LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Un jardin partagé autonome

Les jardins fleurissent un peu partout dans le milieu urbain, en pied d’immeuble, près des écoles, aux abords des cités, en plein centre ville aussi. Mais peu sont le fruit partagé d’un collectif d’habitant·es. C’est le cas de celui du quartier Nord-Est de la ville du Mans.
Au Mans il y a une dizaine de jardins partagés, la municipalité semble appuyer ces initiatives. Celui d’Yzeuville au Nord-Est de la ville est né au sein du conseil de quartier. Il a répondu à un besoin impérieux d’activités qui fédèrent les habitants et habitantes de ce quartier mixte composé de maisons individuelles et d'immeubles. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit d’un véritable projet social et partant, d’un projet politique, dans le sens premier de ce mot : qui concerne la cité.
Média secondaire

Un jardin partagé autonome

Christine est permanente à l’association territoriale des Ceméa des Pays de la Loire, à l’antenne du Mans où elle occupe depuis quatre ans la fonction de formatrice « animation volontaire et professionnelle ». Après avoir démarré l’animation avec un stage Bafa, elle a bourlingué dans plusieurs régions (Auvergne, Normandie, Centre val de Loire…). Elle possède en outre le Defa et le Desjeps.

Forte d’une expérience de citoyenne dans l’aventure d’un jardin partagé en pied d’immeuble au sein d’une association de la comcom de Pontchâteau (au nord de Saint Nazaire) et nantie d’une fibre environnementale combinée à un engagement dans ce domaine qui ne s’est jamais démenti (elle a encadré un BPJEPS EEDD à Saint Nazaire pour les Ceméa), elle découvre quand elle prend son poste au Mans l’existence d’un jardin partagé qui s’est installé à proximité de l’antenne des Ceméa.

Coïncidence ou très bonne connaissance du territoire de la part des responsables des Ceméa PDDL ? Je pencherais pour la deuxième hypothèse.

François Simon : Christine, qui est à l’origine de ce jardin partagé ?

Christine Gineste : Il y a peu d’associations sur ce quartier mixte (logements individuels et collectifs) très peuplé (plus de 28000 habitant·es), peu d’activités communes réunissent les habitant·es.

C’est un collectif d’habitant·es, fort de ce constat,  qui est à l’origine de ce jardin (d’une superficie de 400 m2, une dizaine de personnes (moitié moitié hommes·femmes et mixte quant aux âges) faisant partie du conseil du quartier Nord-Est (30 personnes). Le conseil (les élu·es ne sont présents qu’au moment de la discussion sur le budget participatif) se retrouve tous les trimestres dans une maison de quartier ouverte aux habitant·es et qui fonctionne sans personnel permanent. Ce collectif a décidé de ne pas se constituer en association, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Il y a une école primaire (l’école Ferdinand Buisson) qui jouxte le jardin.

Que viennent faire les Ceméa dans cette affaire ?

L’association a une antenne dans les locaux de l’école Ferdinand Buisson qui jouxte le jardin, celui-ci occupant une parcelle sous l’école, à l’angle de la rue. Le collectif, qui connaît les Ceméa, décide de faire appel à ce mouvement, ressentant le besoin d’un accompagnement de la part d’une association d’éducation populaire (désir de cultiver le lien social, la notion de solidarité et de prendre soin après y avoir pris racine de s’implanter dans le territoire). Les Ceméa répondent présents et la collaboration débute par l’écriture commune d’un projet (objectifs généraux et opérationnels dans les règles d’une dynamique de projet) pour installer durablement le projet. Une charte est par ailleurs écrite dès le début.

Quel est le fonctionnement du collectif ?

Il n’y a pas d’association et c’est un choix assumé, mais comme la ville du Mans a besoin d’une association porteuse (pour le conventionnement concernant l’accès à la surface) ce sont les Ceméa qui représentent le collectif (compostage, bacs d’eau). Juridiquement le collectif perçoit l’argent (ce ne sont pas des cotisations mais des dons) qui sert à acheter graines et terreau. Les frais sont minimes : 20 euros par an pour la mise à disposition du terrain et la même somme pour la participation à la société d’horticulture sarthoise.

Quel est le concept de ce « jardin partagé ?

Ce n’est pas un jardin où on vient pour soi (il n’y a pas de carré réservé pour chacun·e), c’est un jardin où les cultures sont faites ensemble, où la production et les récoltes sont partagées équitablement . Les bénéficiaires sont tout d’abord les membres du collectif (aujourd’hui au nombre de 82), puis les militant·es des Ceméa qui participent au projet, et enfin dans un deuxième temps les enfants de l’école et leur famille. Il y a assez de production pour une redistribution qui contente tout le monde.

Le jardin donne 365 jours par an, il n’y a pas de moments sans rien. On prône et pratique le jardinage au naturel (légumes de saison, légumes anciens -panais, choux anciens, batavia ancienne-, partage de recettes), on fait également pousser des fleurs, à bulbe et autres, mais aussi des arbustes (fraisiers en hauteur) et du maïs mexicain.

L’autogestion est le maître mot de ce projet ! Une chose nous tient à coeur : si le jardin est clôturé la grille n’est jamais fermé à clé, l’accès est possible pour tous et toutes, tous les jours de l’année et à toutes les heures.

Et on a Gustave l’épouvantail qui monte la garde !

Quel est ton rôle dans le quotidien du jardin ?

Accompagnée à chaque fois par un service civique, depuis le tout début, je propose des animations, de l’aide, je veille au développement du lien social. J’ai de l’appétence pour tout ce qui touche à l’environnement (surtout pour la culture et les jardins naturels).

On pratique la culture en butte (La culture sur butte est basée sur la création de monticule de terre pérenne destiné à recevoir les cultures)  ou en lasagne (buttes vivantes faites de différentes couches de matériaux en décomposition sur lesquelles on plante directement. Un peu comme si l'on cultivait sur du compost, une couche de brun, une couche de vert. L'ensemble de la décomposition de la lasagne donne aux plantes ce dont elles ont besoin pour pousser ; on plante ou sème directement dessus).

Formée par le Conseil départemental de la Loire Atlantique, je suis guide composteur.

On s’initie à planter à la verticale, on tente des choses avec des palettes en carrés surélevés, on ne tient pas à ce que tout soit au sol. On a tenté la culture des pommes de terre en « tour à patates » pendant 2 ans….mais résultat très maigre car les chaleurs de l’été n’ont pas permis un bon développement des semences.

Tous les samedis matins le collectif se retrouve de 10h à 12h (invariablement une quinzaine de personnes tous les samedis). Le programme est fonction de ce que les gens ressentent. Il y a à chaque fois un membre du collectif qui s’occupe d’écrire et d’envoyer une newsletter (avec à chaque fois une touche humoristique, Un peu comme dans « la hulotte » !) avec le compte-rendu, mais aussi avec un appel pour les semis.

Quels types d’animation proposez-vous ?

Il y en a beaucoup et de toutes sortes qui fleurissent

  • du tressage de l’osier, du lierre pour les aménagements des carrés, mais aussi pour bâtir des nids d’oiseaux au pressage des pommes (apportés par des membres du collectif) avec le pressoir d’un des participants
  • de la repeinte des bancs (qui appartiennent à la ville) à l’organisation d’un troc de plants et plantes (une fois par an). À ce sujet nous confectionnons des flyers à glisser dans les boîtes aux lettres, à envoyer au service « nature en ville du Mans », à distribuer aux alentours et aux autres jardins partagés de la ville (il y en a une dizaine au Mans). Nous avons 200 plants de légumes et de fleurs, charge aux personnes qui viennent d’apporter les leurs (par exemple ceux d’une courge bleue de Hongrie, qui est royale).
  • des rencontres lecture et jardinage avec les assistant·es maternel·les à l’animation de la fête de l’école (tenue d’un stand de jeu sur la reconnaissance des plantes), les enfants repartant avec des tomates, des oeillets, des courgettes…
  • de l’animation à l’école en semaine avec toutes les classes aux prises de vue, pour une banque de données photographiques des histoires racontées avec kamishibaï au troc de graines pour la constitution d’une grainothèque.
  • de la participation au fleurissement de la cour de l’école, et on renouvelle la terre dans les bacs (on a une production de compost importante) à l’animation « dessine-moi ton jardin » dont les productions ont entouré les bacs
  • de la construction d’une cabane à outils (puis aménagements de l’intérieur, entretien et réparation des outils lorsque il y en a besoin aux samedis de broyage où on broie, on broie, on broie (un membre possède un broyeur) on broie branches, feuilles et branchages ramassés au fil de la semaine ou du mois
  • on se regroupe deux fois par an, en juin pour un repas au jardin (on sert sur place et chacun·e apporte quelque chose) et  à l’automne en octobre où on teste ensemble de nouvelles recettes. C’est aussi le moment de se décider pour les projets (il y en a toujours à foison) à mener pour l’année scolaire qui suit.
  • nous avons un grand projet en vue depuis quelque temps (ça n’avance pas bien vite) : il y avait une cabine téléphonique à pièces, on voudrait la récupérer pour en faire une boîte à livres d’ouvrages de jardinage ou plus généralement traitant de nature.
Quel est le plus apporté par les acteurs et actrices de l’animation ?

Les CPJEPS ont consacré une semaine d’actions en faveur du jardin partagé : création d’une table de rempotage, travail de froissartage, création d’un prototype de composteur pédagogique (vitre et porte en bois) pour que les enfants puissent regarder, voir et comprendre le principe.

Des stages Bafa viennent  à chaque vacance, les stagiaires ont leur place au jardin si des projets individuels et collectifs en requièrent les installations, ont besoin d’outils ou de conseils, d’accompagnement.

Les militant·es des Ceméa peuvent également y trouver leur place. Il y a un site, une page facebook « jardin d’Yzeuville »

Toutes les personnes qui sont à l’origine du jardin (sauf une qui a déménagé) sont encore là et tout au long de l’année d’autres personnes rejoignent le collectif, souvent d’abord invitées à venir déposer leurs déchets alimentaires, une accroche qui fonctionne en plus d’un flyer qui invite les habitant·es du quartier à venir rejoindre le collectif.

Y-a-il parfois besoin de régulation ?

Si régulation il y a elle ne vient que parce qu’il y a eu des faits qui ont choqué d’autres personnes du collectif, mais cela reste exceptionnel. Les fondateurs s’emparent du problème, appellent, prennent attache, cherchent une conduite à suivre et le conflit meurt dans l’oeuf après avoir été réglé.

Mais il ne faut pas cacher que comme dans tout collectif les gens ne s’aiment pas tous, parfois des agacements se sont sentir. Et dans ces cas-là la compétence des Ceméa est utile et nécessaire.

L’été quand les gens partent en vacances il y a un planning pour l’arrosage, le ramassage, tout est prévu et signalé dans la newsletter (tout le monde en est destinataire)

Qu’as-tu envie d’ajouter ?

Ce sur quoi j’ai envie d’insister c’est le collectif dans son entier et chacun·e des membres qui le constituent qui  font ensemble, ils et elles sont tous et toutes animateurs, animatrices. L’animation est partie intrinsèque de l’ADN du collectif, c’est pour ça que ça dure. Le partage des valeurs des individus, du collectif et leur maillage font qu’il y a émulation et bouillonnement permanent. L’éducation populaire est omniprésente. C’est un outil de lien social mais pas seulement, le sens profond de l’aventure c’est du lien social, le lien social. L’éducation populaire, le collectif et en son sein chaque membre la vivent et la font vivre, l’animent. Après plusieurs années de fonctionnement, force est de constater que les gens restent, l’activité jardin permet par la pratique aux gens d’apprendre à vivre ensemble. Pour ma part j’y viens tous les samedis matin,  il s’agit de mon travail mais pas que, je suis militante de l’éducation populaire et de l’Éducation nouvelle. Mais je m’y retrouve aussi en tant que citoyenne dans ce projet, je suis mancelle  et viens de l’autre bout de la ville, à bicyclette.

Merci Christine pour cette présentation très instructive et qui donne envie de rejoindre le collectif ou de se lancer dans une pareille aventure dans le territoire où on habite, une aventure dans le monde naturel où l’humain a sa place comme médiateur des éléments et où les idées d’animation sont légion, et déclinables dans chaque jardin, quel qu’en soit le public.

Le jardin est un réel outil d’animation qui ne demande qu’à être manié dès que des espaces en permettent l’émergence. En périscolaire et en particulier le midi et le soir c’est un projet à développer en fonction du terrain et des compétences de l’équipe.

Et dans un monde où le développement durable peut être la garantie d’une préservation de l’univers naturel, la multiplication de ces initiatives ne peut que s’inscrire dans cette dynamique et participer à son développement, à l’échelle d’un territoire.


Photos : Jardin partagé d'Yzeuville