S'habituer à l'inhabituel

Entrer en formation est souvent synonyme de découverte, de socialisation mais aussi de peur de l’inconnu. Chaque stagiaire arrive en formation avec des représentations multiples. Il suffit parfois d’une journée particulière pour ébranler les certitudes.
Média secondaire

On décide au sein d’une formation à l’animation professionnelle d’un temps d’activité animé par une intervenante extérieure. Cette dérogation à l’habitude provoque des réactions inattendues. Au commencement le tâtonnement est de rigueur, puis la méfiance, puis la défiance, la surprise, le désintérêt, l’incompréhension. Et soudain sans crier gare la bascule s’opère qui voit les stagiaires comprendre, vivre et prendre plaisir à cette nouveauté qu’ils ne pensaient pas pour elles et eux. Et quand le déclic a eu lieu, les esprits se débrident et chacun et chacune savourent et apprécient ce plaisir nouveau, insoupçonné jusqu’alors.


Au commencement, tout est de rigueur. Tout est nouveau, pour se rassurer, l’apprenant a tendance à rechercher la bonne pratique. Le responsable de formation est là pour ritualiser les séances. Dans un but de mettre en place un ensemble de rites, d’actes répétitifs et codifiés pour ancrer des habitudes et donner des repères pour agir aux apprenants. Les rituels ont une fonction cohésive et contenante pour le groupe de stagiaires. Responsable d’un groupe d’une dizaine de stagiaires, en formation CQP (certificat de qualification professionnelle) animateurs périscolaires, ce jour-là, je décide de venir vivre la séance de formation avec les stagiaires dans le but de me former. Nous entrons dans notre salle de formation, tout est inconnu. L’aménagement de l’espace est différent. Notre routine a disparu et nous perdons nos repères. Les stagiaires semblent à la fois curieux mais sont un peu déstabilisés.

Une méfiance, une défiance se font jour.

Au centre de la pièce trône une structure avec des tissus noirs, nous nous asseyons en face, en demi-cercle. La formatrice nous informe que c’est un castelet et qu’aujourd’hui nous allons découvrir l’univers des marionnettes. L’engouement face à cette annonce n’est pas à son paroxysme. Chacun y va de son commentaire. « Je n’aime pas les marionnettes. » « Cela me rappelle le théâtre des guignols. » « Jouer aux marionnettes c’est nul. »
À l’écoute de ces préjugés et représentations, je suis un peu inquiète concernant l’implication des stagiaires pour cette séance de formation. Le groupe ne montre aucun enthousiasme au début de la journée.

Cemea

Après un rapide jeu de présentation, nous commençons à manipuler une chaussette qui fait office de marionnette. Par petits groupes, nous passons derrière le castelet afin de nous familiariser avec ce théâtre. Le mécontentement se fait ressentir par la majorité des stagiaires. « C’est fatiguant de rester le bras en l’air », « Je ne vois pas l’intérêt d’apprendre cela en tant qu’animateur. » Manque de motivation, d’investissement pendant les nombreux petits exercices proposés. Et puis soudain insensiblement s’opère un changement. Au moment de la création d’une petite saynète, par petits groupes, progressivement, les visages se détendent, sont de moins en moins crispés. Absence de contrainte, la seule consigne est de raconter une histoire avec des marionnettes.

C’est comme un moment de libération pour le groupe. Les idées fusent, les apprenants commencent à s’amuser. En début d’après-midi, le plaisir semble envahir les stagiaires. Les rires résonnent dans la pièce, l’amusement est à son comble. C’est derrière le castelet, que nous observons le plus de choses. Après l’appréhension face à l’inconnu, les personnalités se dévoilent de plus en plus. Les corps s’animent à travers les différents scénarios inventés par chacun. Les plus timides commencent à s’affirmer. Leur voix devient de plus en plus audible et porte de plus en plus.

S'autoriser l'altération

À travers cette activité d’expression, il y a comme une sorte de lâcher prise qui permet aux stagiaires d’avoir plus confiance en eux. Ils s’autorisent alors à ne plus être dans le contrôle. Ils s’autorisent à être altérés. Certains auteurs disent que la formation est souvent un accélérateur de changement.
En participant et vivant cette séance de formation au côté des stagiaires, nous pouvons remarquer l’impact de cette activité dramatique sur eux.
En mutualisant par la suite, beaucoup de stagiaires ont verbalisé le fait que cette expérience leur avait permis d’acquérir beaucoup plus confiance en eux. En tant qu’observatrice, un changement, une transformation voire une métamorphose ont opéré chez les apprenants. L’activité marionnette a été un élément impulsant une révélation chez certains au cours de cette formation.


Article issu de Cahiers de l'animation - Vacances loisirs. N°102 - Avril 2018