Une relation éducative singulière

Dans le cadre des programmes Erasmus +, mobilité des personnels, j’ai eu la chance de passer quatre jours à Karlsruhe en Allemagne dans une Kita. Deux journées dans la forêt et deux journées dans un bâtiment fonctionnel conçu pour accueillir des enfants de quinze mois à six ans.
La Kita (structure d’accueil pour jeunes enfants) Kirchfeldmaüse est de construction récente. Elle se situe en périphérie de la ville dans un quartier qui comprend des maisons individuelles, des petits bâtiments composés des appartements en location ; à cela s’ajoute un établissement pour personnes âgées et un supermarché. Une annexe de la Kita se situe dans la forêt (Wurzelkinder), matérialisée par une roulotte et des aménagements à base de palettes de récupération ou de bois. La possibilité est offerte d’inscrire un enfant à la Kita de la forêt pour six mois ou un an et ce, dans la limite d’une vingtaine d’enfants.
Média secondaire
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Deux lieux, mais une même pédagogie, la pédagogie Reggio

L’établissement dispose de ce label attribué pour cinq ans. Il est décerné par un jury extérieur qui évalue selon des critères annoncés, une pratique pédagogique qui englobe les enfants, leurs parents et les professionnels.

Ici les parents sont les premiers experts de leur enfant. J’ai eu l’opportunité d’observer des enfants et leurs éducateurs, qui, si l’on traduit les termes qui désignent leur fonction sont des « accompagnateurs du développement de l’enfant »

Première surprise : nous sommes dans la forêt, c’est le matin, il est 7 h 30, les enfants s’installent dans la roulotte pour prendre la collation qu’ils ont apportée. Ils sont très calmes et terminent leur petit déjeuner, puis ils s’installent pour un temps d’échange. La plume de chouette circule en guise de bâton de parole. Celui qui souhaite parler s’exprime très distinctement et très posément.

Chaque prise de parole atteste à la fois de la maîtrise de ses émotions, de la liberté exercée dans le respect et d’une grande confiance en soi à laquelle s’ajoute la conscience de ce que l’on va dire.

Deuxième surprise : dans les deux lieux, les adultes présents sont très discrets, presque en retrait. Je constaterai au fur et à mesure des échanges avec une éducatrice qui a reçu une formation spécifique et avec la directrice de l’établissement, que le positionnement des adultes est très subtil. Il s’agit de ne pas précipiter les apprentissages, de savoir attendre et de faire une entière confiance dans les capacités d’adaptation et d’invention des enfants. Les éducateurs sont très présents, observent, captent dans les actions et les paroles des enfants ce qui peut devenir « projet ».

Les espaces de Kirchfeldmaüse sont pensés pour accueillir des groupes par tranche d’âge. Chaque salle dispose d’un accès direct à l’extérieur. Tous les matins à 9 heures, chaque enfant rejoint son groupe et le ou les adultes référents. Dans les dix minutes qui ont précédé, les éducatrices se sont concertées pour partager les projets en cours et ceux qui verront le jour. Ainsi l’ensemble des enfants reçoit les mêmes informations et chacun pourra se déterminer pour s’engager ici ou là.

Un climat de confiance

Le premier matin, la proposition de boire une tisane dans les bois a rassemblé plus de quinze enfants. Une éducatrice s’est retrouvée sans enfant. Elle pouvait alors aller en soutien avec un groupe voisin ou continuer de renseigner le classeur individuel dans lequel se trouvent des photos prises par l’éducatrice chaque fois que celle-ci estime que l’enfant a fait un pas ou qu’il a réalisé quelque chose. Les photos font l’objet de commentaires de la part de l’enfant, pris en note par l’éducatrice. Le classeur est à disposition de l’enfant pour le consulter ou le montrer à ses parents. Il sert aussi de support pour parler d’une manière positive de ce qui constitue une avancée. Je n’ai volontairement pas employé le terme de progrès qui pourrait correspondre à une norme attendue.

Pour illustrer également la place des parents et le climat de confiance mutuelle qui s’établit ici, nous avons rencontré les parents de la Kita de la forêt, nous avons pu échanger avec eux des raisons de leur choix d’inscrire leur enfant sur un projet d’activités en plein air, si le fait de les voir revenir parfois couverts de boue était un obstacle… ce à quoi ils ont répondu que les vêtements en toile cirée passaient tous les jours à la douche.

Un autre exemple de la prise en compte de la spécificité de chacun adulte ou enfant : une maman est restée toute la matinée auprès de son enfant, lequel fréquente la Kita depuis une quinzaine de jours. Elle restera le temps nécessaire. Ici, on prend le temps qu’il faut à chacun, l’enfant et la maman pour contourner ce qui fait obstacle à la séparation. Dans cette Kita, le temps pris est considéré comme un incontournable à une entrée dans la vie collective. En plus de celles dédiées à un groupe, d’autres salles ont une vocation ciblée telle la chambre pour faire la sieste.

La sieste ne signifie pas nécessairement sommeil. Certains enfants s’allongent, se reposent mais ne dorment pas pour autant. La chambre c’est pour dormir et chacun se détermine pour l’une ou l’autre.

Le coin peinture est en accès libre dans un espace ouvert, ainsi qu’une longue table pour dessiner équipée de miroirs qui permettent à l’enfant de se voir travailler. Partout dans les couloirs jouxtant les salles se trouvent des systèmes de rangement pour les bottes, les casques pour ceux qui sont venus à vélo, les vêtements pour aller à l’extérieur.

Dans la bibliothèque se donnent rendez-vous les enfants et les personnes extérieures qui viennent lire. Une vaste cuisine complète cette structure ainsi qu’une salle des matériaux dans laquelle chacun peut se rendre et se servir dans les caisses transparentes.

Ces observations ont fait écho à mes pratiques pourtant fortement imprégnées des principes de l’Éducation nouvelle.

Savoir attendre et laisser advenir

Les enfants de six ans passent la journée dehors de 7h 30 à 14 heures. Il n’y a pas d’apprentissage formel de la calligraphie. Cet apprentissage se fait en quelques mois à l’entrée au CP et cela ne pose aucun problème. Quand l’enfant est prêt à assimiler des connaissances ou des savoir-faire, il sera capable de fournir les efforts nécessaires.

Des démarches de ce type ont déjà existé et on fait l’objet de publications, je citerai Libres enfants de Summerhill, l’école Decroly, le lycée de Saint-Nazaire en ce qui concerne le rapport à l’acquisition des connaissances.

Dans cette Kita les propositions émanent des enfants, les adultes accompagnent et permettent l’expression. Pour fabriquer des escargots, il suffit d’aller dans la salle où sont stockés tous les matériaux de récupération, dans des caisses transparentes. On y accède avec un escabeau et on prend ce dont on a besoin. On veut en savoir plus, on peut chercher sur internet et puisqu’on a vu une photo montrant un enfant qui laisse un escargot se déplacer sur sa peau, on l’expérimente si on le souhaite. L’absence de pression ou de sollicitation forte laisse la place à la prise de décision et à l’expression tranquille.

Le projet d’une matinée peut être : « Je ne fais rien ce matin ». Je n’ai pas entendu « c’est bien » ou « c’est beau » ou quelque commentaire sur un objet fabriqué : c’est ! Il n’est pas nécessaire d’ajouter un satisfecit ou une note, la gratification de la fabrication suffit à l’enfant. C’est aussi un élément qui laisse une grande place au respect, à l’acceptation sans jugement et à l’éloignement des normes. L’accompagnement dans le respect de l’enfant a pour effet de limiter voire d’éliminer des tensions liées aux sollicitations trop prégnantes des adultes voire au regard des autres.

Créer les conditions

Dans les deux espaces Kirchfeldmäuse et Wurzelkinder toutes sortes d’objets sont à disposition pour dessiner, fabriquer, s’informer. Afin d’aller au bout des démarches, il y a des combinaisons d’apiculteur à la taille des enfants pour aller récolter le miel des deux ruches installées non loin de la roulotte. À l’extérieur, une pompe est utilisable par tout un chacun.

C’est une situation qui existe fréquemment dans les Kita, le bac à sable se transforme en bac à boue dès que le soleil le permet et chacun peut y patauger. Je partais en Allemagne et j’ai rencontré une pratique pédagogique qui vient d’Italie, je lis cette situation comme un symbole de la construction de l’Europe par le partage d’idées et de pratiques


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