Il ne regarde plus que deux heures dans la journée
Jouer en famille et sans écran dans une école maternelle du 13ème arrondissement marseillais
Comment contrer la toute-puissance des écrans ?
Une école maternelle met les jeux de société sur la table avec un objectif : échanger et prendre du plaisir.
Depuis la rentrée 2022, cinq fois par an c’est soirée ludothèque à l’école maternelle de Frais Vallon, un quartier populaire du 13e arrondissement de Marseille.
Média secondaire
Il est 16h40, les portes de l’établissement scolaire s’ouvrent à nouveau, les enfants y retournent avec leurs invités : parents, frères ou sœur et leurs ami·es pour jouer ensemble. Ce n’est plus vraiment l’école, ce n’est pas la maison, une occasion de faire grandir des compétences, de se frotter aux contraintes posées par les règles du jeu.
À la fin de la séance, on peut emprunter un jeu. Laure, Nathalie, Marylène, Anaïs, enseignantes ici, ont l’espoir de créer des moments loin des écrans avec les parents ou les fratries. C’est pour elles un enjeu important.
À chaque soirée, elles seront deux ou trois, accompagnées de trois ou quatre animateurs et animatrices des Ceméa. Le temps passé chaque jour devant un écran préoccupe beaucoup l’équipe éducative en raison de son impact négatif sur la disponibilité aux apprentissages.
Cette inquiétude est partagée par le monde médical. Dans un sondage Ifop réalisé en février 2023 et consacré à l’impact du numérique sur les enfants de 0 à 6 ans, 89% des médecins généralistes et pédiatres interrogés ont observé un lien entre usage des écrans et difficulté de développement chez l’enfant. Des temps d’exposition excessifs, des contenus inadaptés pourraient provoquer colère, irritabilité, agressivité, fatigue excessive, rythmes désajustés, état dépressif ou retrait relationnel.
La perception du seuil de temps excessif est très relative. Quand 30 minutes quotidiennes paraissent beaucoup à Anaïs, un parent lui dit un jour que son fils avait fortement baissé: « Il ne regarde plus que deux heures dans la journée ». Le bulletin épidémiologique de l’Inserm du 12 avril 2023 indique que le temps d’écran quotidien est en moyenne de 56 minutes à 2 ans et d’1h34 à 5 ans et demi.
Règles du jeu
À la maternelle Frais Vallon, l’équipe d’animation et les enseignantes ne se contentent pas d’alerter, elles tentent de modifier les habitudes en lançant une activité facilement transposable à la maison. Découvrir un jeu, pouvoir l’emprunter si le plaisir et l’intérêt sont là, tout devient possible.
Les soirées ludothèque ont l’ambition de provoquer des moments d’échanges pendant lesquels les joueurs, les joueuses, prennent plaisir en famille hors de la sidération provoquée par un flux continu d’images et de sons que les progrès technologiques apportent partout.
Il est 16 heures, Anaïs la directrice rejoint Jasmine qui accomplit sa mission de service civique au sein de l’école pour lancer une opération d’installation rapide, la salle polyvalente doit devenir une ludothèque en quelques minutes. Il s’agit de transporter au plus vite les tables, d’installer des îlots de jeu, de préparer les plateaux et de disposer des tapis pour le coin manipulations. Une dizaine de familles sont attendues ce soir. Deux animateurs de l’équipe des Ceméa arrivent et seront rejoints par les deux enseignantes volontaires du jour dès la fin de la classe.
Anaïs accueille celles et ceux qui viennent pour la première fois pendant que les habitué·es s’installent et démarrent. Les nouveaux doivent prendre connaissance de la charte de la ludothèque et la signer, c’est un engagement. « Lorsqu’on commence une partie on la finit par respect pour les partenaires », « J’aide mon enfant à faire attention au matériel de jeu proposé ». La règle qui est au cœur du projet est aussi l’une des plus difficiles à faire respecter : « Je suis obligé de jouer avec mon enfant ».
Crédit photo : Anaïs Galli