Danger ou prise de risque ?

A Bologne en Italie, à la crèche Il Nido Betti ou à l’école maternelle Cantalamessa l’éducation à la prise de risque est à l’honneur. Sans mise en danger, les enfants expérimentent, utilisent des objets qui demandent de l’attention, se confrontent aux conditions climatiques.
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Il y a quelque chose d'antinomique dans le fait de faire prendre des risques à un enfant sous couvert de volonté éducative. Aussi est-ce bien la différence entre « danger » et « prise de risque » qu'il convient de distinguer. Une certaine conception de la liberté et de sa transmission, n'est-elle pas au cœur du sujet ? Le projet politique d'un gouvernement en matière d'éducation et sa mise en œuvre ne sont-ils pas l'adrénaline qui fait vibrer ses futurs citoyens ?
Média secondaire

«Toute sa vie il faut faire des choses dangereuses, il faut faire des choses qu'on ne sait pas encore faire. Le fait d'exister, le fait de bouger me paraît quand même plus intéressant que le fait d'être prudent. Il est urgent de ne pas être prudent. Il faut être imprudent. Il faut se tromper, il faut vous tromper et, je le dis à mes filles, il faut essayer. Vous vous cassez la gueule et bien vous vous cassez la gueule. Et puis quoi ? On n’en meurt pas… »

Ces quelques phrases sont tirées de deux interviews de Jacques Brel. Ce sont celles d'un homme épris de liberté et celles d'un père. Un « mauvais père » selon ses dires. Les considérations de Brel peuvent constituer l'ouverture de ma réflexion sur la prise de risque tant elles s'enracinent dans une conception farouche d'émancipation de l'individu.

Des regards discrets mais régulateurs

Cemea

À Bologne, dans la crèche Il Nido Betti – le nid Betti – certaines pratiques nous ont étonné·e·s mais elles nous ont cependant ravi·e·s. La température était proche de zéro degré et cela n'a pas empêché les enfants de sortir et de mettre les mains dans la terre très froide, bêchée par une éducatrice. Certain·e·s avaient des bonnets, d'autres pas, mais ils·elles étaient néanmoins correctement vêtu·e·s et portaient tous·tes des vêtements plastifiés, pratiques pour l'extérieur et circulant d'enfant à enfant puisqu'ils ne sont pas nominatifs. Un travail progressif avec les parents a été nécessaire pour qu'ils acceptent cette disposition et d'une manière générale pour que leurs enfants aillent davantage à l'extérieur.

Les éducatrices intervenaient peu mais observaient « activement » beaucoup. Elles se plaçaient à des endroits stratégiques pour couvrir de leurs regards croisés l'ensemble de l'espace assez vaste dans lequel jouaient les enfants. Elles restaient attentives aux signaux du corps. La communication visuelle entre elles était tout à fait perceptible. Pas de cri, pas de réprimandes non plus. La direction choisie est d’être inductif, non directif.

Autre fait marquant, beaucoup d'enfants se promenaient avec un bâton qui provenait des branches des grands platanes du parc de la crèche, bâton quelquefois très pointu. Il était évident que les enfants avaient appris le maniement du « bout de bois ». Ce que nous-mêmes avons appris c'est que, pour les nouveaux arrivants, cette transmission des règles se faisait par l'observation des autres. Il régnait beaucoup de sérénité dans cette structure, comme d'ailleurs dans les autres structures que nous avons visitées.

Vers des jeux presque sans adulte

Près d’un stade se trouve l'école maternelle Cantalamessa. Les parents sont associés aux activités de l'école depuis trois ans. Ils ont creusé, avec leurs enfants, une mare dans le parc de l'école. En été, ils viennent arroser le jardin pédagogique et profiter de la récolte. Dans cette école nous avons pu observer, dans des conditions privilégiées, une scène très intéressante.
Invités à prendre le café nous nous sommes retrouvés dans une petite pièce vitrée surplombant une salle d'activité dans laquelle jouaient des enfants d'environ cinq ans. Pendant un bon quart d'heure nous avons ainsi échappé à leur regard. Dans cette salle pas très grande, plusieurs groupes étaient formés et jouaient à divers jeux. Les enfants étaient en autonomie complète. Un groupe a décidé d'en terminer avec la dînette copieusement étalée sur la table centrale de la pièce. Pour cela, tous les enfants se sont mis à ranger spontanément et avec application : première surprise.

Puis ils sont passés au jeu suivant : un voyage en car. Les enfants se sont mis les uns derrière les autres, sur des chaises, aux ordres d'une petite fille qui a pris le pouvoir et a voulu régenter les agissements de ses cinq ou six covoyageurs. C'est elle qui conduisait le bus et au fil du jeu elle ne s'est pas gênée pour réprimander ceux qui ne suivaient pas ses volontés et voulaient sortir du rang. Elle n'a pas hésité à se déplacer et à hausser le ton. C'est alors que nous avons vu une éducatrice faire son apparition et parler brièvement « au tyran » : deuxième surprise. Immédiatement après le départ de l'adulte, le calme est revenu, le groupe s'est scindé en deux. Les « fidèles » ont poursuivi le jeu avec leur leader, les autres sont partis dans un autre jeu.

Un autre monde si près de chez nous

Ces deux exemples, Il Nido Betti et Cantalamessa décrivent deux situations dans lesquelles l'éducation à la prise de risque est tangible. Dans le cas du Nido Betti, on a fait le choix de laisser les enfants expérimenter – terre, bâtons, pont de singe, balançoire ; à Cantalamessa, les enfants jouent seuls dans une pièce, à l'abri du regard des adultes, même si ceux·celles-ci ne sont pas loin et peuvent intervenir à tout moment. Dans les deux cas nous n'avons jamais vu les enfants se mettre en danger, ni les adultes les mettre dans une situation dans laquelle ils auraient pu s'y trouver. En revanche, les conditions mises en place pour que les enfants puissent expérimenter, tester leurs limites, s'affranchir du conseil ou de l'interdit de l'adulte, conduisent les enfants vers davantage d'autonomie et les responsabilisent.

Le système administratif italien favorise l'émergence d'une pédagogie au service de l'émancipation de l'individu, puisque les prises de décision s'effectuent au niveau local et que les acteur·trice·s dans leur ensemble, se côtoient et collaborent dans une dynamique commune. Dans notre pays, quand trouverons-nous la cohérence nécessaire, mue par une courageuse volonté politique, pour que les enfants de la République, nos enfants, aient toutes les conditions pour devenir des adultes épanouis et responsables ?


Destinée à l'origine aux jeunes enfants, la pédagogie Reggio est une philosophie et une pratique de l'éducation, développées au cours des années Soixante par Loris Malaguzzi dans sa ville de Reggio Emilia. les enfants ont une motivation et une capacité extraordinaire d’apprentissage de toutes choses ; il suffit de ne pas les en empêcher et de leur en fournir les moyens. Cette approche fait d'une crèche ou d'une école un espace d'exploration riche en ressources, lieux et moyens par lesquels enfants et adultes explorent, découvrent, apprennent et pratiquent en commun.


 

Pour aller plus loin

"Le développement sain de l’enfant par le jeu risqué extérieur : un équilibre à trouver avec la prévention des blessures"

par Émilie Beaulieu et Suzanne Beno

Publié par la société canadienne de pédiatrie

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