LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Robinsonnades francophones

Quoiqu’on puisse en dire, les enfants pour peu qu’on leur en donne l’occasion et la permission aiment toujours autant investir les bois et sous-bois et fabriquer, construire, inventer des histoires, se faire des aventures. Et ceci en pleine confiance et en toutes sécurités.
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Média secondaire

Outre Quiévrain (en Belgique) et de l’autre côté du Jura (en Suisse), l’animation bat son plein et les enfants s’en donnent à cœur-joie pour, qui se frotter aux richesses du froissartage et se faire des meubles, qui édifier des huttes, des cabanes suspendues pour jouer à en perdre haleine dans les plaines (aires de jeux) aménagées à cet effet. En ce début de 21ème siècle, il est toujours d’actualité de jouer dans les bois, de grimper aux arbres, de s’inventer des aventures champêtres et sylvestres. Plus que jamais !

Dans la confédération helvétique les cahiers Ceméa sont l’organe de publication du mouvement. Ils proposent une réflexion et des pistes concrètes d’action autour d’une thématique liée à l’éducation ou l’animation, plus généralement à l’accueil de mineurs en collectivité. Ils ont vocation à promouvoir et valoriser l’engagement éducatif et la diffusion des valeurs de l’éducation nouvelle à raison de trois numéros par an. En Belgique, les Ceméa de la fédération Wallonie Bruxelles publient tous les deux mois une revue intitulée Ceméaction. Cette publication relate aussi bien des expériences diverses de mises en agir de projets d’obédience éducation nouvelle que des réflexions pédagogiques concernant la société d’aujourd’hui sur des champs tels que l’éducation ou la psychiatrie. Le contenu de ces deux revues constitue un complément idéal des textes qui paraissent dans les nôtres.

Construire des installations en bois

Article de Marion Retat Marianne de Préville

Pourquoi faire des installations en bois ? Pour le plaisir de créer, de travailler avec des matériaux naturels. Pour vivre avec les enfants l’entraide, la solidarité, le « faire ensemble », le respect de la nature et des autres. Pour vivre un projet collectif, pour être « utile au groupe ». Pour permettre aux enfants de s’approprier leur lieu de séjour : ils en imaginent les espaces, créent les aménagements, à partir de rien. Quelques branches, des arbres, de la ficelle et quelques outils : voici une table pour l’atelier peinture, des bancs pour la représentation de l’atelier théâtre, un coin repos pour une sieste bien méritée… Les enfants y (re)découvrent le plaisir d’imaginer des constructions « grandeur nature », de créer de leurs mains. Ils sont d’autant plus acteurs de leurs vacances.

Pourquoi faire des installations en bois ? Pour que le reste de votre séjour soit confortable et plus aisé. Ce sera à vous de créer avec les enfants les installations qui vous seront utiles et pratiques, en fonction des autres activités de la semaine, du thème. Cette activité ne saurait constituer une fin en soi : elle prend son sens dans sa finalité pratique. Elle va servir votre séjour et les enfants goûteront au plaisir d’utiliser des constructions qu’ils auront créées du début à la fin, d’en imaginer les améliorations possibles pour une prochaine fois. Ces deux finalités de l’activité sont indissociables : le « créer-ensemble » et l’« utilité » donnent tout le sens aux enfants. À quoi bon passer du temps à construire quelque chose qu’on laisse ensuite de côté, qu’on n’utilise pas ? La création n’est-elle qu’esthétique ou ludique ? Difficile alors d’accepter de démonter son œuvre.

Le froissartage est une activité qui permet une réelle collaboration de tous les âges. Tous les enfants peuvent participer, à hauteur de leurs capacités et de leurs intérêts : les plans et les idées peuvent être mis en commun et lors de la construction, la « force musculaire » de certains plus âgés sera aussi utile que les petits doigts agiles de certains plus jeunes. Cependant, il convient de prendre en compte que, quel que soit l’âge, l’appréhension de la forêt peut être très différente selon les enfants. Tout le monde n’a pas eu l’occasion de toucher dès son plus jeune âge des feuilles mortes, de la terre humide, de découvrir des petites bêtes pleines de pattes en soulevant un caillou ou de prendre par mégarde à pleines mains un morceau de bois visqueux. Soyez donc bien vigilant à la familiarité des jeunes que vous allez accompagner avec ce milieu, qui peut être un monde plein de découvertes et de surprises, mais pas toujours agréable aux yeux de tous.

Quelques considérations générales en fonction des tranches d’âge Jeunes enfants, entre 3 et 5 ans

Jeunes enfants, entre 3 et 5 ans. Les jeunes enfants apprécient souvent de jouer avec les éléments naturels. Pour s’adapter à leur capacité de concentration, leur part dans l’activité doit être courte : ils peuvent aider à la décoration et à quelques tâches simples et rapides : recouvrir une cabane de mousse, apporter du petit bois… Cette activité avec ce public permet de travailler entre autres la motricité et l’entraide. Pour autant, prévoyez, dans le cadre d’un accueil de jeunes enfants seulement, d’avoir déjà au préalable monté la base des installations. L’idéal étant de l’avoir fait avec des enfants plus âgés, dans un principe d’entre-aide et de solidarité avec les plus jeunes. Vous pouvez vous reporter au cahier des Ceméa suisses n° 265 Activités nature pour les 2-5 ans qui vous donnera toutes les pistes nécessaires pour que vos séjours en nature avec des petits se passent bien.

 

Enfants, entre 6 et 12 ans. Les enfants de cette tranche d’âge sont souvent très intéressés et motivés par les constructions, d'autant plus en bois, feuilles, ficelle. Ils auront en revanche besoin d'aide et de soutien pour pouvoir construire des installations solides : les bois peuvent être lourds et les nœuds doivent être bien serrés. Prenez en compte qu’ils auront peu de patience et qu’il faut clairement leur annoncer la durée de l’activité, et souvent prévoir de la faire réaliser par plusieurs groupes : chaque groupe peut être responsable d’un meuble. Cependant, l'apprentissage des techniques peut se faire jeune : il conviendra alors de les aider à utiliser le matériel avec sécurité et à serrer les nœuds correctement. L’écart de familiarité avec le milieu de la forêt risque d’être très important pour ce public : sans électricité, les mains sales, autant de nouvelles situations du quotidien à construire et à surmonter pour certains.

 

Adolescent, à partir de 12 ans. Les adolescents sont à même d'imaginer des installations plus complexes et de se servir de techniques plus élaborées. Une fois les techniques maîtrisées, ils inventent des astuces, des constructions qui vous surprendront de par leur audace et leur ingéniosité : cabane suspendue toujours plus haut, poubelle en bois qui s'ouvre avec le pied, réfrigérateur-naturel… Plus patients, ils sont également plus à même de chercher des idées nouvelles pour faire face à une difficulté, ou de créer des constructions complexes par « défi ». Quelle que soit l'ambition de votre projet, la construction d'éléments en bois dans la nature et avec les éléments qu'elle nous propose nous permet donc de promouvoir ensemble l'action collective au service du groupe, la reconnaissance de la complémentarité des capacités, un usage raisonné des ressources de notre environnement. Voilà qui justifiait bien un article. Mais lorsqu’on m’a proposé d’écrire sur les meubles et d’autres éléments en bois, je me suis surtout rappelé avec plaisir tous ces bons moments passés, enfant, avec mes amis à imaginer ces installations, à couper et tailler, à créer ensemble, à m’apercevoir que finalement ça ne «marchait » pas et qu’il fallait tout repenser, tout refaire, la satisfaction de voir que finalement, si, « ça marche », puis les défaire, la tête pleine de souvenirs de jours merveilleux passés dans la nature… Alors je me suis lancée. ■

Une cabane n'est pas qu'une cabane

Article du Comité de rédaction de Ceméaction www.cemea.be et www.cemeaction.be

Lundi, 14 heures. La plaine de vacances prend ses quartiers depuis le début de la matinée. Alors que certains enfants découvrent les lieux, d'autres retrouvent les coins et recoins qu'ils avaient explorés l'été dernier. Quelques-uns retournent sur le lieu de leur ancienne cabane. Ils y avaient passé du temps, y avaient construit et imaginé toutes sortes d'histoires. Une année s'est écoulée et ces enfants ont bien grandi. Bien plus que pour y jouer ou s'y conter des histoires, ils se réapproprient les lieux, planifiant cette fois quelques travaux d'aménagement plus conséquents : « On voudrait imaginer un système de poulie qui nous permettrait de monter du matériel dans la cabane... Et y construire table et chaises pour y manger aussi. On a plein de choses à y faire, on pourrait y passer toute la journée ! » Les choses sont sérieuses ! Car pour ces enfants, dès ce premier jour de plaine, la cabane n'est pas juste un objet de rigolade. Ils y projettent déjà de nombreuses évolutions... et d'ailleurs, de « cabane », ils en viennent rapidement à parler de leur « camp » ; appellation chargée, quand on a 8 ans.

Lundi, 19 heures. L'équipe d'animation se réunit pour évaluer cette première journée. Et la question apparaît : laissons-nous jouer les enfants librement dans la cabane ? Car, il faut le préciser : elle est perchée au-dessus d'un mur, cachée au milieu des buissons. Il faut grimper jusqu'à la cabane pour avoir une vue complète sur celle-ci. Ce mur, ou plutôt le risque de chute du haut de celui-ci, est craint par plusieurs animateurs. L'équipe, partagée entre sécurité et intérêt des enfants laisse momentanément sa décision en suspens, pour se donner le temps d'observer comment cela se passera les jours suivants.

Mardi, 10 heures. Poulie installée, du matériel peut être acheminé du bas vers le haut du mur. Le sol est dégagé au balai, des cloisons végétales se dessinent... « Les filles n'y sont pas les bienvenues ! » s'exclament certains. « La cabane est pour tout le monde ! » répondent les autres. « Ok, tout le monde peut y aller, mais seulement en donnant le mot de passe ! » proposent finalement les premiers. Un bruit et une effervescence se perçoivent, même de loin. Des cris de joie, des cris de colère, des négociations de toutes sortes. Cette cabane reflète progressivement la vie du groupe d'enfants, ses ententes et mésententes, ses accords et désaccords. Certains jeunes animateurs hésitent à intervenir, à interdire ou à laisser faire. D'autres, plus expérimentés, cherchent à faire retomber la tension, à apaiser les relations, à détendre l'atmosphère.

Mercredi, 11 heures. Même effervescence, même joie, même activité. Jusqu'à ce que la coordinatrice du centre soit interpellée à plusieurs reprises par une voisine toute proche, un responsable communal et quelques parents, qui ne comprennent pas que des enfants puissent jouer dans un tel endroit, qualifié par ceux-ci de « dangereux ». Le mur devient le centre de toutes les préoccupations et la cause de nombreux désaccords, y compris au sein de l'équipe. Certains animateurs voudraient que l'on empêche l'accès à la cabane, d'autres y voient les enfants si heureux et investis qu'ils la défendent tant qu'ils peuvent. La coordinatrice tente alors un compromis : la cabane reste libre d'accès, mais l'espace est légèrement diminué, de manière à ce qu'aucun enfant ne longe le mur de trop près et ne risque de tomber. Afin de rendre cette limite plus concrète pour les plus jeunes, un animateur la marque en suspendant une corde sur tout le pourtour de la cabane.

Mercredi, 14 heures. Un enfant particulièrement impliqué dans le développement du camp propose à la coordinatrice de remplacer la corde par une véritable paroi. Il s'agit alors de réfléchir à sa construction... Où trouver des branchages en suffisance ? De quel outil s'aider pour construire la barrière ? Quelle technique de nœuds utiliser pour que celle-ci soit solide ? Une bêche est amenée à la plaine, ainsi qu'une corde bien résistante. Les enfants poursuivent leurs aménagements. Un hamac vient également prendre une place de choix au centre du territoire : « Au moins, comme ça, on ne sera plus debout le long du mur, mais on sera allongé à contempler toute la plaine à nos pieds ! » Et les filles ? Déçues et vexées de n'avoir pu entrer dans la cabane la veille, elles ont décidé de construire « une autre cabane pour les filles et tous ceux qui n'ont pas pu jouer dans le camp des garçons ! » Un autre territoire s'écrit, une autre histoire commence, avec tout autant d'effervescence que la première, en témoignent les joues rouges et les vêtements salis des filles au retour du jardin.

Mercredi, 20 heures. L'équipe d'animation constate l'énergie déployée par les enfants autour de ce camp, mais aussi la somme d'idées dont ils font preuve pour l'améliorer. Seconde observation : les tensions apaisées au fil du temps laissent peu à peu place à des liens de plus en plus forts entre les enfants. Les animateurs ne sont pour autant pas encore tous à l'aise avec l'idée de laisser les enfants aller et venir, transporter des scies et des haches, construire des barrières, marcher le long du mur, se disputer la place dans la cabane… Si ces craintes sont celles des adultes et non celles des enfants, la coordinatrice de l'équipe ne peut faire comme si elles n'existaient pas. Dans la formation pratique des animateurs sur le terrain, laisser les enfants prendre l'initiative de leur activité et leur faire confiance dans des situations qui pourraient être dangereuses pour eux, est un apprentissage délicat et progressif. Il ne s'agit ni d'interdire, ni de contraindre, mais de définir un cadre, de poser des règles et d'accompagner les enfants avec bienveillance dans la compréhension et le respect de celles-ci. Une telle réflexion prend du temps et nécessite la répétition de nombreuses expériences. Comment, alors, soutenir l'initiative des enfants, tout en écoutant les difficultés des animateurs ? Comment garantir la sécurité de chacun ? Comment encourager le déploiement de leur activité, sans que cela ne génère systématiquement tensions, voire conflits et disputes ? Un nouvel accord est pris au sein de l'équipe : un animateur sera présent à proximité de la cabane à chaque moment de la journée où celle ci est investie. Cette présence est envisagée comme un accompagnement des enfants dans leur activité et comme possibilité de rassurer les animateurs et les parents inquiets, et non comme une « surveillance » au sens strict du terme.

Jeudi, 9 heures. Un animateur est installé avec les enfants dans le camp. Une conversation s'anime avec celui ci, puis entre enfants. Ils vont et viennent, poursuivent leurs aménagements, y jouent, expliquent tour à tour leurs idées, s'y racontent des blagues. Ce lieu n'est plus uniquement celui de la construction, ni celui de la dispute, mais il est devenu un véritable lieu de vie au sein de la plaine.

Jeudi, 16 heures. L'adulte n'est plus vraiment nécessaire dans la cabane. Il s'en écarte, jouant au ballon avec des enfants à quelques mètres de là. Il est disponible si on l'appelle, mais sa présence physique ne semble plus aussi nécessaire qu'elle ne l'était encore le matin-même. En effet, les enfants ne le sollicitent plus, n'attendent plus sa présence pour faire vivre le camp. Le hamac joue toujours un rôle important au cœur du lieu et quelques règles garantissent son usage : « C'est chacun son tour ! Et ceux qui y ont été le matin laissent les autres y aller l'après-midi. » Le camp vit. On s'y repose, on y écoute des histoires. On s'y raconte l'atelier cerf-volant du matin ou les jeux de cache-cache de l'après-midi. Les parents, tranquillisés par l'intérêt que les animateurs ont porté à leurs craintes, y montent à leur tour quand vient l'heure de récupérer leurs enfants. Ils y découvrent un coin de nature au centre de la plaine, n'y voient rien de dangereux, mais simplement quelques enfants portés par leur projet.

Vendredi, 18 heures. La première semaine de plaine s'achève. Plus de cris, plus de mouvements. Finies les constructions, finie l'effervescence. Les enfants sont rentrés chez eux et les animateurs rangent et clôturent ces premiers jours d'expérience. Malgré cette sensation particulière qui marque la fin de quelque chose, la cabane est toujours là. Le hamac y est toujours installé, un début de cloison a été construit, une bêche et une brosse y sont rangées. Un fanion trône en haut du mur, on peut l'apercevoir à l'autre bout du domaine. La cabane est au repos, endormie… Elle attend les autres groupes, les autres enfants qui investiront ses murs, qui la feront résonner de rires, de disputes et de secrets. Et ce, durant tout l'été…

Une cabane n'est pas qu'une cabane