Une vie confinée mais pas tranquille

Être prof et parent simultanément, faire la part des choses sans rien négliger, être chez soi et sur écran, à la maison et au collège, c’est le tour de force que réalisent bon nombre de personnes en ces temps inédits. Il est remarquable de constater que ce n’est pas l’exception
Média secondaire

Image par Andreas Lischka de Pixabay

De nouvelles conditions amènent souvent à faire face à des situations qu’on n’aurait nullement imaginées, qui permettent de faire émerger des savoir-faire apparemment spontanés mais qu’on avait en soi depuis déjà longtemps. Et ces compétences qui n’ont rien de ponctuel ni d’artificiel ne demandent qu’à être mises à jour au service de l’éducation, du métier de parent, des élèves et de ses enfants. Le témoignage conté dans ce texte en est une magistrale illustration en cette période propice à l’engagement professionnel, personnel, mais aussi a contrario parfois au repli. Nous découvrons ici la journée particulière d’une enseignante pendant le confinement. Il est certain sans nul doute que les virages des mois qui viennent ne seront pas plus simples à négocier. Un autre challenge à relever.

Les conditions de vie de certains élèves sont parfois difficiles dans des appartements exigus: ainsi certains vivent à plus de 5 dans un « 2 pièces » avec pour seul lien avec l’extérieur le téléphone portable.
Alors, pour faire vivre la continuité pédagogique « on ne peut pas dire que ce soit la joie »…

Nous avons eu de grandes difficultés à faire parvenir le travail à certains élèves car La poste n’acceptait pas les enveloppes sans affranchissement. Il nous a fallu l’intervention du sous-préfet pour  envoyer  finalement un dossier conséquent, constitué des travaux des profs photocopiés et de travail à faire.

De plus, les parents ne parlent pas tous français et ne peuvent pas expliciter aux élèves ce qui est demandé. Pas facile non plus de savoir si le travail est fait, bien fait, faux ou juste. D’autant plus que par téléphone, il est parfois difficile de se comprendre.

Parallèlement,  mes collègues et moi avons pu via l’ENT (Espace Numérique de Travail)  et la classe virtuelle mise en place par le CNED (Centre National d’Enseignement à Distance) avoir des contacts et donner du travail plus échelonné aux élèves connectés.

Pour essayer de varier les plaisirs et parce que nos IPR, (Inspecteur.rice.s Pédagogiques Régionaux) nous ont bien dit de ne pas « faire du neuf »,  on essaie tant bien que mal de maintenir un lien, un « entretien » de ce que l’on a déjà vu.

Et en plus, on innove ! Heureusement qu’on a un groupe facebook très pro-actif ! Il s ‘agit d’un groupe de profs de SVT qui partage, se pose des questions : nous avons un « koleos », un drive où on partage nos progressions, nos cours et nos découvertes SVT vis-à-vis de l’actualité. On partage en ce moment nos « genially » dont je vous reparlerai après (il y en a près de 180). C’est un groupe fermé utilisé uniquement par des profs de SVT.

Ainsi je me sens moins seule et je peux m’inspirer et partager, voir ce que les autres font également, ce groupe est vraiment d’une grande aide et d’un soutien nécessaire : on se sent moins seul.e.s dans « nos galères… ».

Une autre difficulté dans le fait de donner du travail, c’est ensuite de le recevoir, via le casier de collecte de l’ENT( « je n’y arrive pas madame ») ou via le mail (« screenshot » (traduire image d’écran de téléphone!) d’élève de leur feuille, fichiers pages, pdf, jpg…) : nous voilà devenu.e.s des astucieux.ses qui cherchons comment ouvrir n’importe quel fichier en fonction de ce que chaque élève a à sa disposition.
J’ai même dû faire des tutos aux élèves pour leur montrer comment convertir un fichier (sans faire de pub, en étant certains qu’ils pouvaient le faire sans s’inscrire sur un site pour rester en conformité avec le RGPD).

Tout cela génère beaucoup plus de corrections, bien plus de copies, plus les allers retours via mails en disant, « question 1 tu donnes bien la réponse mais pourrais tu aussi décrire l’expérience » avant le.suivi de la correction de l’élève et le retour final.

En plus, en tant que professeur principal d’une classe de 4eme, m’ incombe le suivi des élèves. Notre cheffe d’établissement nous demande d’appeler une fois par semaine les familles et de faire un point sur le travail engagé, sur l’orientation… Attention je ne dis pas que ce n’est pas bien, certains parents nous remercient vraiment pour ce lien privilégié et je pense que même pour nous savoir comment ils gèrent globalement le travail, comment se répartit la charge de travail c’est important, on a une photo et on peut ainsi réguler si on en donne trop ou pas assez (chez nous on estime à 2h par jour ce qu’on doit leur demander)

Hier, je devais m’occuper du dossier d’un élève qui, suite au conseil de classe, va être orienté en prépa métiers. C’est une classe de troisième en milieu professionnel qui permet d’être ensuite prioritaire sur le lycée pro et certaines sections mais aussi d’aider des élèves qui souffrent en classe parce que ça va trop vite ou qu’ils ont des problèmes de compréhension, a pouvoir s’épanouir un peu plus et ainsi mieux vivre l’école.

Malheureusement,  je suis tombée sur une famille qui venait d’apprendre un décès en son sein et qui n’était vraiment pas en état de recevoir des informations pour remplir le dossier d’orientation. Le temps de parole et d’écoute avec eux fut difficile pour moi : je me suis sentie intrusive dans leur vie  au mauvais moment...Évidemment, je vais tout pré-remplir et il ne leur restera plus que la signature s’ils acceptent le dossier : voilà une situation qui est déjà compliquée en soi, mais qui dans les circonstances l’est encore plus avec des allers-retours entre l’administration du collège, les parents et moi tout cela à distance, sans pouvoir se voir.

Après il me reste encore 24 autres élèves à appeler, pour prendre de leurs nouvelles, préparer la « séance synchrone » des jeudis pour les 4èmes et vendredis pour les 3èmes.  Dans mon collège, nous sommes 5 à utiliser la classe virtuelle. On s’arrange pour ne pas être sur les mêmes créneaux pour être certain.e.s que dans une fratrie par exemple chaque enfant puisse y accéder.

Personnellement, je ne le fais qu’avec les plus grands (4ème et 3ème) une fois par quinzaine pour faire un point d’étape. Pour les plus  jeunes, cela me semble compliqué car ils maîtrisent déjà mal l’outil informatique, ce serait une chose à voir à distance encore en plus. Pour en revenir à la séance synchrone, depuis que j’ai commencé, ils me demandent de continuer, ils comprennent mieux ce qu’ils ont à faire et comment ils vont faire. Plus que faire du cours, c’est pour qu’ils échangent et qu’on échange ensemble. Car oui, les explications orales sont nécessaires pour certain.e.s pour comprendre la consigne, mieux comprendre le cours (notamment pour les ULIS1 et EANA2) ; en présentiel, il est plus facile de donner la consigne, la redonner en classe ou hors la classe dans le cadre de « devoirs faits ».

Et puis, ce qui est intéressant dans le contexte, c’est que tout le monde développe des compétences informatiques, même les parents d’élèves : une mère aujourd’hui m’a dit « nous avons fait notre première expérience d’un cours de clarinette via skype ».

J’avais commencé à faire en classe des diaporamas interactifs en travail de groupe afin de laisser les élèves  avancer à leur rythme. Depuis le confinement, j’ai littéralement passé mes nuits à concevoir (heureusement avec l’aide du groupe facebook) de nouveaux genially, sous forme d’escape…

C’est en ligne et libre de droit pas de compte pour les utilisateurs, Moi, j’ ai un compte mais j’envisage de demander à mon établissement l’achat de la version « édu » pour développer ce mode. Je trouve que cela s’adapte bien à nos élèves, on peut intégrer une consigne de son, ça s’ouvre sur téléphone, tablette et ordi, c’est interactif et même pour les futurs TP en classe, ça donne des aides possibles en un clic.

 (exemple : https://view.genial.ly/5e7d2563006df70d77031210/vertical-infographic-list-6opheric
https://view.genial.ly/5e7d2ec167bb7d0d7ebfe807/game-breakout-usine
https://view.genial.ly/5e85838f260c290e39891f3e/interactive-content-residentevil )

Les élèves accrochent, mais quid des oubliés du numérique ???
Les mardis matin, j’assure aussi l’accueil d’enfants de soignant.e.s  dans un autre collège. Je me suis portée volontaire. En effet, je pense que c’est normal de s’entraider. Dans ce collège en ce moment il n’y a qu’une élève, une bonne élève qui quand j’arrive a déjà tout fait. Alors, je lui propose les révisions ludiques que j’ai préparées pour mes classes et je l’ai initiée au tricot ! Ben oui faut apprendre aussi à faire autre chose ! Dans ce collège nous sommes une dizaine de volontaires qui nous relayons pour l’accueil. La veille à 10h, le chef d’établissement sait s’il y aura du monde ou pas et combien puis nous appelle en fonction des besoins.

En bref… entre la vie de mère et le temps de travail décuplé.. le confinement et la continuité pédagogique, on s’y fait…On se dit qu’il y a moins bien loti.e.s que nous.

Pour finir, j’aimerais rajouter que je ne suis pas seule et qu’avec mon mari on se partage les tâches (il télétravaille et parfois il est sur son lieu de travail). Ca me permet de pouvoir trouver du temps pour tout faire et il est un peu mon garde-fou (« stop, là tu arrêtes, il est 4h du mat »). Il a même fait une petite pancarte pour expliquer à notre fille que de temps en temps « maman travaille » et ne doit pas être dérangée .

Alors, c’est compliqué pour elle qui veut du coup « travailler avec maman ». Donc,  Elle fait l’école, elle a un cahier avec du coloriage, on fait des légo-maths, elle joue dans sa tente avec ses peluches, de la pâte à modeler (on est zéro écran, pas facile avec papa et maman qui travaillent avec des écrans !). Elle s’est inventée un téléphone et elle aussi appelle sa collègue « léiä » (on ne la connaît pas nous perso).

Et puis évidemment, on partage aussi les jeux : on se déguise aussi, on danse, on chante, on rampe dans le couloir, on va dans le train (sur le canapé aménagé avec écharpe de portage et écharpe en guise de ceinture) on fait des jeux de société et des mémorys. Et je profite des sorties de ma fille qui va faire de la draisienne entre 17h et 18h pour  souffler un peu et travailler au calme ou faire les appels des familles que je n’ai pas eues à l’heure de la sieste…