De la sensibilisation aux handicaps…
Pour nous, groupe « accueil d'enfants porteurs de handicap » des CEMEA Pays de la Loire, sensibiliser aux handicaps n'a de sens que si cela permet d'agir en faveur de l'intégration des personnes en situations de handicap, de leur permettre de jouir pleinement de leurs droits. C'est à dire que derrière cela, il y a bien sûr la volonté de combattre la peur du handicap, et de favoriser la rencontre, mais également de rendre compte des inégalités et des situations d'exclusions que vivent encore bon nombre de personnes en situation de handicap, et donc des luttes qu'il reste à mener.
Jouer au handicap.…
Jouer au handicap est une pratique qui se développe massivement dans ces guides et ateliers de sensibilisation aux handicaps. Ce sont tous ces ateliers qui mettent des personnes dans « des situations de handicap ». Par exemple c'est un atelier où les participant·e·s ont les yeux bandés et doivent manger un goûter, ou le fait d'effectuer un parcours en fauteuil roulant, ou encore jouer à un jeu sans connaître l'ensemble des règles.
Ces situations proposées ont pour objet de sensibiliser respectivement à : la cécité/mal-voyance, le handicap moteur et le handicap mental. Si nous sommes convaincus que ce qui anime la majorité des personnes à l'origine de ces ateliers est bien une volonté d'agir en faveur de la place des personnes en situations de handicap dans la société, il nous semble important de poser des questions sur l'intérêt pédagogique de ces activités. Prenons pour commencer l'exemple de l'activité effectuée les yeux bandés. Le ou la participant·e sera forcément dans une situation de perte de repères, se retrouvera en difficulté. Cette personne n'a pas le temps d'apprendre à utiliser une canne, à développer son attention sur d'autres sens. Qu'en retiendra-t-elle ? Qu'il est difficile d'être mal-voyant ? Peut-on baser l'intégration et la défendre dans notre société sur des bases de pitié ?
Souvent il est affirmé dans les objectifs de ces ateliers de ne pas vouloir développer de la pitié. Il faut donc que l'atelier ne dure pas trop longtemps, et que les participant·e·s découvrent aussi des activités intéressantes que peuvent vivre des personnes en situation de handicap... Il n'est ainsi pas rare que ces ateliers de sensibilisation se terminent par un jeu ou une approche de handisport. Néanmoins si l'objectif est de rendre visible des activités, des jeux, des sports développés par des personnes en situation de handicap, la sensibilisation est·elle le meilleur moyens d'y répondre ? Pourquoi de ne pas aller voir un match d'un handi-sport quelconque, une exposition, et une rencontre avec des personnes qui pratiquent ces activités ? Ces ateliers prétendent vouloir créer de la rencontre mais mettent en place des artifices pour éviter de vraies rencontres!
Dans certaines situations les ateliers « jouons aux handicaps » précédent des rencontres telles que décrites plus haut. Mais est ce que le fait d'avoir eu les yeux bandés pendant quelques dizaines de minutes apporte réellement quelque chose à la rencontre ?
Ces ateliers ont aussi comme objectif de mieux comprendre ce que vivent des personnes en situation de handicap et de mieux percevoir comment les aider ou accompagner. Nous pensons qu'il est impossible de « se mettre à la place de ». L'empathie n'est pas la capacité à « se mettre à la place de » mais bien la capacité à se représenter et d'être affecté par ce que vit l'autre. De plus, il nous semble important de permettre à chaque personne, qu'elle soit en situation de handicap ou non, d'être considérée comme sujet à part entière, comme actrice de ce qu'elle vit. Si ces ateliers « jouons aux handicaps » ont la volonté de développer chez les participant·e·s des capacités d'aide et d'accompagnement, ils le feront de manière normative. Il n'y a pas une manière d'accompagner une personne mal-voyante, il y en a plusieurs, et même plusieurs par personnes selon qu'elle vous connaît, son humeur, son vécu, son parcours, son genre, sa sexualité... Il nous semble important de rappeler que l'accompagnement et l'aide des personnes en situation de handicap se fait bien dans l'échange et la construction avec la personne concernée.
Il nous semble néanmoins que certains de ces outils peuvent être ré-exploités. Ainsi, s'il est impossible (et certainement inintéressant) de se mettre à la place de, nous pouvons utiliser des outils similaires pour explorer et travailler la posture d'accompagnant·e. Accompagner une personne les yeux bandés peut avoir du sens pour repérer des « réflexes d'accompagnement ». En effet suite à un temps d'accompagnement, nous pouvons discuter et échanger sur la prise de décision par exemple. En effet, nous observerons que souvent la personne qui accompagne va décider des endroits à visiter, de la manière d'accompagner (la main sur l'épaule, tenir le bras...). Une utilisation de ces techniques de sensibilisation à la posture d'accompagnant·e nous semble plus intéressant car au travers d'une situation fictive, c'est bien du vécu de l'accompagnant dont nous allons parler. Nous ne savons jamais rien à la place de l'autre, voilà ce qui nous semble important de retenir. Et toute sensibilisation doit se baser sur ce postulat.
Quels types de sensibilisation pouvons nous mettre en œuvre alors ? Si sensibiliser a pour objectif d'agir en faveur de l'intégration, tel que défini au début de ce texte, nous pensons qu'il s'agit d'abord de prioriser l'organisation de rencontres. Des événements (tel que Handiclap à Nantes) rentrent pour nous entièrement dans ce cadre. Il s'agit au travers d'un projet de créer des espaces de rencontres entre personnes dite valide et personnes en situation de handicap. Ne reste plus qu'à trouver un support à ces rencontres (promotion d'activités culturelles, sortie commune, invitation entre des centres). A nous (équipes éducatives) d'accompagner cette rencontre, de favoriser le « vivre ensemble » tel que nous le faisons ordinairement, au travers de jeux, d'activités communes, ou même simplement de partage d'espace. Nous pouvons aussi échanger sur le handicap, parler de nos représentations, avant de vivre la rencontre (différents supports peuvent exister : photolangage, albums jeunesses...). Mais se contenter de « vivre une situation de handicap » au lieu de vivre des rencontres nous semble très limité, voir même dessert les intentions affichées. En effet, ces actions de sensibilisation permettent de dire que des actions en faveur des personnes en situation de handicap existent, sans pour autant se rencontrer. Provoquons les rencontres au lieu d'en parler, voilà qui sera certainement plus utile dans la lutte contre les discriminations et exclusions, et pour la possibilité pour tous et toutes de jouir pleinement de leurs droits ■
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L’Anim’acteur·ice
L’Anim’acteur est un journal semestriel, gratuit, édité par les CEMÉA Pays de la Loire, à destination des acteurs et actrices de l’animation.