Marcher en formation

Faire quelques pas n’empêche pas de parler, réfléchir et d’échanger de conserve quand l’actualité irrite et touche plus qu’à l’habitude (et ce peut être souvent) mais aussi lorsqu’il s’agit de discuter d’un sujet en formation. La balade délie les langues.
Média secondaire

On a peu l’habitude de travailler dehors, on a toujours l’impression que cela va être plus difficile de garder son sérieux et de pas être distrait·e. Mais on peut aller plus loin encore : travailler en mouvement ! Et si l’exemple cité suit de près les attentats du Bataclan, il n’en reste pas moins que cette expérience peut être mise en place dans toutes les formations et avec des objectifs différents. Socrate, dit-on philosophait en marchant !


Il n'y a pas si longtemps que cela, nous avons tous été sonnés, un samedi soir en découvrant sur nos écrans de télévision, dans nos radios ou sur nos outils connectés à internet l’horreur qui était en train de se vivre au Bataclan et dans les rues de Paris.
Le lundi suivant, comme beaucoup de mes collègues, j’avais devant moi un groupe de stagiaires, en BPJEPS « Animation sociale ».
Après le café traditionnel qui avait un drôle de goût ce matin-là, je les ai invités à partir par deux arpenter durant 40 minutes les rues de la ville en se racontant leurs trente dernières heures. Comment avaient-ils découvert l’actualité ? Qu’avaient-ils ressenti, dit à leurs enfants, leurs amis, leurs parents ?
Lorsque le groupe fut de retour, je leur ai proposé, s’ils le souhaitaient, de dire quelque chose à l’ensemble du groupe. Quelques mots ont été posés avec beaucoup de pudeur, quelques questions, quelques inquiétudes, quelques regards. Et puis nous avons repris le programme de notre journée de formation.
En fin de journée, une heure avant de nous quitter, puisqu’ils étaient redevenus des professionnels en formation, je leur ai demandé de reparler de ce que nous avions vécu le matin même.

Cemea

Une mise à distance nécessaire

Les prises de paroles furent beaucoup plus nombreuses ; ils avaient pris de la distance. Dans un premier temps, ils m’ont surtout remerciée de leur avoir permis de s’exprimer en intimité, puis ils ont raconté la façon dont ils se sont parlés du drame tout en marchant dans une ville qui se réveillait, en croisant des enfants en retard pour l’école, des passants avec leurs cabas, comme tous les jours… Certains ont choisi d’aller marcher dans le parc voisin, d’autres ont préféré les rues très commerçantes, d’autres les rues désertes. Tout en marchant et en parlant, ils ont senti la boule coincée dans la gorge se dissoudre tout doucement ; ce n’est pas qu’ils oubliaient, c’est qu’ils digéraient.


Ils ont fini, en revenant sur l’outil qu’était la marche dans un groupe ; marcher pour mieux se parler, se séparer pour mieux se retrouver. La marche est devenue ce jour-là un outil leur permettant de mieux vivre dans leur société, dans leur groupe, dans leur tête, avec des sentiments, des peurs et des craintes. Un outil d’animation sociale !

Depuis ce jour-là, je propose régulièrement aux groupes en formation d’aller faire un petit tour pour se parler. Ils vont échanger sur la lecture d’un texte, après avoir visionné un film, en revenant de stage. Parfois ils se choisissent, d’autres fois ils tirent au sort leurs partenaires de marche ; ils sont deux, trois, quatre ou cinq. La marche est devenue un outil supplémentaire d’animation.

Que l’on soit en ville ou à la campagne, on ne dit pas la même chose assis dans une salle qu’en marchant à ciel ouvert.

Recette pour travailler en marchant

Imaginez-vous vous lever de votre chaise durant un temps de travail plutôt formel, partir par groupe de trois, et faire le tour du quartier pendant 30 minutes. Un seul objet au travail, une seule consigne : faire le bilan d’un moment collectif ou d’une démarche, un quoi de neuf dans vos secteurs, vos structures, un recueil de propositions pour résoudre un problème. De retour, mettez en commun le fruit des tous ces échanges et vous serez étonnés du niveau de parole et de la quantité d’échanges.
Rester assis toute une journée en réunion est souvent contre-productif. On change plusieurs fois de position sur son siège sans jamais trouver la bonne, on va aux toilettes, on boit un café et lorsque le coup de barre arrive, on tente tout ce qu’on peut pour ne pas s’endormir. Et si, dans ces moments-là, où notre esprit est mobilisé par notre bien-être physique on se mettait à marcher pour se recentrer sur notre sujet de travail ? Joindre l’utile à l’agréable. Discuter de nos projets tout en se promenant dans le parc du centre-ville serait peut-être un moment plus agréable pour se projeter dans l’avenir qu’entre les quatre murs d’une salle de réunion. Un bon moment ? Pas seulement. Plusieurs études mettent en avant les bienfaits de la marche sur notre capacité à la création.Pour ma part, je trouve qu’effectuer un « morceau » de réunion à l’extérieur donne une meilleure atmosphère au travail, je m’y trouve souvent plus concentrée et plus efficace. En revanche, tout n’est pas possible. Quelques contraintes :
– Trois personnes pour échanger tout en marchant, ce n’est déjà pas mal. Plus, nous risquons de ne pas bien nous entendre où de nous diviser en deux groupes.
– Connaître son itinéraire évite de passer du temps à chercher son chemin, faire un aller-retour sur un chemin de campagne nous permet de rester centrés sur notre échange tout en contemplant le paysage.
– N’utiliser notre téléphone que pour programmer le « bip » de retour. Il faut apprécier ces moments où nous pouvons nous parler sans être chacun en veille sur nos écrans.


Article issu des Cahiers de l'animation - Vacances loisirs - Janvier 2018