Bouger les lignes

Regards singuliers sur une expérience particulière qui produit un changement substantiel au sein du groupe, à travers une rencontre improbable et inattendue qui ouvre le champ des possibles et marque d’une pierre blanche la réussite de chacun et chacune.
Média secondaire

Les échanges, les rencontres entre deux publics dans l’animation sont monnaie courante mais il n’est pas certain que cet échange-là soit si répandu dans le monde de l’éducation. Un groupe de stagiaires en animation professionnelle (niveau V) qui rencontre  un groupe universitaire de thésards suivant une formation à la médiation scientifique, ce n’est pas banal. Et les effets en sont bénéfiques pour chacun et chacune. Chaque groupe a un projet et, au sein de celui-ci, développe un projet commun porteur de sens. Les activités scientifiques supports de cet échange sont propices à des réflexions croisées. Et ce projet a pu pour les stagiaires BAPAAT leur permettre une appropriation de la démarche scientifique et de vivre l’expérience d’une réussite individuelle et collective.


Nous avons proposé des ateliers ponctuels destinés aux publics suivis dans le cadre d’actions insertions, et enfin, plus récemment dans le cadre de formations types Cape Métiers. Nous avons eu de multiples occasions de tester différentes formes d’ateliers. J’ai le souvenir d’un grand moment en piscine avec des élèves de 4ème autour de « Tout corps plongé dans un liquide…» ressort mouillé (!) – j’ai eu l’occasion de recroiser certains de ces collégiens par la suite à l’occasion de Bafa. Ils avaient grandi et conservaient un souvenir joyeux de leur compréhension et de leur appropriation du théorème d’Archimède. C’est quand même sympa quand des moments de formation peuvent laisser ce type de « traces ». C’est donc assez naturellement que nous avons envisagé cette thématique en support technique à part entière d’un Bapaat loisir du jeune enfant.

Une rencontre insolite et improbable

Cette année, le formateur référent de ce support ADTS (Activités de découvertes techniques et scientifiques) devait tutorer, comme l’induisent ses fonctions de chercheur, une formation à la médiation scientifique destinée à des thésards, et dans le même temps des ateliers pour des animateurs stagiaires de niveau V d’une durée d’environ 70 heures. C’est ce qui a donné l’idée d’une rencontre entre ces deux groupes de stagiaires. Elle a été organisée à l’occasion de la semaine de la science autour de l’accueil d’enfants d’écoles primaires. Des ateliers de sensibilisation ont été mis en place au CNRS (Centre national de recherches scientifiques) avec une co-animation entre les étudiants chercheurs et les stagiaires Bapaat. Je n’aurais pas imaginé des stagiaires Bapaat au CNRS sans cette circonstance. L’évaluation de ce projet a confirmé que tous les protagonistes et participants y avaient trouvé leur compte. Chacun, par son regard, sa sensibilité, son expérience d’animation et/ou ses compétences scientifiques a permis une analyse assez complète de ce qui pouvait se passer entre enfant et animateurs autour des activités scientifiques ; ce qui a fait de cette séance d’observation et d’échange un grand moment de formation. Les étudiants chercheurs ont apprécié les apports ludiques de l’agir, de la sensibilisation. Les stagiaires Bapaat ont apprécié les aspects vérifiables scientifiquement. Du côté de la coordination de cette formation Bapaat, connaissant les spécificités de cette typologie de public je m’imaginais bien que le suivi en serait particulier. Ces stagiaires ont des parcours de vie et des parcours scolaires souvent mouvementés pour certains, chaotiques pour d’autres. Autant dire que tout ce qui peut ressembler pour eux à « du scolaire » comme ils disent, éveille immédiatement des résistances importantes tant conscientes et assumées que sous-jacentes et responsables d’une inertie certaine. Tenir le cadre, rappeler les attendus, établir des liens entre le travail au sein des structures de stages et les différents apports de la formation, nécessite un équilibrage à réajuster sans cesse. Celui-ci permet de rester dans une dynamique ; on n’a pas le temps de s’endormir, de ronronner ou de s’imaginer que tout roule. Toutefois il y a des surprises à observer, des changements d’attitudes là où on ne les attendait pas. En fin de formation, nous constatons que beaucoup ont gagné en confiance en eux.

Cemea

Comme un changement radical de l'image de soi

Il nous semble qu’ils ont une meilleure image d’eux-mêmes. Physiquement, c’est même perceptible au fait qu’ils se tiennent de manière plus tonique, plus droite. Curieusement, on a la sensation qu’ils se déplient. Ils respectent plus facilement les cadres, les attendus et répondent mieux aux attendus de la formation. Découvrir quels observateurs ils sont par le biais d’une approche active aura été un grand moment pour impulser la démarche. Ils en reparlent tout au long de l’année parce que cette connaissance d’eux-mêmes, de leurs potentiels et de leurs capacités les confronte à des possibilités de se situer du côté de la réussite. La démarche scientifique qu’ils découvrent et apprennent à utiliser apporte aussi une dimension tout à fait étonnante pour eux : le droit à l’erreur. Formuler une hypothèse sous la forme d’une affirmation puis imaginer des étapes qui permettent de confi-mer que l’on avait « raison » ou infirmer en faisant la preuve que l’on avait « tort » devient vivant, dynamique et ludique. Il est même possible d’observer dans les attitudes de certains de nos stagiaires une impression de les voir se déplier, se redresser. Comme s’ils prenaient confiance en eux, se réconciliaient avec le champ de leurs possibles. Leurs capacités d’auto-sabotage sont moins présentes avec ces évolutions.

Il y a des allers-retours tout au long de l’année à des rythmes singuliers et propres à chacun. Le fait de maintenir le cap, l’exigence et la rigueur est nécessaire à ce processus comme un tuteur permet à la plante de pousser dans de meilleures conditions pour sa croissance. Position pas toujours confortable pour le formateur qui gagne à être également cohérente avec les postures respectives des autres formateurs intervenant dans cette action de formation. Nous y veillons tous du mieux que nous pouvons. Nos échanges en équipe permettent de croiser les observations et le constat final est encourageant. Nous observons un vrai processus d’épanouissement et d’autonomie. Nous voyons ces stagiaires ne plus hésiter à proposer des ADTS sur les structures avec leurs publics et les tuteurs se disent satisfaits des activités. En bilan de fin d’année de formation, certains conscientisent ces évolutions et tous les participants actifs verbalisent les bénéfices secondaires qu’ils sont heureux de ressentir. Lorsqu’une hypothèse s’infirme, il est possible d’en formuler une nouvelle, et l’aventure se poursuit : c’est en quelque sorte ce qu’ils retiennent tous. Et par ricochet, beaucoup évoquent à présent des poursuites de par-cours de formation, des envies de participer pour eux-mêmes à des activités qui vont continuer à leur apporter dans leurs pratiques d’animateurs. Si ces stagiaires en fin de formation ont encore envie d’en faire et d’en savoir un peu plus, on peut alors estimer que les objectifs de mise en dynamique sont atteints.

Le regard du profane - François Simon

Voilà une coopération fructueuse autour d’un même projet entre deux groupes de personnes n’ayant apparemment rien en commun sinon le sujet de la rencontre : une aventure partagée autour de l’objet scientifique qui permet de vaincre les résistances, de déblayer des capacités, de faire émerger de nouvelles compétences, de découvrir des univers aux antipodes, de comprendre le projet de l’autre : l’un éminemment universitaire, l’autre plus proche d’une démarche en insertion sociale. Et ce brassage, ces expériences vécues ensemble provoquent des surprises, balaient les doutes, estompent les craintes. La réussite est là, individuelle d’abord puis collective. Une expérience au service de dépassements d’une surprenante maturité qui fait grandir et qui modifie l’image que l’on donne mais aussi que l’on a de soi. Il est important d’oser ces rencontres fortuites, opportunes et par l’activité scientifique et technique de permettre à des groupes qui a priori n’avaient aucune chance de se retrouver autour d’un projet commun, de le vivre en entier et de partager des savoirs mais aussi des émotions par lesquelles chacun.e découvre une part de l’autre. l’occasion est belle alors de casser les logiques, d’aller au-delà des préjugés souvent péjoratifs et d’opérer des rapprochements certes insolites mais tellement porteurs de pépites pédagogiques et humanistes.

 


Issu des Cahiers de l'animation - Vacances loisirs (n°102 - Avril 2018)