Une colo maternelle d'aujourd'hui

Quand une municipalité met en avant la notion de « lieu de vie » plutôt qu’un étalage d’activités, que de surcroît elle donne les moyens à l’équipe de développer un projet pédagogique conforme à ses valeurs, la colo maternelle s’annonce alors sous les meilleurs auspices.
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Média secondaire

Dans un contexte politique global particu­lièrement défavorable pour le secteur de la petite enfance (modification du taux d'encadrement au sein des crèches, remise en cause de fa scolarisation à deux ans et de la place de l'école maternelle, classes surchargées, volonté de dépistage précoce des troubles du comportement ) inscrit dans une logique gestionnaire, nor­malisante et rentable, il semble urgent de lutter contre les tentatives de maîtrise de fa première enfance afin de restaurer la temporalité de l'enfance et les possibilités imaginatives et créatrices qui y sont liées lorsque celle-ci n'est pas soumise aux divers dispositifs de contrôle. Ainsi, il s'agira au cours de cet article de traiter des principes éducatifs, pédagogiques, politiques mais aussi de nos questionne­ments, interrogations, angoisses qui ont parcouru le séjour depuis sa préparation jusqu'à sa réalisation. Loin de constituer un espace neutre, le centre de vacances maternel peut ainsi s'avérer être un lieu parcouru par de nombreux enjeux concernant la parentalité, l'alimentation, le soin, le jeu ... occasions de mettre en avant les principes et valeurs proches d'une éducation non répressive.

 

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Présentation du séjour et choix de l'organisateur

Afin de mettre en œuvre les principes pédagogiques que nous défendons, nous avons fait le choix de travailler avec la ville de Bobigny qui met en place des séjours de vacances pour enfants depuis de nom­breuses années et qui défend un position­nement pédagogique, politique et social particulièrement fort auprès des familles et enfants accueillis en centre de vacances. La présentation du séjour fournie dans la plaquette à destination des familles est le signe d'un engagement particulier puisque ne sont pas mises en avant une ribambelle d'ac­tivités et où il est déjà précisé que le centre de vacances est avant tout un lieu de « vie » où se mélangent à la fois les temps de vie quotidienne et les temps« d'acti­vité ». Par ailleurs, l'ALCLVB (association laïque des centres de loisirs et de vacances de Bobigny) met ainsi en place des conditions d'encadrement particulière­ment adaptées à « la réalité d'un séjour de vacances » et notamment d'un << séjour de vacances maternel >J puisque nous travaillions à 8 personnels « pédago­giques », un gardien, une cuisinière-économe ainsi que du « personnel de service » pour un centre accueillant 25 enfants de 4 à 6 ans pendant une durée de 18 jours. Les enfants ont d'ailleurs été mélangés indépendamment de leur âge de manière à ne pas créer de division artificielle entre les 4 à 6 ans dans un temps de vacances qui n'exige aucun niveau de compétence, de connaissance mais une prise en compte de l'enfant à un moment donné de son déve­loppement.

Le centre qui accueille les enfants est situé à Thierce­ville dans l'Eure et les enfants sont hébergés dans un château parfaitement adapté aux enfants d'âge maternel (mobilier, douches). Le centre offre par ailleurs de nombreux choix, car il est situé au sein d'un parc de 9 hectares qui suggère de multiples possibili­tés : découverte de la nature, cabanes, jardinage, découverte des animaux, jeux d'eau, espace de cam­ping, espace aménagé pour le vélo. L'environnement va permettre aux animateurs d'être davantage dans une démarche d'accompagnement de l'enfant plutôt que dans une démarche de stimulation de celui-ci. Il ne s'agira pas de créer des situations d'animation artificielles mais tien de tenter de suivre les affections des enfants, de suivre les désirs et les envies.

Cette approche, bien que davantage cen­trée sur le bébé, nous semblait pouvoir être transposée en partie aux centres de vacances où la question du « soin » ou de la vie quotidienne est particulièrement déterminante pour la qualité du séjour. Comme le signalait Miriam Rasse, membre du mouvement Pikler Lôczy, « le temps du périscolaire est un temps extra scolaire. qui doit pouvoir se dégager du scolaire. C'est un temps de loisir, de jeu, de détente, de créativité, d'imaginaire qui par là-même est aussi un temps d'appren­tissage, de découvertes, d'expression, à condition que l'enfant puisse choisir son activité selon ses intérêts et ses capacités, parmi les différentes propositions mises à sa disposition : pouvoir grimper, sauter, courir, pousser une brouette ou faire du vélo, s'adonner aux jeux de constructions ou au bricolage, se déguiser, jouer à la dînette ou faire des jeux d'eau, tout seul ou à côté d'autres, puis de coopérer à un jeu commun, comme aussi « ne rien faire », se reposer, écouter une histoire racontée par l'adulte, niché sur ses genoux, découper, coller, dessiner ou encore se familiariser avec les règles d'un jeu de société, ou d'un jeu traditionnel jouer "à chat" ou aux "écureuils en cage. Il n'est nul besoin d'un thème d'activités pour l'année pour que les enfants inven­tent, jouent, se rencontrent, ils ont suffi­samment d'imagination et d'envies d'ex­ploration, d'expérimentation, de répétition pour que leurs activités soient riches, diverses et joyeuses ! »• .

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L'ANIMATEUR RÉFÉRENT

Il s'agissait pour nous de mettre en place un rapport privilégié entre adultes et enfants mais en tenant aussi compte des particularités et individualités. En effet, l'équipe s'est trouvée confrontée à un choix quant à la mise en place de l'animateur référent et à la souplesse qui était donnée à ce fonctionnement. Dans les séjours précédents, nous avions mis en place un ani­mateur référent pour tous les temps de vie quoti­dienne (repas, douches, coucher) ainsi que pour la journée du départ. En effet, avant le début du séjour nous répartissons les enfants dans les chambres en mélangeant les âges et en attribuant un animateur à chaque chambre. Ce système qui nous semble particu­lièrement rassurant du point de vue affectif nous sem­blait un peu trop « enfermant » et pouvait être plus difficile à vivre pour les enfants qui ne développaient pas réellement d'affinités avec leur animateur référent mais aussi pour l'animateur qui ne développait pas non plus de son côté de liens forts avec un ou des enfants de son groupe. Ainsi, passer tout un séjour avec le même animateur alors que l'on n'arrive pas à se sentir en confiance ou « à l'aise » avec lui nous semblait pouvoir créer une difficulté pour l'enfant.

Ce qui était fondamentalement en jeu dans ces discus­sions que nous avons eues au sein de l'équipe c'est la tension entre une pédagogie des « besoins » nécessi­tant la mise en place de repères fixes en considérant que les enfants de 4 à 6 ans ont besoin d'un repère « adulte " fixe durant tout le séjour et une pédagogie davantage fondée sur l'individu qui laisserait à chaque enfant le soin de pouvoir choisir et construire sa réfé­rence. Nous avons tranché pour la mise en place de l'animateur référent uniquement pour le temps de la sieste et du coucher en considérant que la préparation à l'endormissement devait se faire avec le même adulte. Aussi, à l'exception de la première journée où les enfants ont passé leurs repas ainsi que leur douche avec l'animateur référent durant le reste du séjour nous avons laissé ouvert cette possibilité de choix pour les enfants. Le centre de vacances étant cependant constitué de deux étages, les enfants ne pouvaient vivre le temps de douche ou d'habillage qu'avec les ani­mateurs de l'étage où se situait leur chambre et non avec l'ensemble des ani­mateurs du centre.

Concernant les repas, le bilan est satisfai­sant, cela ne nous a pas posé de difficul­tés particulières, l'installation aux tables est un peu plus « désorganisée » mais il n'y a pas de problèmes pour gérer cela. De plus, lorsque les enfants sont, sur un espace d'activité, avec un animateur particulier ou ont vécu un temps particu­lièrement apprécié auprès d'un animateur (une balade en forêt, un jeu collectif), il n'existe pas de rupture puisque l'enfant se retrouve à manger avec cet animateur et non contraint de retrouver son anima­teur de référence. Concernant les douches, l'équipe reste partagée à l'issue de ce séjour entre une gestion du linge un peu plus complexe puisque les enfants se mélangent indépendamment de leur chambre de référence et le manque par­fois d'un temps posé dans la chambre avec l'animateur référent pour prendre le temps de discuter, écrire, partager un moment « simple ».

Nous avons pu constater que le fait de pouvoir choisir plus librement son anima­teur référent fait que des affinités se créent plus « naturellement » entre les enfants et les animateurs et que, de fait, s'établit une sorte d'animateur référent mais qui n'a pas été imposé. Ainsi, un petit groupe d'enfants sur la fin du séjour se retrouvait quasi systé­matiquement avec le même animateur indépendam­ment des activités mises en place.

 

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PAS DE THÈME POUR LE SÉJOUR

Nous avons aussi choisi de ne pas mettre de thème au séjour et aux semaines passées sur celui-ci. Les thèmes sont souvent utilisés pour favoriser le développement de l'imaginaire qui serait stimulé grâce à l'existence « d'univers » ou des héros utilisés comme supports. Pourtant, tout ce qui est évoqué, ce n'est pas de l'ima­ginaire, c'est la représentation que se font les adultes de l'imaginaire des enfants. Lorsqu'on propose un séjour indexé sur un héros télévisé, n'y a-t-il pas lieu de s'inquiéter quant à la destruction de l'imaginaire des enfants ramenant à un cadre référencé qui est bien de l'ordre de la réalité et notamment de la réalité marchande et commerciale renvoyant au petit garçon d'Helen Buckley" finissant par dessiner, à force de dres­sage et de soumission à l'autorité, une fleur rouge à la tige verte. Quand on observe cinq enfants, vêtus de leurs habits de tous les jours, qui jouent à construire un restaurant en proposant des pommes de pins, de l'herbe comme repas, qui vont chercher des pâquerettes comme monnaie et qui disent « on dirait que tu serais un serveur qui n'avait pas de travail parce qu'il voulait être le chef de la maison alors qu'il n'avait pas le droit parce qu'il mangeait des crocodiles », ils ne sont pas moins dans l'imaginaire que quand les enfants sont déguisés en indiens, cow-boys, aventuriers de l'espace à longueur de journée. Ce qui est déve­loppé dans ce type de séjour, ce n'est pas l'imaginaire, c'est la mise en scène, la spectacularisation du quotidien.

CONTACT CORPOREL ET MAÎTRISE DES ÉMOTIONS

Dans la mesure où les animateurs vont nécessairement être confrontés aux « câlins», «bisous», à l'aide au moment de la toilette ou de la douche, aux jeux sexuels des enfants, il nous apparaît nécessaire d'avoir une attitude qui vise à la compréhension de ces comportements et à une bonne connaissance de ceux-ci pour ne pas s'inscrire dans une démarche de pathologisation et de stigmatisation précoce des enfants. Il ne s'agit pas d'être dans la surenchère affective de bisous, de câlins envers les enfants mais bien dans la reconnaissance et l'acceptation que les enfants puissent avoir besoin à un moment donné de ces contacts corporels afin de se sentir à l'aise et de pouvoir maîtriser leurs émotions car le contact corporel va participer de la prise en compte de son individualité. Les anima­teurs qu'ils soient filles ou garçons ont donc pu s'occuper indifféremment des filles et des garçons, les aider à se laver, à se brosser les cheveux ou encore à leur essuyer les fesses aux toilettes.

Cette acceptation du corps et a fortiori de la sexualité infantile impose ainsi que l'équipe ait pris conscience que c'est aussi par le corps que l'enfant va faire l'expé­rience du monde et c'est par une acceptation de celui-­ci que l'on peut assurer à l'enfance une forme de confiance dans ses capacités. Aussi, en travaillant autour de ces questions nous n'avons pas été (trop ?) surpris lorsque A. a affirmé pendant la douche que s'il remplissait son zizi d'eau celui-ci allait s'allonger, quand des petites filles se masturbaient durant la sieste ou quand des petits garçons s'amusaient avec leur pénis durant la douche...

 

JOUER, JOUER, JOUER

Un autre apport théorique nous est fourni par les tra­vaux de Winnicott autour de la question du jeu et de l'activité libre. Il nous semble en effet que bon nombre de séjours pour jeunes enfants ou enfants soient orga­nisés autour des activités, de la multiplication des acti­vités sans que la place du jeu ait été véritablement pensée. Comme le signale Odile Périno « ni en famille, ni à l'école, ni dans les loisirs de plus en plus dirigés, le jeu libre ne trouve plus de vraie place dans le rythme hebdomadaire des enfants, hormis pour les tout-petits de moins de 2 ans ; aujourd'hui, l'activité de jeu se fait rare et se trouve tantôt détournée au profit d'appren­tissages de tous ordres, tantôt déniée » 10• Par jeu, nous entendons ce que Winnicott appelle le playing à savoir un jeu libre, non organisé et permettant aux enfants de mettre en œuvre une démarche créatrice et imagi­naire. Le jeu, répétons-le, ne peut exister en tant que jeu que lorsqu'il est pratiqué librement et de façon spontanée ce qui nécessite des espaces pouvant le susciter mais aussi du temps pour qu'il puisse se déve­lopper. Le jeu ne se commande pas, il est rigoureuse­ment impossible de diriger le jeu, de le domestiquer et par conséquent, le jeu peut déborder, passionner et finalement affecter les enfants. Le jeu développera alors l'intelligence des enfants, leur imaginaire mais sans qu'on l'ait ordonné.

Nous avons donc choisi de mettre en place au sein du séjour un espace dédié notamment aux jeux symboliques qui était constitué de déguisement, de jeux de construction ou encore de jeux d'imi­tation. Un espace bac à sable était lui aussi à disposition des enfants tout comme un espace jeux d'eau lorsque les conditions le permettaient. Ces espaces de jeux étaient à disposition des enfants de façon permanente et pas simplement lors de ce qu'on a coutume d'appeler les « temps libres » du séjour à savoir le temps entre deux activités. De fait, les enfants pouvaient disposer librement des ces espaces et y passer s'ils le souhaitaient la journée entière. Ces espaces n'étaient donc pas là pour « combler >> un vide mais sont reconnus comme des espaces à part entière et comme étant des choix tout aussi respectables que la pratique d'une activité que l'on juge plus intéres­sante ou pertinente. Bien que ces espaces soient fréquentés par les enfants et notamment l'espace bac à sable, nous avons cependant constaté que les jeux symboliques étaient relativement peu investis par les enfants et ce, notamment en début de séjour. Malgré nos intentions pédagogiques visant à favoriser ce jeu libre, nous avons peut-être eu tendance à utiliser la salle qui y était dédiée un peu trop comme un espace de transi­tion ou un espace de « passage » qui ne pouvait peut être pas totalement permettre l'investissement des enfants.

Mais aussi et surtout nous pensons que le jeu libre est aujourd'hui particulièrement menacé à la fois par le fait que celui-ci ne soit plus valorisé dans aucun autre espace, si ce n'est les structures petite enfance mais aussi par un développement du jouet qui va dans le sens d'une destruction de l'imaginaire des enfants ou plutôt dans la formation d'un imaginaire particulier. En effet, le jeu symbolique ou jeu libre a été progressive­ment évincé de l'école maternelle ou alors il est récu­péré dans un but didactique où les enfants jouant à la dînette sont invités à compter le nombre de pommes qu'ils placent dans l'assiette de leur camarade. De même, au sein de nombreuses structures de loisirs, le simple fait de jouer est aujourd'hui largement stig­matisé au prétexte que cela ne constituerait pas une activité « éducative » mais relèverait plutôt d'activités de « garderie » et c'est ainsi que l'on cherche à multiplier les activités pour « éduquer». De plus, les moments d'imi­tation de la vie quotidienne apparaissent comme moins investis par les enfants au profit de supra-mondes devant lesquels les adultes sont obsolètes. Les identifica­tions se font davantage en référence aux héros du catch, aux héros technologiques suréquipés ou pour les jeunes filles en référence aux stars de la chanson face auxquelles les adultes qu'ils ont en face d'eux ne pèsent que très peu.

DE LA LIBRE DISPOSITION DE SON TEMPS

D'un point de vue plus « pratique » nous avons accordé beaucoup d'importance aux articles écrits par Pierre Rosset " qui développe un mode de fonctionnement pédagogique particulièrement intéressant en ce qu'il met en place des moyens per­mettant aux jeunes enfants de trouver à la fois des formes de ritualisation mais aussi des formes d'individualisation ten­dant à faire du séjour de vacances un temps de liberté véritablement exercée et non un temps de contrainte et de conformation aux désirs collectifs. Ainsi, Pierre Rosset défend, le droit pour les enfants de quitter les activités au gré de leurs envies et désirs tranchant ainsi avec l'obligation généralement faite aux enfants de rester sur celles-ci au nom de la «responsabilité» ou de« l'engagement». Contrairement à ce que l'on pourrait ima­giner les enfants quittent les activités non pour « zapper » mais parce qu'ils cherchent fonda­mentalement l'activité qui les implique émotionnelle­ment et les affecte. De fait, comment pourrait-on exi­ger d'eux qu'ils restent sur une activité « bricolage», « cabanes », « jardinage » alors qu'ils n'ont peut-être jamais été sensibilisés à cette activité et qu'ils n'y trou­vent pas matière à s'investir. Au nom de quel principe pédagogique exige-t-on d'eux qu'ils restent sur place si ce n'est au nom d'un principe d'autorité alors qu'ils ne savent parfois pas ce que peut être cette activité.

Aussi, lors de ce séjour, les enfants ont-ils eu la possibi­lité de venir ou sortir de l'activité à n'importe quel moment. Les activités étaient d'ailleurs toujours pré­vues pour pouvoir les accueillir à n'importe quel moment et indépendamment de l'âge. La seule contrainte était parfois celle du nombre ou celle de groupes de « niveaux » pour l'activité vélo qui était plus facile à encadrer avec des groupes homogènes.

Ce mode de fonctionnement était facilité par la pré­sence d'un animateur « volant » qui permettait d'orienter les enfants mais aussi de répondre à des envies ponctuelles et non offertes par les espaces per­manents ouverts. Les enfants n'avaient pas de plan­ning d'activité auquel se référer mais savaient au bout de quelques jours où étaient les espaces accueillant des possibilités d'activités. Nous avons aussi mis en place sur le séjour un espace « marchande de fruits » qui avait pour vocation de faciliter les déplacements et le repérage des enfants. Ainsi, tous les jours, de 10h30 à 11 heures, quelques enfants préparaient des fruits pour jouer à la marchande avec les autres enfants qui pouvaient s'y présenter au moment voulu. Cet espace permettait à la fois de découvrir et de manger des fruits sous un aspect plutôt ludique et de pouvoir aussitôt après ce moment se réorienter vers d'autres espaces permanents. Un autre espace que nous avons repris des travaux de Pierre Rosset est constitué par l'espace cinéma qui était présent un Jour sur deux en matinée. Il était proposé à chaque fois deux séances avec des films différents.

Les enfants devaient retirer leur place le matin après le petit déjeuner pour pouvoir participer à la séance cinéma en sachant que seules quinze places étaient disponibles à ce moment. Les séances d'une durée n'excédant pas 40 minutes permettent aux enfants de découvrir des films plus rares que les traditionnels Disney et favorisent aussi dans le même temps des relations encore plus individua­lisées pour les autres enfants puisque le cinéma faisait généralement le « plein » et qu'il ne restait donc qu'une dizaine d'enfants pour quatre ou cinq animateurs. Ce cinéma a été particulière­ment apprécié des enfants qui discutaient des films vus, demandaient lors du petit déjeuner ce qu'il y avait de prévu au cinéma le jour même et effectuaient des choix dans le film à voir. Le choix se faisait essentiellement à partir de l'affiche pré­sentant le film et de discussions avec les animateurs à propos du contenu du film. Cette organisation quotidienne ou habi­tuelle construite autour de la marchande de fruits, du cinéma et des espaces per­manents permet ainsi de fournir un cadre suffisamment structurant pour les enfants qui favorise aussi les activités plus excep­tionnelles. C'est parce qu'il y a ce rythme habituel que les activités plus exception­nelles sont d'autant mieux vécues et prennent encore plus d'importance auprès des enfants. Ce fut ainsi le cas lorsque nous avons organisé un spectacle de magie, des soirées marionnettes autour de contes traditionnels (Le petit Chaperon rouge, les Trois petits cochons), un spectacle de cirque ou lorsque nous avons fait un pique-nique le soir suivi d'un feu d'artifice organisé sur le centre.

 

VIVRE AVEC LES ENFANTS

Enfin, nous nous sommes aussi beaucoup nourri des écrits de Fernand Deligny, qui, bien que n'ayant pas travaillé avec le public maternel ni produit aucun écrit en direction des jeunes enfants, laisse une empreinte et des traces quant à notre positionnement face aux enfants. C'est parce que les jeunes enfants sont aussi en partie de la « graine de crapule », autrement dit qu'ils ne sont pas des êtres absolument " purs » et pas nécessairement « gentils » parce que petits, que nous pouvons travailler à partir de ses travaux non pas en partant de recettes pédagogiques qu'il s'est toujours refusé à produire mais à travers un positionnement global qu'il défend. Aussi, le travail de Deligny bien que dénué de détails d'organisation pratique ou de « méthode » a une valeur particulièrement importante pour notre action et permet d'orienter concrètement nos pratiques. La perspective qu'il esquisse et que nous avons souhaité faire nôtre est celle d'une volonté d'être dans une relation pédagogique la plus simple et la plus complexe possible à savoir être dans une relation de vie avec les enfants.

Il ne s'agit pas de rééduquer, de dresser, de transmettre mais bien d'être vivant au milieu des enfants. Être vivant au milieu des enfants signifie ainsi pouvoir être dans une relation qui échappe aux diverses perspectives de normalisations, aux rôles habituels, pour pouvoir être dans une position d'acceptation de l'alté­rité des enfants. Cela implique de renon­cer aux fausses identifications, aux fausses identités de l'animateur supposé savoir, de l'animateur qui « maîtrise», de l'animateur qui met à distance les enfants à travers des fiches de préparation d'acti­vités ou autres dispositifs destinés à faire diminuer l'angoisse de la relation à l'en­fant mais rendant encore plus difficile les situations où l'enfant déborde, échappe au cadre pré-établi.

De fait, cela ne signifie nullement que nous ne soyons pas désarçonnés ou mis en difficulté par les attitudes ou réactions des enfants notamment lorsque D. s'en­tête à vouloir passer ses repas à se bala­der dans le parc plutôt qu'à table, lorsque D.A. déclare vouloir « casser » la cola ou quand d'autres encore refusent de s'en­dormir dans leur lit mais cela signifie que nous sommes prêts à recevoir ces réac­tions et à les accepter pour ce qu'elles sont, à savoir des manifestations de la vie, parfois bien difficile, des jeunes enfants et des conflits qui traversent leur existence et leur psychisme. Être dans une vie avec les enfants, c'est imaginer que ceux-ci ne sont pas des individus qui cherchent à nous « embêter, mais des individus qui vivent leur vie auprès de nous, loin de leurs parents ou de leur famille et que cela peut géné­rer à la fois de grandes joies ou de grandes sources de satisfaction dans la découverte d'un nouvel environne­ment, de nouveaux possibles corporels, intellectuels mais peut aussi provoquer des situations plus com­plexes qu'il convient d'accueillir. Aussi, dans cette ten­tative de mettre en place un projet centré sur la « vie » avec les enfants, il apparaît que le rythme collectif pose concrètement aussi un certain nombre de limites. Que dire en effet de la contrainte que nous nous sommes imposés de devoir être présents sur le centre en fin d'après-midi pour que les enfants prennent leur douche, puissent recevoir les appels de leurs parents ...

Pouvons-nous imaginer une organisation qui permet d'individualiser encore davantage les séjours où la douche ou d'autres moments puissent être vécus non pas dans un rythme collectif et uniforme mais puissent se dérouler ponctuellement à d'autres moments sans que cela ne bouleverse l'organisation collective et les repères des enfants.

Enfin, de l'attitude de Deligny, nous avons souhaité garder en tête l'idée qu'il ne saurait y avoir de véritable méthode pédagogique qui fonctionne de façon évi­dente et certaine. En effet, la tentative de vivre avec les enfants en ce qu'elle n'est pas absolument ou tota­lement objectivable, fait qu'il existe une part irréduc­tible de vivant qui échappe à toutes les tentatives de prévisions formulées dans nos projets pédagogiques et c'est cette part de vivant qui fait que nos projets « échouent » nécessairement parce que les enfants et les adultes qui vivent ensemble sont des êtres concrets, incarnés, vivants et désirant dont les rela­tions échappent à toute maîtrise. Aussi avec Deligny, nous pensons que « la pédagogie est à penser comme un échec permanent, à revendiquer qui plus est. [ ... ] Les échecs, les ratés, seuls, sont espoir de découverte. Les traces sont des promesses ».

1.     Voir Collectif Pas de zéro de conduite, Petite enfance : pour une prévention prévenante. Manifeste, Ramonville, Saint-Agne, Érs, 2011

2.     Voir sur cette question Miriam Rasse,« Séparation-Adaptation », in Les Dossiers de« Vers !'Éducation nouvelle>>, n 21 ( « Vacances collectives à 4 ans » ).
3.     On ne saurait non plus oublier évidemment les personnels de service, le gardien et la cuisinière économe qui par­ticipent eux aussi de manière décisive à la réussite du séjour.
4.     Voir, sur cette question, les travaux de Jacques Ardoino et notamment éducation et politique, Paris. Economica, 1999
5.     Collectif, La Vie à la colonie maternelle. Paris. éditions du Scarabée, 1959, p. 7.
6.     Voir sur la question : Myriam David, Geneviève Appell, J. Ancelin, << La colonie maternelle. Contribution à l'étude de l'adaptation de l'enfant à la vie en collectivité». in Informations sociales. 8, 1957, pp. 811-893; Myriam David et Geneviève Appell, Loczy ou le maternage insolite. Ramonville Saint-Agne. Erès. 2008 ; Miriam Rasse. « Et le péri• scolaire?» in Spirale, n° 53 « Touche pas à mon école maternelle». Ramonville Saint-Agne, Erès, 2010, pp. 67-72.
7.     Judith Falk, « Les soins corporels, un soin psychique» in Spirale, n° 57, « L'Aube des sens. Une révolution inache­vée ». Ramonville Saint-Agne, Erès. 2011, p. 149.
8.    Miriam Rasse, ,, Et le périscolaire ? ». in Spirale. n• 53, « Touche pas à mon école maternelle », op. ôt., pp. 71-72.
9.    Voir le poème d'Helen Buckley nommé Le Petit garçon.
10.    Odile Périno, Des Espaces pour jouer, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2006, p. 37
11.    Voir Pierre Rosset, «Bussy.La colonie aux mille fromages. Le loisir base de construction identitaire », in Jean Hous­saye (sous la direction de), Colos et centres de loisir;. Recherches. Paris, Matrice, 2007, pp. 83-105 et « L'accueil la d'une partition pédagogique. De la création du sens à une dé-marche créatrice initiatrice du voyage », op.cit., pp. 287-311.


Issu des Cahiers de l'Animation - Vacances Loisirs (cahier central) n° 78 (avril 2012)