Pourquoi est-ce si difficile? Episode 2
Dans l’article précédent1, nous avons cherché à comprendre pourquoi il était difficile de faire pratiquer des activités scientifiques. Une grande partie des réticences pointées tient à la définition de leur périmètre. La pratique de l’activité scientifique doit-elle valoriser l’aspect surprenant, même magique de ce qu’elle propose ou favoriser le désir de comprendre ce qui nous entoure par l’agir ? Doit-elle avoir recours à des animateurs ayant avant tout un bon bagage scientifique ? Pour tenter de répondre à ces questions, interrogeons-nous sur ce que la pratique d’activités scientifiques développe comme compétences chez le participant et ce qu’elle requiert de savoir faire de la part du formateur.
Ce que les activités scientifiques permettent de développer, de conforter

La pratique d’activité scientifique permet au participant de :
- Stimuler son sens de l’observation ;
- Développer sa curiosité ;
- Conforter l’émergence d’un raisonnement logique en sachant établir des liens entre ce qu’il observe, ce qu’il fait et ce qu’il sait ;
- L’aider à argumenter, qualifier ses propos à l’aide de données qu’il aura générées (l’expérimentation) ou auxquelles il fera référence (le savoir) ;
- L’inciter à devenir plus rigoureux, plus critique dans l’analyse objective de l’information reçue.
- Lui permettre enfin de mieux comprendre le monde scientifique et technologique si présent en ce début de XXIe siècle.
Bien entendu, les activités sportives, musicales ou culturelles telles qu’elles sont pratiquées aux Ceméa favorisent aussi l’émergence de ces compétences. La spécificité des activités scientifiques tient probablement au fait qu’il est plus facile de comprendre, d’investir la démarche scientifique en observant, réalisant des expériences simples centrées sur des objets physiques ou chimiques avec l’aide d’instruments générant des mesures objectives (une durée, un poids, une température, une vitesse, un niveau d’acidité) dont l’analyse sera relativement simple.
Vouloir se lancer sur des thématiques ayant pour objet le monde vivant est tout aussi passionnant mais plus complexe à mettre en œuvre si l’objectif pédagogique concerne la compréhension de la méthode expérimentale.
En effet, comparé au monde inerte, les résultats générés sur un sujet appartenant au monde vivant sont plus fluctuants en lien avec sa complexité et le fait que l’interaction entre l’expérimentateur et le sujet de l’expérience peut conduire à des biais expérimentaux. Cela ne veut pas dire que seuls les sujets scientifiques traitant des sciences dites « dures » ne peuvent bénéficier de l’apport de la méthode expérimentale souvent désignée par le sigle OHERIC i.e. Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion.
Simplement, la définition de la problématique, de la phase de validation de l’hypothèse posée, du recueil et de l’interprétation des données est souvent plus délicate à mettre en œuvre. Développer les activités ainsi que nous le proposons conforte aussi nos pratiques d’Éducation nouvelle. C’est en faisant et en discutant que l’on apprend. Les neurosciences valident d’ailleurs cette approche. La plasticité neuronale, marqueur de la maturation de notre cerveau, est augmentée en effectuant des tâches motrices et en les répétant. L’Agir si cher à notre mouvement trouve donc tout son sens et toute sa modernité dans ces pratiques ou le Learning by doing initiées par les travaux de J. Dewey2 est remise au goût du jour.
La pratique d’activité scientifique en petit groupe permet aussi la confrontation d’idées qui bien souvent facilite l’accession à la solution lors de débats autour d’une expérience réalisée ensemble ou d’un thème scientifique y faisant référence (une forme de socio-constructivisme). La richesse du tandem individu/groupe est valorisée par ce type d’activité. Développer la curiosité, l’esprit d’observation lors d’un atelier scientifique est aussi une démarche d’Éducation nouvelle en ce qu’elle favorise les possibilités d’interaction avec le milieu, aide à mieux le comprendre et à l’intégrer dans nos réflexions.

Les compétences à mobiliser
Avant tout, il faut avoir envie et se sentir à l’aise dans la menée de telles activités. Compléter ses connaissances scientifiques pour affiner son projet d’animation vient pour moi après avoir défini son objectif pédagogique global et réfléchi à sa mise en œuvre. Ce qui revient à dire que la façon de mener un atelier est au moins aussi importante que son contenu.
Voici quelques questions à se poser avant de se lancer dans l’aventure. Les réponses à celles-ci devraient aider le futur animateur d’activité scientifique à préciser sa façon d’intervenir auprès des publics auxquels il s’adresse en identifiant les points de blocages possibles et en sachant relancer l’intérêt quand cela s’avère nécessaire. De même, ce questionnement permet de cibler le profil de compétence nécessaire pour mener ce type d’activité et, en fonction des manques repérés, de compléter sa formation.
Suis-je un bon observateur ? Pour tenter de définir son niveau d’observation, rien ne vaut une balade dans un milieu qui vous inspire où vous prendrez le temps de noter ce qui attire votre attention. Ensuite, il conviendra d’analyser ces observations et définir le type de stimulus auquel vous êtes le plus sensible (visuel, sonore, sensitif, olfactif), voir si vous accordez plus d’attention au milieu naturel ou humain, si votre sphère d’observation concerne votre entourage immédiat ou embrasse globalement le milieu dans lequel vous évoluez. Enfin, demandez-vous si ce qui a retenu votre attention a eu des conséquences sur votre comportement (c’est dangereux, j’évite, c’est intéressant je vais voir de plus près), votre affect (j’aime, je n’aime pas), votre intérêt (tiens, il va falloir que je retrouve le nom de cette fleur), la réminiscence de certains souvenirs – cette odeur me rappelle. Savoir mettre en jeu toutes les possibilités d’interaction avec le milieu ambiant via nos organes des sens est un atout primordial dans la perception et la compréhension du monde qui nous entoure.
Suis-je curieux, capable d’établir du lien entre ce que je sais et ce que j’observe et de m’interroger sur ce qui reste incompris ? Plusieurs types d’activités sont possibles pour tester et stimuler ces aptitudes. Revenons à la balade. Lors de celle-ci, aiguisons notre sens de l’observation qui à son tour va susciter des questions, des interrogations. Mais pourquoi les arbres poussent-ils tous à la verticale ? Pourquoi observe-t-on de grosses vagues même en l’absence de vent ? Mais pourquoi un objet métallique coule-t-il dans l’eau alors que les bateaux faits de ce même métal flottent ? Mais pourquoi ? Mais pourquoi ? Tenter de formuler ces interrogations (brainstorming), de rechercher des explications et des moyens de le vérifier (hypothèses) constitue un exercice simulant développant à la fois le sens de la créativité qui fait parfois défaut à la méthode OHERIC (Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion) et à la rigueur scientifique.
Suis-je plutôt un théoricien ou un pragmatique ? Pour mieux cerner son aptitude à répondre à cette question, il peut être intéressant d’analyser son comportement immergé dans un « milieu enrichi » dans lequel le choix de l’approche à mettre en place est ouvert.

Ainsi, rassemblés dans une pièce où sont réunis :
- Des objets insolites ou qui intriguent (plantes carnivores, pierres, cristaux de taille, de densité et d’aspect différents), des jouets un peu complexes (voitures, bateaux à moteur, avion, engrenage), des dispositifs expérimentaux qui suscitent le questionnement : le circuit de la lumière à travers un prisme, une lame de verre, un miroir, un circuit électrique avec ampoule, interrupteur, dérivation…
- Des fiches pédagogiques expliquant comment réaliser avec ces objets des expériences simples, des livres en relation avec les phénomènes mis en jeu.
- Des outils et du matériel pour réaliser soi-même ce qui est présenté ou pour expérimenter, des appareils pour observer finement : loupe, microscope…
- Des personnes ressource capables d‘expliquer, de montrer comment faire…
Il sera intéressant d’analyser votre attitude face à cet environnement suscitant. Plusieurs possibilités peuvent se dégager : le théoricien commencera par regarder les fiches et consulter les livres, le pragmatique touchera, expérimentera pour bien appréhender la situation proposée. Le recours à la personne-ressource dans ces moments est aussi intéressant à interroger ; c’est plus simple si on me l’explique de vive voix.
Ces trois tendances ont toutes leur intérêt, il convient de savoir les repérer et de les proposer au moment opportun en tenant compte du public concerné. À l’issue de ces deux premiers articles, nous n’avons abordé que de l’aspect théorique des choses: À savoir, pour l’animateur, se fixer un objectif en adéquation avec ses envies et ses aptitudes et pour le participant développer certaines compétences en observant ce qui nous entoure et en cherchant à comprendre. Lors des prochains épisodes nous entrerons dans le vif du sujet en vous proposant des démarches pédagogiques concrètes illustrant ces propos.
Notes
- VEN 570.
- Psychologue et philosophe américain, 1859-1952.
Crédits Photo: Muriel AZARI, Magali_KITZMANN/Genopolys
Cet article est issu de la revue Vers l'Éducation Nouvelle n° 571