Rambarde pédagogique

Une petite histoire pour rappeler le rôle structurant des adultes et pour s'interroger sur le comportement des enfants et la notion de cadre.
Média secondaire
La première année que Mathias a passée à l’école, il n’y avait pas une journée sans qu’il tape un autre élève, ou qu’il ait un comportement agressif. Il était régulièrement puni par les enseignants. L’année suivante, Mathias s’est retrouvé dans la classe dont je m’occupais. En le côtoyant au quotidien, je perçu mieux son angoisse et sa difficulté à gérer ses émotions. Lorsqu’il devait lire ou parler devant la classe, il se fermait et prenait une attitude de défi. J’ai donc proposé quand il y avait quelque chose à lire ou à réciter, qu’il le fasse en tête à tête avec moi. Je me suis mis en face de son bureau et lui ait demandé de me le dire à voix basse. Je constatais qu’il connaissait parfaitement les contenus, mais que la difficulté venait de la gestion de son expression, qui générait une émotion intense. Je me rendis également compte, que dans cette situation, si j’établissais un contact physique en le tenant par le bras ou par l’épaule, tout en le rassurant : « tranquillement …», « prends ton temps… » Mathias s’apaisait et son expression devenait plus facile. Ce cadre protecteur a permis la construction d’une relation de confiance mutuelle et une espèce d’alchimie complice empreinte d’humour, dont il raffolait. Mais si ce cadre était bienveillant, il était également strict, et quand à plusieurs reprises, il a essayé de le déborder, pour voir si… Il s’est vite rendu compte des limites fixées. Petit à petit, Mathias a pris de plus en plus facilement la parole. Au fil des mois, il s’est mis progressivement à lire à haute voix pour les autres, à réciter, ou à pouvoir être le rapporteur d’un groupe de travail. Cette reprise de lien par la parole a influé sur son comportement et son agressivité envers les autres enfants a diminué.
Cemea

L’année suivante, Mathias est resté dans la classe dont je m’occupais, qui avait un double niveau. Personne n’aurait alors pu se douter des problèmes de comportements qu’il avait précédemment rencontrés. Puis, au cours de l’année scolaire, l’information de mon départ prochain de l'école circula. Alors que d’autres enfants m’interrogeaient directement sur le sujet, Mathias ne m’en parla jamais. Mais plusieurs fois, il vint me faire des allusions détournées. Au fur et à mesure que la fin de l’année approchait, il se mit à s’agiter et à montrer un comportement de plus en plus instable. Un jour où il trainait en classe après la sortie, je le pris à part : «Sur un pont, il y a une rambarde. On peut s’y appuyer pour regarder plus loin et en plus, elle vous empêche de tomber, ce qui est plutôt rassurant. Moi, je crois que c’est à cela que je te sers depuis deux ans et que tu es inquiet de ne plus avoir de rambarde lorsque je ne serai plus là…» Mathias me sourit d’un air entendu. «Je vais te dire ce que j’en pense. Tu as progressé. Ces progrès, ce sont les tiens. Et je sais que maintenant, tu es tout à fait capable d’avancer sans avoir besoin d’une rambarde comme moi…» Mathias me sourit de nouveau, puis il sortit de la classe.