouméa nous propose depuis 1998, le transfert irréversible de compétences dévolues à l'État, en sus de celles héritées des accords de Matignon, signés en 1988. La phase institutionnelle commencée en 2014, est définie dans le point 5 de l'accord de Nouméa : Au cours du quatrième mandat (de cinq ans) du Congrès, une consultation électorale sera organisée. La date de cette consultation sera déterminée par le Congrès, au cours de ce mandat, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.Si le Congrès n’a pas fixé cette date avant la fin de l’avant-dernière année de ce quatrième mandat, la consultation sera organisée, à une date fixée par l’État, dans la dernière année du mandat.La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité. Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie. Le résultat de cette consultation s’appliquera globalement pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global. L’État reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d’une complète émancipation.

Le recensement effectué en 2014 dénombre 268 767 habitants. Un peu moins de 50 % de la population a moins de trente ans, cependant elle vieillit et sa structure tend vers les caractéristiques des sociétés les plus « avancées », avec un resserrement de la base de la pyramide des âges. Plus spécifiquement, des premiers temps de la citoyenneté moderne, 1956, à la signature des accords de Matignon en 1989, elle passe de 68 480 unités, à 164 173, jusqu'à 268 767 en 2014 ; 52 % de la population est d'origine océanienne dont 40 % d'autochtones kanak ; 30 % de la population est d'origine européenne. Nouméa (40 % de la population totale) et sa périphérie drainent régulièrement du nord et des îles une forme d'exode rural « traditionnel » : les deux tiers de la population totale vivent dans la zone. Ce phénomène est accentué par les nouvelles grandes implantations industrielles qui participent cependant à la redéfinition de nouveaux pôles économiques dans le pays. L'histoire contemporaine induit que plus de 2 % de la population totale n'est pas native du pays ; 15 % vient de France ou des Dom et 4 % des territoires français du Pacifique. Ces populations sont également concentrées dans le sud, autour de et dans Nouméa. Pour comparaison, en France, plus de 7 % de la population n'est pas native ; en Polynésie française, 87,2 % de la population est native et 9,5 % est née en métropole. Le Pom s’étend sur 19 060 km2 soit 12 habitants au km2. À titre de comparaison, on compte 8 680 km2 et 305 674 habitants pour la Corse soit 35 habitants au km2 ; 1128 km2 et 391 700 habitants pour la Martinique soit 347 habitants au km2 ; 374 km2 et 212 600 habitants pour Mayotte soit 568 habitants au km2. La plongée dans le XXIe siècle et les aspirations ne semblent pas induire un œil neuf sur les nouvelles concentrations de population et l'installation de nouveaux ensembles urbains, lesquels semblent souvent répéter des erreurs d'un autre siècle et d'un autre hémisphère. Le discours sur l'insécurité et les moyens de la contenir, se justifie par l'impérieuse nécessité de construction du « destin commun » inscrit dans l'accord de Nouméa ; 99 % de la population carcérale est océanienne et 96 % kanak.

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Un problème de santé publique. Plus de la moitié des habitants de Nouvelle-Calédonie (54,2 %) est en surpoids ou obèse. Ils ne sont que 30% environ à quelque 22 000 kilomètres de là, en métropole. Le constat est alarmant. D'autant plus que les Calédoniens sont touchés par cette maladie de plus en plus jeune. «L'obésité, souvent associée au diabète dans les îles du Pacifique, est un véritable fléau sanitaire, une réelle épidémie : « Chaque année, le nombre de diabétiques augmente de 6 % et le pourcentage de la population atteinte de surpoids ou d'obésité a une tendance lourde à s'accroître.» Les données officielles font état de 20 000 personnes diabétiques, soit un adulte sur dix, dont près de la moitié ignore son état puisque seuls 12 000 diabétiques sont suivis. En 2012, 42 % des enfants de douze ans étaient atteints par l'obésité.

Deuxième diagnostic pris en charge, le diabète et les multiples affections qui lui sont associées : insuffisance rénale, hypertension, maladies cardiovasculaires... soient 46 millions d’euros par an, à la caisse locale d'assurance maladie. Avec l'urbanisation et l'occidentalisation des communautés océaniennes, l'éducation physique traditionnelle n'est plus assurée. À l'échelle du Pacifique, la situation sur ce plan est similaire voire plus grave encore dans les territoires les plus urbanisés, et dépendants. De leurs aspirations à la reconnaissance depuis leurs accession à la citoyenneté après la Seconde Guerre mondiale, les Kanaks disposent aujourd'hui d'un outil institutionnel, le Sénat coutumier, muni d'un fonctionnement assuré par la collectivité, et de prérogatives diverses concernant l'identité kanak.

La compréhension de l’accord de Nouméa

La Nouvelle-Calédonie est un Pays d’outre- mer, en mouvement, qui suit un processus de décolonisation qu’est l’accord de Nouméa, accord intégré depuis 1998 à la constitution française. Cet accord permet au peuple français de reconnaître l’existence du peuple kanak en tant que tel avec ses pratiques sociales et culturelles et sa vision du monde. Ce peuple kanak est aussi inscrit depuis décembre 1986 à l’Onu parmi les peuples à décoloniser. Nous vivons depuis 2014 la dernière mandature de cinq ans prévue par l’accord de Nouméa. À la fin de cette mandature, les citoyens ne seront pas appelés aux urnes pour un simple oui ou un non à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Les citoyens seront appelés à s'exprimer sur les transferts des compétences régaliennes : justice, ordre public, défense, affaires étrangères et monnaie. Cette consultation signifie l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité. Nous espérons qu’ils seront appelés à voter pour ce qui leur semblera être en adéquation avec leurs aspirations, leurs espoirs, leurs rêves qui s’inscriront dans le concert des nations. La citoyenneté en Calédonie est particulière ; sont considérés comme citoyens celles et ceux qui répondent à des critères bien précis, inscrits dans la loi organique. Le débat du corps électoral est un sujet sensible et les interprétations des différents articles des deux tendances politiques ne favorisent pas la compréhension pour le simple citoyen. La manipulation des masses et le mauvais traitement des informations par les médias n'éclairent pas plus la population. Nous sommes le seul Pays à disposer de deux listes électorales et d'une troisième en cours de définition, en vue du corps électoral spécial de la liste référendaire. Nous assistons également à de nombreuses fraudes électorales.

Dans cette ambiance malsaine, nous avons à accompagner les plus jeunes dans l'exercice du droit et du devoir de voter car un bon nombre reste majoritairement abstentionniste. Nous avons aussi à les accompagner dans la compréhension de l'accord de Nouméa pour qu'ils ne restent pas spectateurs de la vie de leur Pays qui se dessine à vive allure.

À côté de cela, une grande partie des politiques publiques mises en œuvre ne font que répondre à une société de consommation qui poursuit sa croissance économique au détriment de l’émancipation humaine. Les enjeux de la mine sont au cœur des débats actuels entre indépendantistes et non indépendantistes, pendant qu'au gouvernement se dessinent les contours du projet éducatif de l'école.

 

Le Pays est endetté mais personne ne le dit ouvertement dans les médias. Par ailleurs, on parle des enjeux de la jeunesse car la population de la Nouvelle Calédonie est en partie une population jeune. Celle-ci n’est épargnée ni par la violence, ni par les problèmes sociaux et les échecs scolaires, qui frappent principalement Kanaks et Océaniens. Cela constitue un réel problème dans un Pays en construction – une nation en devenir s’il en était décidé ainsi. L’accord de Nouméa a été signé il y a dix-sept ans. Alors que certains en France parlent de VIe république, l'accord de Nouméa nous donne en Nouvelle-Calédonie cette possibilité de penser une autre société au regard des inégalités grandissantes, au regard des voix qui s'élèvent ici et de par le monde. Nous avons cette liberté à saisir, pour transformer notre société en lançant des lignes directives sur lesquelles travailler. L’enjeu aussi pour demain est clairement l’invitation aux politiques, au mouvement associatif, aux responsables, à la société civile à penser telle une communauté humaine qui a pour ambition principale la participation à l’éducation des générations présentes et futures. À penser également telle une communauté éducative qui se doit d'être inspirée des bouts de culture qui restent de la civilisation kanak. Les enjeux sont clairement l’éducation, la formation, la culture et la jeunesse.

 

Situer tous les enjeux du local à l’international

Nos enjeux se situent dans l’évolution politique et institutionnelle de notre Pays qui se définit par l’accord de Nouméa : « Il est aujourd'hui nécessaire de poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun » (article 4, §1 de l'accord de Nouméa).

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Notre responsabilité aujourd’hui, en tant que mouvement d'Éducation populaire et d’Éducation nouvelle c'est la capacité de mieux construire et organiser notre démarche issue des accords de Matignon et de Nouméa. Ces accords signés donnent le choix de la culture kanak, cadre de référence d'une culture citoyenne, vécue comme lieu de prédilection, d'existence, de ressource, de lien de famille, de clan, de lien avec l'au-delà, au totem, à la terre, au firmament, à l'espace et à l'environnement végétal et minéral. Nous, militants Ceméa, sommes dans l'obligation légitime de développer une conception éducative et sociale de la culture kanak, respectueuse des origines individuelles et collectives, qui structure l'ensemble de la société, ouvre à la compréhension, à l'accession à de nouvelles connaissances et à de nouveaux comportements. Une conception de la culture comme manière de vivre, de penser le monde, de faire société et d'agir. Il s’agit d’affirmer la place de la culture kanak dans nos actions, de favoriser la rencontre des différentes populations, cultures, et générations tout en développant l'éducation à l'image et aux nouvelles technologies de la communication.

Structurer les actions jeunesse dans le pays

Cela nécessite un minimum de connaissance de l'histoire de son pays. En Nouvelle-Calédonie, le Sénat coutumier, cinquième institution de l'accord de Nouméa, représentant de l'identité Kanak a produit un document intitulé Le Concept générationnel.

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Le Sénat coutumier découpe le temps en vingt-cinq ans et commence à partir de 1850. La première génération se compose de celles et ceux qui sont nés entre 1850 et 1875, c'est la période durant laquelle le Kanak entre en dialogue avec l'autre, c'est la période de la colonisation – nous ne vous expliquerons pas ici les générations 2, 3, 4, 5. Ce document nous permet de savoir à quelle période de l'histoire nous appartenons. La génération 6 est celle de tous ceux qui sont nés entre 1975 et 2000. Cette génération se situe dans la période des accords de Matignon, de la guerre civile que l'on appelle « la période des événements », de l'accord de Nouméa et des grands projets industriels. Cette génération a comme première responsabilité d'être les aînés de la génération 7, née entre l'an 2000 et 2025. L’aîné porte une responsabilité particulière chez le Kanak comme dans toutes les cultures du monde. L’aîné est censé être une référence pour ses petits frères et sœurs, il est censé les aider et il doit les accompagner dans leur progression et participer à leur émancipation. C'est dans un positionnement d’aîné que nous nous projetons pour les vingt ans à venir.