Rencontre avec Laetitia Guesdon, metteuse en scène de Penthésilé·e·s, amazonomachie

Rencontre avec les lycéens du séjour « j’y suis, j’en suis » qui ont vu le spectacle et préparé cette rencontre au cours d’un atelier le matin-même.
Média secondaire

Photo: © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

En préambule Julien, (pour calmer le groupe qui a tendance à s’exciter) présente un jeu de paroles « dans ma valise » et les adolescent·e·s présent·e·s jouent le jeu jusqu’au bout, c’est presque magique et je reste à chaque fois étonné de comment un simple jeu fonctionne aussi bien et ramène l’attention dans un groupe qui était dispersé. Le pouvoir du ludique est puissant.

Et puis le jeu se termine et le groupe se dissipe de nouveau : concours de grand écart, papillon avec les pieds...intermèlude d’adolescence. 


La metteuse en scène n’a rien à dire dit-elle ! Elle attend les questions, voici la première : 

Quel est son parcours ? 

Au milieu d’un parcours artistique (école du studio d’Asnières, assistante d’Antoine Bourseiller, expérience d’actrice dans "la maison de Bernarda Alba" de Garcia-Lorca...), Laetitia a fait une formation de commissaire-priseur.

Mais elle a toujours eu dans un coin de sa tête, comme un leitmotiv profond l’idée de diriger un lieu, c’est fait « les plateaux sauvages » sont nés.

Elle cherche à travailler sur les mythes (anciens et modernes), l’identité, l’exil, l’exode… elle a depuis toujours pensé que les écritures, la langue sont importantes. Dans son théâtre, tout de suite elle s’est attelée à la construction d’une bibliothèque. Elle aime passer commande à des auteurtrices. Elle mène un travail indiscipliné plus que disciplinaire et défend l’idée de la porosité entre toutes les formes d’art.

Pour Penthésilée, elle a fait une commande à Marie Dilesser d’un oratorio manifeste, comme un livret d’opéra dont il faudrait écrire la partition. La première version était un brûlot anti-homme, avec beaucoup de violence et pas beaucoup de perspectives. Elle avait plutôt besoin de raconter une réconciliation et après la lecture de la seconde version il lui a suffi d’opérer des coupes et le texte de la pièce était écrit.

Quelle est votre méthode de travail ?

« Je n’ai jamais éprouvé le besoin de jouer dans mes pièces, celles que je mets en scène, je préfère être dans l’ombre, chercher et trouver de l’argent, faire du doublage…

Ma méthode de travail est la suivante : je pars d’un principe c’est que l’acteurice est une créateurice, ielle interprète mais est aussi force de proposition. Je travaille beaucoup par processus : impros, compulsions, et la troupe s’empare très vite du texte.

À une question qui lui demande quelle est sa position par rapport au féminisme, Laetitia répond :

« Mon rapport avec l’engagement et le féminisme est ambigu, en effet je ne me qualifie pas de féministe (à vrai dire je ne m’attendais pas à une conf. de télérama, les questions sont leufs).

La violence, l’âpreté, le rigorisme, le chaos c’est bien joli mais qu’est-ce qu’on fait ensemble après ? L’avenir est à composer de concert. Comment on fait pour se rencontre lorsqu’on est les uns avec les autres ? Dans cette société de l’instantané, ma préoccupation principale c’est la propreté de mes chiottes. On est par trop dans l’instant, mais pas dans le présent. »

Elle n’a pas la langue de bois cette dame, c’est si rare que je ne peux le taire. Elle est brut de pomme et ça fait du bien !

Suit la lecture d’une lettre écrite par une jeune fille : pleine d’oxymorons, mêlés à des clichés, très adjectivée. Cette missive touche l’invitée, l’émeut. Et Laetitia renvoie des remerciements en écho, en miroir. Puis elle poursuit.

« En ce qui concerne le choix des acteurs, j’avais une vision oblique des choses et trois figures de Penthésilée. Ce qui m’a séduite chez Lorry Hardel c’est sa jeunesse d’abord puis qu’elle (moins rocailleuse, moins guerrière, moins mûre) n’était pas celle que l’on attendait.

Chez Marie Pascale Dubé , c’est plutôt son chant de gorge (quelque chose en lien avec les chants inuits, d’ailleurs elle est allée travailler avec eux son chant de gorge) et le fait que depuis toute petite elle râle. Enfin pour la figure d’Achille, chez Seydou Boro, burkinéen, c’est son immense talent de danseur, de tradition équestre qui m’a attirée avec un travail d’approche de la physicalité du cheval, ce qui fait lien avec le cheval de Troie.

Les quatre chanteuses forment un quatuor mais ce n’en est pas un ! »

Qu’est-ce que vous cherchez à montrer ?

« Dans le rapport avec la nature, le corps me paraît essentiel. J’ai beaucoup regardé le corps des femmes de pouvoir. Margaret Thatcher mettait son pubis en avant, laissant le masculin reprendre le dessus. Et d’ailleurs à chaque fois que j’ai pris du poids socialement, j’ai physiquement pris du poids aussi. Plus les femmes montent en grade plus elles possèdent des voix graves. Aucune femme ne se ressemble vraiment, et les humains portent leur histoire sur le corps, dans le corps. Pour Lorry, c’était la première fois où elle était vue telle qu’elle est réellement, le costume sur mesure qu’elle portait n’y est pas étranger. »

Un jeune lui demande si sa vision (assassiné·e ou suicidé·e, je n’ai pas réussi à savoir) de la pièce est juste, elle répond qu’il n’y a pas qu’une vérité.

« J’ai beaucoup fréquenté les hammams à Essaouira et consorts et j’aime cet entre deux mondes qu’est ce lieu où le corps se donne, se perd, perd un peu de lui et constitue un purgatoire, le styx, l’espace du secret ? J’ai aimé cela, ce là-là, ce lieu de sueur.
Achille ne sait pas parler, il n’a pas été initié et les amazones sont des prophétesses (avec leurs rituels initiatiques) qui l’initient. Lorsqu’il l’est, il se métamorphose. Ils s’aiment parce qu’ils se reconnaissent. »

Deuxième lecture d’une lettre ; « beaucoup de gonzesses » lance Laetitia, toujours aussi verte dans ses paroles. « c’est chaud les ami·e·s, c’est chaud », « il faut que vous me les envoyiez pour que je puisse les partager avec les acteurices », « hier restera-t-il aujourd’hui ? » (formule lapidaire s’il en est!)

Que pensez-vous de l’investissement des hommes dans le débat de l’égalité hommes/femmes ?

« c’est en train de changer, de muer, de muter, il faut laisser du temps aux gens, pas besoin d’attendre les mouvements me too, je connais des femmes qui sont des hommes, j’ai eu moi-même des comportements virils et je suis capable de beaucoup de tendresse et de douceur (cette douceur je la retrouve et la perçois dans les chants en araméen, et ceux du kaddish »

Quel regard portez-vous sur l’apport de la vidéo, de l’écran ?

« Le vidéaste est Benoît Lahoz.

J’avais envie, besoin d’un rapport avec la matière dans cette antre aride et dépouillée, je voulais qu’il y ait une fenêtre sur l’horizon et porter un regard sur une nouvelle guerre des mondes (orient/occident).

Je suis optimiste, la jeunesse est en train de reprendre ses droits, les rênes de la planète.»

Elle pose à on tour des questions : «qui fait du théâtre ? Qui a envie d’en faire son métier ?» Les réponses sont assez convenues mais font ressortir que la moitié des personnes présentes compte se lancer dans une carrière para-théâtrale.

Est-ce difficile de se lancer dans l’univers du théâtre ?

Ici aussi elle ne me ment pas et ne s’embarrasse pas de faux semblants : 

« On essuie beaucoup de retours (tout le monde a toujours quelque chose à dire, mais je n’écoute pas, ils renseignent plus sur ceux qui les émettent que sur le travail que je fais), il y a plus d’échecs que de réussites, c’est un métier très dur, on rentre dans l’art un peu comme on rentre dans les ordres, il faut être blindé·e et avoir confiance en soi. Pour ma part, mon objectif c’est de durer, pas de réussir un coup, un one shot et puis plus rien pendant dix ans. Il faut avoir des valeurs et s’y ancrer quoiqu’il arrive, coûte que coûte. Les royautés sont choses éphémères ».

« Ce que je place au-dessus de tout c’est l’indépendance, ce qui ne veut pas forcément dire : être libre. Dans le processus de création de ma compagnie, j’ai toujours un pied dedans, un pied dehors. Il faut se battre, tenir ses engagements, tenir les choses. Vous êtes une génération qui a plus que la nôtre, la mienne, conscience de son corps. Tous mes échecs, toutes les galères ont été là pour vivre ce moment avec vous. Je suis heureux de m’être vraiment cassé la gueule pour ça. »

Une rencontre pleine d’enseignements avec une femme qui sait ce qu’elle désire, où elle va, mais qui dans sa détermination fait preuve et de sincérité et de modestie. Empathique , elle parvient à distiller sa passion, à la transmettre, à passer un relais, à la décaler dans le temps.

Opiniâtre, elle a un réel projet affirmé et trace sa route, elle défriche et déchire. Un vrai et beau moment, une belle rencontre, appréciée de tous et toutes. Il faudra que j’aille faire un tour à Paris dans son lieu des plateaux sauvages, et son refus de la domesticité.

Les jeunes avaient préparé cette rencontre avec beaucoup de sérieux et n’ont pas hésité à s’exprimer, prendre la parole au travers de leurs questions ou de la lecture des lettres qu’il avaient écrites. Ce dialogue a ponctué tout un parcours artistique qui a démarré par un atelier, s’est poursuivi avec le spectacle et se termine ici dans la salle Béjart du Lycée St Joseph avec cette rencontre qu’ils et elles n’oublieront pas de sitôt.

Cela aussi les séjours le favorisent.