LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Et si l’âge ne changeait rien à l’affaire ?

L’approche de l’activité manuelle souvent proposée auprès des publics d’enfants se vit quasi à l’identique avec un public de personnes âgées. La situation d’activité provoque encore apprentissage, relation, mise en mouvement. On n’arrête pas d’apprendre.
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Média secondaire

Quand on prend de l’âge, on fait encore des projets d’avenir et on a envie d’améliorer son cadre de vie et d’agir sur son environnement. Le jardin par exemple est un lieu apprécié mais il faut en imaginer le mobilier. Pour cela un atelier de fabrication d’objets en bois se met en place et chacun et chacune avec ses savoir-faire y participe, certains ou certaines ont besoin d’observer avant de se lancer. Il est nécessaire bien sûr d’adapter les conditions de l’activité à ce public de personnes âgées à qui on n’a pas l’habitude de proposer ce type d’animation. L’échange est riche et les participant.e.s n’ont pas perdu leurs gestes même si leurs mains ont vieilli. Deux animatrices intervenantes ont été invitées à encadrer une semaine d'activités manuelles avec les résidents d'une maison de retraite. Le projet consistait à fabriquer divers objets et du mobilier destinés à aménager et agrémenter un coin de jardin de la résidence : table à rempoter, nichoirs, éoliennes, jeux de société... Quelques instantanés commentés témoignent de l'intensité et la profondeur de la rencontre.

Aménager et adapter

Ce projet en maison de retraite nous l'avons préparé. Un nouveau public pour nous, un lieu un peu particulier, il nous fallait l'anticiper. Un travail assez conséquent que nous avons réalisé en collaboration avec l'animatrice du lieu d'accueil. Une multitude de petites choses que nous avons réfléchie ensemble : la hauteur des plans de travail pour que les fauteuils roulants puissent se glisser sous les tables, l'adaptation de notre espace d'atelier pour ne pas multiplier les déplacements des résidents, l'adaptation de nos outils et du rythme de travail... Avec un peu d'appréhension lors de la première séance, nous nous apercevons que cela fonctionne. Les résidents semblent trouver petit à petit leurs marques. Nous réadaptons certaines choses en cours de route. Ce qui est assez remarquable avec eux, c'est leur faculté à nous dire ce qui est bon pour eux. Il faut juste écouter, observer, être en capacité de réadapter.

Dans ce projet, ce fut peut être le travail le plus intéressant : construire l'activité avec eux, avec une réelle prise en compte de leurs capacités, se réinterroger sur notre pratique de l'activité.

Les adultes, parfois à l'inverse des enfants, sont capables de verbaliser leurs difficultés, leurs envies et n'hésitent pas à nous le dire. Écoutons-les. Du reste, ils ont su nous dire lorsque cela n'allait pas ou qu'il fallait changer un peu les choses. Nous qui intervenons principalement avec des enfants, nous avons souvent un rythme au sein de l'activité assez soutenu... Ici ce ne fut pas le cas ! Nous avons pris le temps de faire les choses, de ne pas commencer exactement à l'heure parce que tout le monde n'était pas prêt le matin ou n'était pas bien réveillé, d'écourter les séances parce que les résidents commençaient à avoir faim... bref, le rythme que chacun peut parfois avoir lorsqu'il travaille pour lui-même. Qu'est ce que cela fait du bien de prendre le temps !

Anna et le compas

Anna était sabotière. Un métier qui n'existe plus, mais un métier dont les savoir-faire étaient nombreux. Autant dire qu'elle a beaucoup de choses à m'apprendre ! Pour ce projet, Anna s'est lancée dans la fabrication d'une éolienne. Anna est assez vite à l'aise dans ce projet de fabrication, l'utilisation des outils ne semble pas lui poser de problème. Petit à petit, nous discutons ensemble de ce qui se passe ici et ailleurs, de son passé, de sa vie, de ma vie. C'est fou comme cette mise en activité est propice à ce que nous partagions quelques tranches de nos vies. Son métier me passionne, j'ai envie de savoir. Je suis une « jeune » dans une maison de retraite, sûrement qu'Anna a envie de comprendre pourquoi je suis là.

Nous avançons dans la construction de l'éolienne jusqu'à ce que surgisse une difficulté. Nous avons besoin d'un compas. Je perçois chez Anna une interrogation vis-à-vis de cet « outil ». Anna ne semble pas le maîtriser. Elle me confie qu'elle n'a jamais eu l'occasion de s'en servir. Je lui explique comment l'utiliser pour réaliser l'hexagone dont nous avons besoin pour ce projet. À ce moment précis, je repense aux principes qui guident notre action aux Ceméa, notamment lorsque nous défendons l'idée de l'apprentissage tout au long de la vie. Le compas peut sembler insignifiant sauf qu'à ce moment-là, Anna, dans cette situation, a su se mettre en apprentissage, libérer et exploiter son potentiel créatif parce qu'elle en avait besoin. Anna a peut-être 70 ou 75 ans mais elle me prouve qu'elle a encore envie d'apprendre, d'aller vers l'inconnu, vers ce que l'on ne sait pas.

Les mains de Robert

Robert n'est pas venu à l'atelier dès le début. Le premier jour, il est resté un peu loin de nous, observant avec attention ce que nous faisions. Puis, il nous a rejoint et il ne nous a plus quitté. Nous avons bien vu qu’il avait une connaissance bien plus grande que nous du « bricolage ». D'abord sceptique sur les objets que nous réalisions, il nous a proposé son aide sur la table à rempoter, l'objet peut-être le plus « technique » du projet – ce n'est certainement pas pour rien.

Petit à petit la relation s'installe et les mains se mettent au travail. Ses mains sont âgées mais il semble qu'elles n'aient rien perdu de leur dextérité. Elles retrouvent les gestes habituels de quelqu'un qui connaît le travail du bois. Robert caresse la planche, comme un ébéniste, pour voir si elle est d'équerre. Avec lui, le geste est précis, les mesures sont exactes. Et puis il se met à écrire. Écrire les cotes, les mesures de la table comme tout artisan ou bricoleur peut le faire.

En même temps que le travail avance, Robert nous fait part d'une multitude d'astuces pour travailler le bois. Nous sommes à l'écoute, enregistrant tout ce qu'il peut nous dire. Nous partageons nos impressions, nos connaissances comme des personnes peuvent le faire lorsqu'elles sont passionnées par quelque chose. Nos centres d'intérêts communs permettent de dépasser nos cinquante ans de différence.

Pour Robert, ce projet est l'occasion me semble-t-il de retrouver des activités qu'il a certainement toujours faites : bricoler, travailler, construire, créer. Des activités qu'il est encore capable de faire, des gestes dont il a envie, besoin peut-être, et qui sans doute ont cessé lors de son entrée à la maison de retraite. L'usage de nos mains, y compris dans l'ordinaire de nos vies (jardiner, réparer, construire, cuisiner) est plus qu'une preuve de vie, nos mains en action nous font exister.

Photo de famille

Il est 15h30. Nous prenons le goûter et la semaine d'activités se termine. Une semaine à faire, à discuter, à être ensemble. Je crois qu'à ce moment-là, pour les résidents, je ne suis plus l'intervenante activités manuelles mais Sabine. Ils ne sont d'ailleurs plus des résidents anonymes pour moi non plus. Aujourd'hui, cinq mois après notre venue, ce terme « d'intervention » me semble inadéquat. Il suppose une mise à distance (certes nécessaire) mais qui dans ce projet, s'est peu à peu transformée en l'envie d'être ensemble, entre adultes, réunis autour d'un même projet.

Ces personnes ont l'âge d'être mes grand-parents. Enfant, j'aimais être et faire des choses avec mes grand-parents. Comment Monique, Henry, Robert, Germaine, Jeannette, Michelle, Henriette, Anna ont-ils vécu cette semaine de projet ? Peut-être comme une « simple » proposition d'activité de plus au sein de leur maison de retraite. Un intervenant, un groupe, une activité. Peut-être comme moi, une semaine où un groupe se rencontre, partage un moment de vie et a envie d'être ensemble. Et si l'activité était aussi un prétexte pour partager un moment, créer des relations, se rencontrer? Je retournerai les voir pour le leur demander !